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Ce mot fïgnifioit autrefois Y aiguille dont on fe
fervoit pour écrire fur les tablettes enduites de cire.
Cette aiguille étoit pointue par un bout & aplatie
par l’autre , pour effacer quand on le vouloit ; c’eft
ce qui a fait dire à Horace, faepe Stylum vertas,
effacez fouvent. Il fe prend aujourdhui pour la manière
, le ton, la.couleur qui règne fenfiblement
dans un ouvrage ou dans quelqu’une de fes parties;
I l y a trois fortes de Styles , le (impie, le
moyen, & le fublime, ou plus tôt le Style élevé.
Le Style Jimple s’emploie dans les entretiens
familiers , dans les lettres, dans les fables : i l doit
être pur, clair, fans ornement apparent. Nous en
dèvçloperons les caractères ci-après. .
L e Style fublime eft celui qui fait régner la
nobleffe, la dignité -, la majefté. dans un oiivrage :
toutes les peniees y font nobles & élevées ; toutes
les expreflions graves, fonores , harmonieufes , &c.
L e Style fublime & ce qu’on appelle le Sublime,
ne font pas la même chofe. Celui-ci eft tout ce
qui enlève notre âme, qui la faiftt , qui la trouble
tout à coup : c’eft un éclat d’un moment. Le Style
fublime peut fe foutenir long temps : c’eft un ton
élevé, une marche noble &majeftueufe.
J ’ ai vu l ’Im pie adoré fur la terre ;
P a re il au cèdre , il portoit dans les d e u x
S on front auda cieux ;
I l fem b lo it > à fo n gré , gouv erne r le to n n e r re ,
F o u lo it au x pieds fes ennemis v ain cu s :
J e n’a i fa i t que p a lie r , i l n ’ étoit déjà p lus. *
Les cinq premiers vers font du Style fublime, (ans
être fublimes, & le dernier eft fublime (ans être du
6 tyle fublime.
L e Style médiocre tient le milieu entre les
deux ; î l a toute la netteté du Style fimple, &
reçoit tous les ornements & tout le coloris de l ’Elocution.
Ces trois fortes de StylëS fe trouvent fouvent
dans un même ouvrage, parce que, la matière s’élevant
& s’âbaiflant, le S ty le , qui eft comme porté
fur la matière , doit s’élever auffï & s’abaiffer avec
elle : & comme dans les matières tout fe tient, fe
lie par des noeuds fecrets, il faut auffï que tout fe
tienne & fe lie dans les Styles ; par conféquent il
iaut y ménager les paffages , les liaifons, affoiblir
ou fortifier/infenfiblement les teintes , à moins que ,
la matière Ce brifant tout d’un coup & devenant,
comme efearpîte, le Style ne foit obligé de changer
auffï brufquement. Par exemple , lorfque Craflus,
plaidant contre un certain Brutus qui déshonoroit
fon nom & fa famille , vit paffer la pompe funèbre
d’une de fes parentes qufon portoit au bûcher, il
arrêta le corps, & adreffant la parole à Brutus, il
lui fit les plus terribles reproches : » Que voulez-
*> vous que Julie annonce à vôtre père, à tous vos
».aïeux, dont vous voyez porter les images ? que
» dira-t-elle à ce Brutus, qui nous a délivrés de
s T Y
» la domination des rois ? &c » g il ne s’agiffoit
pas alors de nuances ni de liaifons fines ; la matière
emportoit le S t y l e , & c’eft toujours à lui de la
fuivre.
Comme on écrit en Vers ou en Profe, il faut
d’abord marquer quelle eft la différence de ces deux
genres de S t y l e . La Profe, toujours timide, n’ôfe
le permettre les inverfions qui font le fel du S t y l e
p o é tiq u e ,* tandis que la Profe met le .régiflant
avant le régime , la Poéfie ne manque pas de faire
le contraire. Si l ’aétif eft plus ordinaire dans la
Profe , la Poéfie le dédaigne & adopte le paffif.
Elle entaffeles épithètes, dont la Profe ne fe pare
qu’avec retenue : elle n’appelle point les hommes
par leurs noms ; c’eft le fils de r élée , le Berger
de Sicile, le Cygne de Dircée : l ’année eft chez
elle le grand cercle qui s’achève par la révolution
des mois : elle^ donne un corps à tout ce qui eft
fpirituel, & la vie à tout ce qui ne l’a point :
enfin le chemin dans lequel elle marche eft couvert
d’une pouffière d’or, ou jonché des plus belles fleurs.
1'ro y e\ P o é t i q u e , S t y le .
Ce n’eft pas tout , chaque genre de Poéfie a fon
ton & fes couleurs. Par exemple, les qualités principales
qui conviennent au S t y l e ép iq u e , font la
force, l ’élégance, l ’harmonie , & le coloris.
