
» allé nar uni, quanquam Terentianus ille Chre-
» mes humant nihil à fe alienum putat. J’ajoû-
» terai an paffage de Sénèque, qui eft un com-
» mentaire encore plus clair de ces paroles de
» Térence. Sénèque, ce philofophe païen, expli-
» que , dans une de fes lettres , comment les
» hommes doivent honorer la majefté des dieux ;
» il dit que ce n’eft qu’en croyant en eux, en pra-
» tiquant de bonnes oeuvres , & en tâchant de les
» imiter dans leurs perfe&ions , qu’on peut leur
n rendre un culte agréable ; il parle enluite de
» ce que les hommes fe doivent les uns aux autres.
» Nous devons tous nous regarder, dit-il, comme
» étant les membres d’un grand corps ; la nature
» nous a tirés de la même fource , & par là nous
» a tous faits parents les uns des autres ; c’eft elle
» qui a établi l ’équité & la juftice. Selon l ’infti-
» tution de la nature , on eft plus à plaindre quand
» on nuit aux autres, que quand on en reçoit du dom-
» mage. L a nature nous a donné des mains pour
» nous aider les uns les autres j ainfî, ayons tou-
» jours dans la bouche & dans le coeur ce vers de T ê te
rence : Je fu i s homme, rien de tout ce qui re-
» garde les hommes n’ejl étranger pour moi.
» Membra fumus corporis magni ; natura nos
» cognatos edi dit, quum ex iifdem & in idem gig-
» neret. Hoec nobis amorem indidit mutuum &
» fociabiles fe c it ,* ilia aequum jujlumque com-
» pofuit : ex illius confiitutione miferius ejl nocere
» quam lædi ; & illius imperio paratoe funt ad
» juvandum manus. IJle versus & in pectore & in
n ore f i t , Homo fum, humani nihil à me alienum
» puto. Habeamus in commune quod nati fumus.
» (Sen. E p. x cy ).
» Il eft v ra i, en général, que les citations &
» les applications doivent être juftes autant qu’il
» eft poffible, puifqu’autrement, elles ne prouvent
» rien, & ne fervent qu’à montrer une fauffe érudite
tion : mais i l y auroit du rigorifme à condanner
0 tout Sens adapté.
» I l y a bien de la différence entre raporter un
» paffage comme une autorité qui prouve , ou
» Amplement comme des paroles connues, aux-
» quelles on donne un nouveau qui convient
V au fujet dont on veut parler : dans le premier
» cas , i l faut conferver le Sens de l’auteur j mais
» dans le fécond cas , les paffages auxquels on
» donne un Sens différent de celui qu’ils ont dans
» leur auteur, font regardés comme autant de paro-
y> dies , & comme une forte de jeu dont i l eft fouvent
o permis de faire ufage ».
IX. S e n s louche, S e n s équivoque. L e Sens
louche naît plus tôt de la difpofition particulière
des mots qui entrent dans une phrafe, que de ce
que les termes en font équivoques en foi. Ainfî ,
cç feroit plus tôt la phrafe qui devroit être ap-
{► elée louche, fi l’on vouloit s’en tenir au Sens
ittéral de la métaphore : »> C a r , dit du Mariais
£ Trop. part. I I I , art. vj ) , » comme les per-
» fonnes louches paroiffent regarder d’un côté pen-
» dant qu’elles regardent d’un autre, de même,
» dans les conftruétions louches, des mots femblent
» avoir un certain raport, pendant qu’ils en ont
» un autre » : par conféquenc c’eft la phrafe même
qui a le vice d’être louche : & comme les objets
vus par les perfonnes louches ne font point louches
pour cela , mais feulement incertains à l ’égard des
autres ÿ de même le Sens louche ne peut pas
être regardé proprement comme louche , il n elr
qu’incertain pour ceux qui entendent ou qui lifent
la phrafe. Si donc on donne le nom de Sens louche
à celui qui réfulte d’une difpofition louche de
la phrafe , c’eft par métonymie que l ’on tranfporte
à la chofe fign^fiée le nom métaphorique donné
d’abord au figne. Voici un exemple de conftru&ion
8c, de Sens louche, pris par du Marfais, dans cette
chanfon fi connue d’un de nos meilleurs opéra :
T u fais ch a rm e r ,
T u fais défarmer
L e dieu d e la gu er re :
L e dieu du tonnerre
S e laid e enflammer.
