
érigé à la félicité publique & à la gloire du génie
de l ’homme.
Les italiens ont un Poème lyrique qu’ils appellent
Oratorio ,• ce font des drapes dont le
fujet eft tiré de nos livres facrés : on les a quelquefois
joués fur des théâtres élevés dans les églifes ;
mais ces exemples font rares , & communément
on ne fait aucun ufage de ces pièces. Il eft étonnant
que la Puiflance fpirituelle , qui favorife fi
fort en Italie les pompes religieufes , n’ait pas
fécondé la Poéfie & la Mufique dans le deflein
de fe confacrer à la Religion : de tels fpe&acles
aaroient pu devenir très - auguftes & très-intéref-
fanls dans la célébration des folennités de l ’Églife.
I l ne feroif pas fingulier qu’un homme de goût
f ît plus de cas des oratorio de Métaftafio , que
de fes opéra les plus célèbres ; on s’aperçoit bien
que le poète n’y a pas été aflujetti à une foule
de lois arbitraires & abfurdes, qui n’ont tendu
qu’à le gêner & qu’à défigurer le Poème lyrique.
L e compofitenrpourroit fe permettre dansl’Om-
torio un ftyle plus élevé, plus figuré que celui
de l ’Opéra : la Religion , qui rend ce drame fàcré,
iemble auffi autorifer le muficien à éloigner fes
perfonnages un peu plus de la nature par des accents
moins familiers à l ’homme & par une plus forte
poéfie.-( J\L. Gr im m . )
P oème philosophique , Poéfie didactique.
Efpèce de Poème didactique, dans lequel on emprunte
le langage de la Poéfie, pour traiter par
principes des lujets de Morale, de Phyfique, ou
de Métaphyfique : on y raifonne ; on y cite des
autorités, des exemples 5 on tire des conféquences.
T e l eft l ’ouvrage de Lucrèce parmi les anciens, celui
de Pope parmi les modernes.
Le Poème philofophique doit tendre fur toutes
phofes à la lumière, parce que le but des fcienees
eft d’éclairer; ainfi, la méthode doit y être plus
fenfible que dans les autres Poèmes didactiques
& dans les Poèmes de pure fiction : ceux - là
échauffent le coeur , ceux-ci éclairent l ’efprit ou
dirigent, fes facultés ; il eft donc moins permis d’y
jeter des digreffions qui empêchent de fujvre le fil
du raifonnement. Par la même taifon, on s’attachera
moins à y mettre des figures vives & poétiques
, à moins quelles ne concourent à la clarté
en donnant du corps aux penfées ; car autrement
j l y aurgit de la petiteffe à facrifier la netteté &
la précifion à l ’éclat d’un beau mot : aufll Lucrèce
fu it- il conftamment fon objet ; on ne le
voit point, au milieu d’un raifonnement, s’égarer
dans des defcriptions inutiles à fon but ; il
en a quelques - unes dont la matière poürroit fe
paffer , mais il les place tellement, foit devant
foit après fes arguments , qu’elles fervent ou à
préparer l’efprit à ce qu’i l va dire , ou à le délaffer
après lui avoir fait faire des efforts. Principes
dé, Littérattu-re. ( Le chevalier de J AU ç OU RT. )
P oème eu p r o s e , Belles - Lettres. Genre
d’ouvrages où Ton retrouve la fiCtion & le ftyle
de la Poéfie , & qui par là font de vrais Poèmes,
à la mefure & à la rime près ; c’eft une invention
fort heureufe. Nous avons obligation à la Poefie
en profe de quelques ouvrages remplis d’aventures
vraifemblables & merveilleufes à la fois , comme
des préceptes fages & pratiquables en .même temps,
qui n’auroient peut-être jamais vu le jour , s’il
eût fallu que leurs auteurs euffent affujetti leur
génie à la rime & à la mefure : l ’eftimable auteur
du Télémaque ne nous auroit jamais donné
cet ouvrage enchanteur ., s’il avoit dû l ’écrire en
vers. Il eft de beaux Po'èmes fans vers, comme de
beaux tableaux fans le plus riche coloris. ( Le chevalier
DE J AU COU k T . )
Poème séculaire, Belles-Lettres, Carmen
fecâlare. Nom que donnoient les romains à une
efpèce d’hymne qu’on chantoit ou qu’on récitoiè
aux jeux que l ’on célébroit à la fin de chaque
fièclc de la fondation de Rome, qu’on appeloit
pour cela Jeux féculaires.