Le S t y l e d ram a tiq u e a pour règle générale de
devoir être toujours conforme â l ’état de celui qui
parle. Un roi , un finjple particulier, un commerçant
, un laboureur ne doivent point parler du même
ton; mais ce n’eft pas affez : ces mêmes hommes
font dans la joie ou dans la douleur, dans l’efpe-
rance qu dans la crainte ; cet état aétuel doit donnes,
encore une fecon.de conformation à leur S t y l e ,
laquelle fera fondée fur la première, comme cet
état aétuel eft fondé fur l ’habituel ; & c’eft ce qu’on
appelle la c o n d it io n de la p e r fo n n e . V o y e \ T r a g
é d i e .
Pour ce qui regarde la Comédie | c’eft affez de
dire que fon S t y l e doit être fimple , clair, familier
; cependant jamais bas ni rampant. Je fais bien
que la Comédie doit élever, quelquefois fon ton :
mais dans fes plus grandes hardieffes, elle ne s’oublie
point , elle eft toujours ce qu’elle doit être ;
fi elle alloit jufqu’au Tragique , elle feroit hors
de fes limites : fon S t y l e demande encore d’être
aflaifonné de penfées fines, délicates, & d’ exprelfions
plus vives qü’éclatantes.
Le S t y l e ly r iq u e s’élève comme un trait de
flamme , & tient par fa chaleur au fentiment & au
goût ; il eft tout rempli de l ’enthoufiafmç que lui
infpire l ’objet préfent à fa lyre ; fes images font
fublimes , & fes fentiments pleins de feu : de là
les termes 'riches, forts , hardis , les fons harmo^
nieux , les figures brillantes, hyperboliques , & les
tours finguliers de ce genre de Poéfie. Voye\ O de , Poésie lyrïqüe , & Poète lyrique.
Le S t y le b u c o liq u e doit être fans apprêt, fans
fafte , doux , fimple, naïf, & gracieux dans fes def-
criptions. V o y e \ P a s t o r a l e , P o é f i e .
$ T Y
Le Style de VApologue doit être fimple, familier
, riant, gracieux, naturel, & naïf. La fimplicité
de ce Style confifte à dire en peu de mots & avec
les termes ordinaires tout ce qu’on veut dire. Il y
a cependant des fables où La Fontaine prend l ’effor ;
mais cela ne lui arrive que quand les perfonnages
ont de la grandeur & de la nobleffe : d’ailleurs
cette élévation ne détruit point la fimplicité , qui
s’accorde, on ne peut mieux, avec la dignité. Le
familier de l’Apologue eft un choix de ce qu’il
y a de plus fin & de plus délicat dans le langage
des converfations : le riant eft caraétérifé par fon
oppofition au férieux; & le gracieux , par fon op-
pofition au défagréable : Sa majefiéfourrée , une
Hélène au beau plumage , font du Style riant. L e
Style gracieux peint les chofes agréables avec tout
l ’agrément qu’elles peuvent recevoir : Les lapins
s ‘égayoient, & de thym parfumoient leurs banquets.
Le naturel eft oppofé en général au recherché
, au forcé. Le naïf i’eft au réfléchi, & femble
n’apartenir qu’au fentiment, comme la fable de la
laitière.
Paffons au Style de la Profe : il peut être périodique
ou coupé dans tout genre d’ouvrage.
L e Style pe'riodique eft celui où les propofî-
tions ou les phrafes font liées les unes aux autres,
foit par le fens même foit par des conjonctions.
Le Style coupé eft celui dont toutes les parties
font indépendantes & fans liaifon réciproque. Un
exemple fuffira.pourles deux efpèces.
» S i M. d e T u r e n n e n ’a v o it fu q u e c o m b a ttr e &
» v a i n c r e , .s’i l n e s’é t o i t é le v é a u d e f lu s d e s . v e r tu s
» h u m a in e s , fi f a v a l e u r & f a p r u d e n c e ^ p ’a v o ie n t
» é t é a n im é e s d ’u n e fp ric d e f o i & d e c h a r i t é ; je
» l e m e t t r o i s a u r a n g d é s F a b i u s & d e s S c ip io n s » .
V o i l à u n e p é r io d e q u i a q u a t r e m e m b r e s , d o n t l e
fe n s e f t f u f p e n d u . S i M. d e T u r e n n e n ’a v o i t fu q u e
c o m b a ttr e & v a in c r e , &c y c e fe n s n ’e f t p a s a c h e v é ,
p a r c e q u e l a c o n jo n c tio n f i p r o m e t a u m o in s u n
f é c o n d m e m b r e ; a in fi , l e Style e f t l à p é r io d i q u e .