» Le dieu du tonnerre , dit notre grammairien,
» paroît d’abord être le terme de l’aétion de charmer
» & de défarmer, auffi bien que le dieu de la
» guerre ; cependant, quand on continue à lir e , on
» voit aifément que le dieu du tonnerre eft le nomi-
» natif ou le fujet de fe laiffe enflammer ».
Voici un autre exemple cité par Vaugelas ( Rem.
119 ) : » Germanicus ( en parlant d’Alexandre )
» a égalé f a vertu , & fon bonheur n* a jamais
» eu de pareil... On appelle cela, dit- i l , une Conf-
» truclion louche, parce qu’elle femble regarder d’un
» côté, & elle regarde de l’autre ». On voit que ce
purifte célèbre fait tomber en effet la qualification de
louche fur la conftruâion plus tôt que fur le Sens
de la phrafe, conformément à ce que j’ai remarqué.
» Je lais bien, ajoûte-t-il, en parlant de ce vice
» d’élocution, & j’adopte volontiers fa remarque ;
» je fais bien qu’il y aura affez de gens qui nom-
» meront ceci un fcrupule , & non pas une faute ;
» parce que la le&ure de toute la période fait
» entendre le Sens , & ne permet pas d’en douter :
» mais toujours ils ne peuvent pas nier que le
» leéfceur & l ’auditeur n’y foient trompés d’abord ;
» & quoiqu’ils ne le foient pas long temps , il eft
» certain qu’ils ne font pas bien aifes de l ’avoir été,
» & que naturellement on n’aime pas à fe mé-
» prendre : enfin c’eft une imperfection qu’il faut
» éviter , pour petite qu’elle fo it , s’il eft vrai
» qu’il faille toujours faire les chofes de la façon
» la plus parfaite qu’il fe peut, furtout lorfqu’e»
» matière de langage i l s’agit de la clarté de l ’ex-
» preflion ».
L e Sens louche naît donc de l ’incertitude de la
relation grammaticale de quelqu’un des mots qui
compofent la phrafe. Mais que faut - il entendre
par
par ün Sens équivoque , & quelle en eft 1 origine ?
car ces deux expreflïons ne font pas identiques ,
quoique du M^fais femble les avoir confondues
( loc. cit. ). Le Sens équivoque me paroît venir
furtout de l ’indétermination effencielle à certains
mots , lorfqu’ils font employés de manière que
l ’application a&uelle n’en eft pas fixée avec affez
de précifîon. Tels font les adje&ifs conjon&ifs qui
& que, & l ’adverbe conjonftif dont ,* parce que ,
n’ayant par eux-mêmes ni nombre ni genre déterminé
, la relation en devient néceffairement
douteufo, pour le peu qu’ils ne tiennent pas immédiatement
à leur antécédent. Tels font nos pronoms
de la troifième perfonne, il, lu i, elle, i l s , eux, elles,
leur, & les articles le, la, les employés comme pronoms
; parce que tous les objets dont on parle étant de
la troifième perfonne, il doit y avoir incertitude fur la
relation de ces mots, dès qu’il y a dans le même discours
plufieurs noms du même genre & du même nombre,
fi l ’on n’a foin de rendre cette relation bien fen-
fible par quelques-uns de ces moyens qui ne manquent
guère à ceux' qui favent écrire. Tels font
enfin les articles poffeflifs de la troifième perfonne ,
fo n , f a , f e s , leur, leurs, & les purs adjeétifs
poffeflifs de la même perfonne, fien , fienne,
Jzens , jiennes ; parce que la troifième perfonne
déterminée à laquelle ils doivent fe raporter, peut
être incertaine à leur égard comme à l ’égard des pronoms
perfonnels, & pour la même raifon.
Je ne citerai point ici une longue fuite d’exemples
; je renverrai ceux qui en défirent à la
Remarque 547. de Vaugelas , où ils en trouveront
de toutes les efpèces, avec les correctifs qui y
conviennent : mais je finirai par deux obfervations.
L a première , c’eft que phrafe louche & phrafe
•-équivoque font des expreflions , comme je l ’ai déjà
remarqué, fynonymes , fi l’on veut, mais non pas
identiques ; elles énoncent le même défaut de netteté
, mais elles en indiquent desfourçes différentes.