On trouve un Poème de cette efpèce dans les
ouvrages d’Horace ; c’eft une ode en vers faphi-
ques qu’on trouve ordinairement à la fin de fes
épodes, & qu’il compofa par l ’ordre d’Augufte
l ’an 737 de Rome, félon le P. Jouvency. I l
paroît par cette pièce que le Poème féculaire
étoit ordinairement chanté par deux, choeurs, l ’un
de jeunes garçons, & l ’autre de jeunes filles. C ’eft
peut-être par la même raifon que quelques commentateurs
de ce poète ont regardé comme un
Poème féculaire la vingt & unième ode de fon
premier livre , parce quelle commence par ces
vers :
Dianam tenerce dicite, Virgines }
JntQnfum , Pu er i, dicite Cynthiuni.
Mais la dernière ftrophe prouve que cé n’étolt
qu’un de ces cantiques qu’on adreffoit à ces divinités
dans les calamités publiques, ou pour les
prier de détourner des fléaux funeftes, lorfque le
peuple fefoit des voeux dans les temples de toutes
les divinités adorées à Rome; ce qu’on appeloif
Supplicare ad omnia vitlvinaria deorym, ( AflQ*
R T M E . )
POÉSIE, f. f. Belles-Lettres. On a écrit le$
révolutions des Empires; comment n’a-t-on jamais
penfé à écrire les révolutions des Arts : à recherchen
dans la nature les caufes phyfiques & morales de
leur naiffance, de leur accroiffement, de leu»
fplendeur, 8c de leur décadence? Nous allons en
mire l ’effai fur la partie la plus brillante de la
Littérature ; confidérer la Poéfie comme une plante;
examiner pourquoi, indigène dans certains climats,
on l ’y a vue naître & .fleurir d'elle-même ; pourquoi,
étrangère
étrangère partout ailleurs, elle n a profpéré qu a
force de culture ; ou pourquoi, fauvage & rebelle,
elle s’eft refufée aux foins qu’on a pns de la
cultiver ; enfin pourquoi , dans le même climat,
tantôt elle a été floriffante & féconde, tantôt elle
a dégénéré.
En recherchant les caufes de ces révolutions, on
a trop accordé, ce femble, aux caprices de la
nature & à fes inégalités. On croit avoir tout expliqué
, lorfqu’on a dit que la ^nature tour a
tour avare & prodigue , tantôt s epuife a former
des génies, tantôt le repofè .& ’languit dans une
longue ftérilité. Mais la nature n’eft point avare,
là nature n’eft point prodigue, la nature, nés epuife
point : ce font des mots vides de^ fens. Imaginer
qu’elle s’eft accordée avec Péricles, Alexandre,
Augufte , Léon X , Louis le* Grand , pour faire
de leur fiècle celui des Mufes & des Arts ; c eft
donner, comme on fait fouvent, une métaphore
pour une raifon. I l eft plus que probable que ,
fous le même c ie l, dans le même efpace de temps,
la nature produit la même quantité de talents de la
même efpèce. Rien n eft fortuit, tout a fà>-caufe;
& d’une cauferégulière, tous les effets doivent être
Confiants.
L a différence des climats a quelque chofe de
plus réel. On fait qu’en général les hommes,
dans certains pays , naiffent avec des organes plus
délicats & plus fenfibles, une imagination plus
vive & plus féconde , un génie plus inventif. Mais
pourquoi tout l ’Orient n’auroit - il pas reçu la
même influence du ciel & les mêmes dons^ que
la Grèce ? Pourquoi, dans la Grèce, des climats
différents , comme la Thrace , la Béotie, & Lefbos,
auroient ils produit, l ’un des Amphions & des
Orphées ; l’autre , des Pindares & des Corinnes ;
l ’autre, des Alcees & des Saphos ? Et s’il eft vrai
qu’Achille avoit plis à Thèbes la lyre fur laquelle
i l chantoit les -héros, fi la lyre thébaine dans
les mains de Pindare fut couronnée de lauriers ;
eft-ee au naturel du pays qu’ en eft la gloire ? Ne
favons-nous pas quelle idée on avoit du génie des
béotiens? Tout donner & tout refufer à l ’influence
du climat, font deux excès de l ’efprit de
fyftême.