L e v e u t- o n c o u p é ? i l f u f f it d ’ô t e r l a c o n j o n c tio n :
M . d e T u r e n n e a fu a u t r e c h o f e q u e c o m b a t tr e &
v a in c r e ; i l s’e f t é le v é a u d e f lu s d e s v e r tu s h u m a in e s ;
f a v a le u r & fa p r u d e n c e é t o i e n t a n im é e s d ’u n e f p r i t
d e f o i & d e c h a r it é ; i l e f t b ie n a u d e f lu s d e s F a b iu s ,
d e s S c ip io n s . Ou fi l ’o n v e u t u n a u t r e e x e m p le : » Il
» p a f f e l e R h in ; i l o b f e r v e - le s m o u v e m e n ts d e s e n n e -
» m is ; i l r e lè v e le c o u r a g e d e s a l l i é s ,* &c » .
Le Style périodique a deux avantages fur le
Syle coupé : le premier, qu’il eft plus harmonieux;
le fécond, qu’il tient l ’efprit en fufpens. La période
commencée , l ’efprit de l ’auditeur s’engage ,
& eft obligé de fuivre l ’orateur jufqu’au point ;
fans quoi il perdroit le fruit de l ’attention qu’il a
donnée aux premiers mots, Cette fufpetjfioneft très-
agréable à l ’auditeur , elle le tient toujours éveillé
& en haleine.
Le Style coupé a plus de vivacité & plus d’éclat.
Ota les emploie tous deux tour à tour, fuivant que
S T Y 1 1 î
la matière l ’exige. Mais cela ne fuffit pas, à beaucoup
près, pour la perfection du Style : il faut
donc obferver , avant toutes chofes , que la même
remarque que nous avons faite aufujet de la Poéfie,
s’applique également à la Profe ; je- veux dire que
chaque genre d’ouvrage profàïque demande le Style
qui lui eft propre. L e Style'oratoire , le Style
hifiorique , &c le Style épijlolaire ont chacun leurs
règles, leur ton , & leurs lois particulières.
Le S y le oratoire requiert un arrangement choifi
des penfées & des expreflions conformes au fujet
qu’on doit traiter. Cet arrangement des mots &C
des penfées comprend toutes les efpèces de figures
de Rhétorique , & toutes les combinaifons qui peu -
vent produire l ’harmonie & les nombres. Voye^
O r a t e u r , O r a t e u r s grecs & romains , E l o c u t
i o n , É l o q u e n c e , H a r m o n i e , M é l o d i e , N o m b
r e , &.c.
Le caraCtère principal du Style hifiorique eft la
clarté. Les images brillantes figurent avec éclat
dans l ’Hiftoire : elle peint les faits ; c ’eft le combat
des Horace & des Curiace ; c’eft la pefte de Rome ,
l ’arrivée d’Agrippine avec les cendres de Germa-
nicus , ou Germanicus lui-même au lit de la mort:
elle peint les traits du corps , le caraCtèr,e d’efprit,
les moeurs; c’eft Caton, Catilina, Pifon. La fimplicité
fied bien au Syle de l ’Hiftoire ; c’eft en ce
point que Céfar s’eft montré le premier homme
de fon fiècle : il n’eft point frifé, dit Cicéron, ni
paré , ni aj.ufté ; mais il eft plus beau que s’il l ’étoit.
Une des principales qualités du Style hifiorique,
c eft d être rapide ; enfin il doit être proportionné
au fujet. Une hiftoire générale ne s’écrit pas du
même ton qu’une hiftoire particulière : c’eft prefque
un difeours foutenu ; elle eft plus périodique & plus
nombreufe.
Le Style épijlolaire doit fe conformer à la
nature des lettres qu’on écrit. On peut diflinguer
deux fortes de lettres : les unes philofophiques ,
ou l ’on traite d’une manière libre quelques fujets
littéraires ; les autres familières, qui font une efpèce
de converfation entre les abfents. Le Style de
celles-ci doit reffembler à celui d’un entretien, tel
qu’on l ’auroit avec la perfonne même, fi elle étoit
préfente. Dans les lettres philofophiques, i l convient
de s’élever quelquefois avec la matière , fuivant
les circonftances. On décrit d’un Style fimple
aux perfonnes les plus qualifiées au deflus de nous ;
on écrit à fes amis d’un Style familier. Tout ce
qui eft familier eft fimple ; mais, ü5ut‘ce qui eft
fimple n’eft pas familier. Le caraélere^de fimplicité
fe trouve furtout dans les Lettres de madame de
Maintenon : rien de fi aifé, de fi doux, de fi naturel.
Le Style épijlolaire neft point affujéti aux lois
du difeours oratoire ; fa marche eft fans contrainte:
c’eft le trop de nombre qui fait le défaut de Lettres
de Balzac. I l eft une forte de négligence qui plaît
de même qu’il y a des femmes à qui il fied bien
den’être point parées. T e lle eft l ’Élocution fimple •
° g g »