Phrafe amphibologique, eft une expreflion plus
générale, qui comprend fous foi les deux premières
, comme le genre comprend les efpèces ;
elle indique encore le même défaut de netteté ,
mais fans en afligner la caufe. Ainfî , Ia s impref-
jions qu’i l prit depuis , q u il tâcha de communiquer
aux fiens , &c(, c’eft une phrafe-louche ,
parce qu’il femble d’abord qu’on veuille dire, depuis
le temps qu’ i l tâcha, au lieu que depuis eft
employé aofolument, & qu’on a voulu dire lef-
quelles i l tâcha ; incertitude que l ’on auroit levée
par un & avant qu’ i l tacha. Lifias promit à fon
père de n abandonner jamais fes amis , c’eft une
phrafe équivoque , parce qu’on ne fait s’il s’agit
des amis de Lifias ou de ceux de fon père. Toutés
deux font amphibologiques.
L a fécondé remarque, c’eft que du Marfais n’a
pas dû citer .comme une phrafe amphibologique ce
vers de la première édition du Cid ( I I I . 6 ) :
L ’amour n’eft qu’ un plaifir, & l’honneur un devoir»
G r am m . e t L i t t é r a t .>T ome I I I .
La çonftruétion de cette phrafo met neceflairc-
ment de niveau l ’amour & Vhonneur, & préfente
l ’un & l ’autre comme également méprifables : en
un mot, elle a le même Sens que celle-ci ;
L ’amour n ’ eft qu’un p la ifir , l ’ h o n n cu rn e f t q u u n d e vo ir .
Il eft certain que ce n’étoit pas 1 intention de
Corneille ; & da Marfais en convient : mais la feule
chofe qui s’enfuive de l à , c’eft que ce g ran<*
oète a fait un contre - fens, & non pas une amphï-
ologie : & l ’Académie a exprimé le vrai Sensdt 1 auteur
, quand elle a dit j
L ’ amour n ’ eft qu ’ un plaifir > l’ honneur eft un d e vo ir .
Il faut donc prendre garde encore de confondre
Amphibologie & Contre-fens. U Amphibologie eft
dans une phrafe qui peut égale ment fervir à énoncer
plufieurs Sens différents, & que rien de ce qui la
conftitue ne détermine à l’un plus tôt qu a 1 autre j
le Contre-fens eft dans une phrafe qui ne peut
avoir qu’un Sens , mais qui auroit dû être conftruite
de manière à en avoir un autre. Voye\ C ontresens.
Réfumons. L a Signification eft l ’idee totale dont
un mot eft le figne primitif par la decifion unanime
de l’ufage.
L ’Acception eft un alpeêl particulier , fous lequel
la Signification primitive eft envifagée dans
une phrafe. .
L e Sens eft une autre Signification différente
de la primitive, qui eft entée , pour ainfî dire,
fur cette première, qui lui eft ou analogue ou
acceffoire , & qui eft moins indiquée par le mot
même que par la combinaïfon avec les autres oui
conftituent la phrafe. C’eft pourquoi l’on dit également
le Sens d’un mot & le Sens d’une phrafe; au
lieu qu’on ne dit pas de même la Signification ou
Y Acception d’une phrafe. (ikf. B e AUZÉe. )
* SENS (B o n ) BON G O Û T . Synonymes.
Le bon Sens & le bon Goût ne font qu’une
même chofe , à les confidérer du côté de la faculté.
Le bon Sens eft une certaine droiture d’âme qui
voit le vrai , le jufte , & s’y attache : le bon Goût
eft cette même droiture par laquelle l’âme voit le
bon & l’approuve.
JLa différence de ces deux chofes ne fe tient que
du côté des objets. On reftreint ordinairement le
bon Sens aux chofes plus fenfibles; & le bon Goût
à des objets plus fins & plus relevés. Ainfî , le
bon Goût , pris dans cette idée, n’eft autre chofe
que le bon Sens rafiné & exercé fur des objets
aélicats & relevés; & le bon Sens n’eft que le bon
Goût reftreint aux objets plus fenfibles &.plus matériels.
( Le,chevalier d e J AU c o u RT. ]
( ^ Entre le bon Sens & le bon Goût, il y a la
différence de la caufe àfon effet). ( L a B r u y è r e *)
C c c