Cependant , fi les grecs n’ont pas été le feul
peuple de l ’univers ingénieux & fenfible, pourquoi
, dans l ’art d’imiter & de feindre , n’a - 1 - on
jamais pu l’égaler qu’ en marchant fur fes traces ,
& qu’en adoptant fes idées, fes images, fes fictions
?
Voyez dans l ’Europe moderne, quand la paix ,
l ’abondance , le luxe , la faveur deî rois, & le
goût des peuples ont attiré les Mufes ; voyez-
#Ies , dis-je, arriver en étrangères fugitives, chargées
de leur» propres richeffes, & portant avec
elles les dieux de leur pays. Quoi de plus marqué
que ce penchant pour les lieux qui les ont vues
naître ? Que les romains ayent imité les grecs, dont
Gr a m m . e t L i t t é r a l » Tome I iL
ils étoient les difciples , cela eft (impie & naturel '
mais que , dans aucun de nos climats , la Poéfie
n’ait été floriffante , qu'autant qu’on lui a laiffé
le caraflère & les moeurs antiques ; qu'elle foit
depuis trois-milie ans fidèle au culte de fa première
patrie; que des moeurs nouvelles & des
fujets récents, elle n’aime que ce qui reffemble à
ce quelle a vu dans la Grèce ; voila ce qui prouve
qu’elle tient par effence aux qualités de fou
pays natal. Pourquoi cela ï c eft ce que nous cherchons.
Horace donne , au fuccès des arts & de la
Poéfie dans la Grèce , la même caufe qu’i l eut à
Rome.
Xft primum poGcis nugari Gracia bellis
Capit, & in vitium fomrnâ labier sequâ.
Mais fi ce goût fu t, chez les romains, le préfage
ou l ’effet de la corruption qui fuivir la profpérité >
i l n’en fut pas de même chez les grecs. Les Mufes,
pour fleurir chez eux, n’attendirent ni le loifir
de la paix , ni lès délices de l ’abondance. L e
temps le plus orageux de la Grèce & le plus
fécond en héros, fut aufli le plus fécond en hommes
de génie. Depuis la naiffaqpe d’Efchyle juf-
qu’à la mort de Platon , l ’efpace d’un fiècle pré-
iente ce que la Grèce a produit de plus célèbre
dans les Armés & dans les Lettres. On couron-
noit fur le théâtre d’Athènes’ l ’un des héros de
Marathon ; Cratinus & Cratès amufoient les vainqueurs
de Platée & de Salamine ; Charillus les
chantoit les Miltiades , les Thémiftodes , les
Atiftides, les Périclès aplaudiffoient les chef-
d’oeuvres des Sophocles & des Euripides ; & au
milieu même des difeordes nationales, des guerres
de Corinthe & du Péloponnèfe , de Thèbes contre
Lacédémone , & de celle-ci contre Athènes , ou
plus tôt d’Athènes contre la Grèce entière, la Poéfie
profpéroit encore & s’èlevoit comme à travers les
mines de fa patrie.
I l y avoit donc , pour rendre la Poefie flont-
fante dans ces climats, des caufes indépendantes
de la bonne. & de la mauvaife fortune ; & la première
de ces caufes fut le naturel d’un peuple
vif fenfible , paflionné pour les plaifirs de l ’efprit
& de l’âme, autant que pour les voluptés des (ens.
Je dis le naturel; & en cela les grecS; différoient
des romains. Ceux-ci ne fe polirent qu’après s’être
amollis ; au lien que ceux - là furent tels dans
toute la vigueur de leur génie & de leurs vertus.
La glssire des talents & la gloire des armes,
l ’amout des plaifirs de la paix , & le courage 8c
la confiance dans les travaux de la guerre , ne
font incompatibles, que lorfepte ceu x -c i tiennent
plus à la rudeffe & à l ’auftérité^des moeurs
qu’à la vigueur & à l ’aèlivité de l ’âme. Rien
n’eft plus dans la nature , témoins Céfâr, Alcibiades
& mille autres guerriers, qu’un homme
vaillant & fenfible , voluptueux & infatiguabie ,
également paflionné pour la gloire &,pour les