
qu’on convient généralement que le ftyle fublime
confifte dans une fuite d’idées nobles exprimées noblement.;
6c que le Sublime eft un trait extraordinaire
> merveilleux, qui enlève, ravit, tr an (porte.
L e ftyle fublime veut toutes les figures de l'É lo quence
; le Sublime peut fe trouver dans un feul
mot. Une chofe peut être décrite dans le ftyle fu~
’ blime, & n’être pourtant pas fublime , c eft d dire,
n’avoir rien qui élève nos âmes : ce font de grands
objets & des Sentiments extraordinaires qui cara&é-
rifent le :Sublime. La defcription d’un pays peut
être faite en ftyle fublime : mais Neptune calmant
d’un mot les flots irrités Jupiter fefant trembler
les dieux d’un clin d’oeil j ce n’ eft qu’à de pareilles
images qu’il apartient d’étonner & d’èlever
l ’imagination.
Longin confond quelquefois le Sublime avec la
grande Éloquence , dont le fonds confifte dans l’iieu-
reufe audace des penfées & dans la véhémence &
l ’enthoufiafme de la paflion: Cicéron m’en fournit
un bei exemple dans fon plaidoyer pour Milon ,
c’eft à dire , dans, le chef-d’oeuvre de l ’art oratoire.
$e prçpofant d’avilir Clodius, ils attribue fa mort
à la colère des dieux, qui ont enfin vengé leurs
temples & leurs autels profanés par lès crimes de
pet impie : mais voyez de quelle manière fublime
i l s’y prend ; c’eft en employant les plus grandes
ficrures de Rhétorique , c’ eft en apoftrophant & les
autels & les dieux,
» Je vous attefte , d it- il, & vous implore , faintes
» Collines d’Albe , que Clodius a profanées ; Bois
» refpeétables , qu’il a abattus; facrés Autels, lieu
» de notre union, & auflî anciens que Rome même >
» fur les ruines defquels cet Impie avoit élevé ces
o » maflps énormes de bâtiments ! Votre religion
» violée, votre culte aboli, vos myftères pollués ,
» vos s dieux outragés , ont enfin fait éclater leur
» pouvoir & leur vengeance. Et vous, divin Ju-
» pi ter la t ia l, dont il . avoit fouillé les lacs & les
» bois parjtant. de primes & d’impuretés, du fom-
» met de votre fainte montagne vous avez enfin
» ouvert les ieux fur ce Scélérat pour le punir;
» c’eft à vous & fous Vos ieux, c’eft à vous qu’une
»> lente mais juftc vengeance a immolé cette vic-
» time, dont le fang vous étoit du » !. Voilà de
ce Sublime dont parle Longin, au , fi l ’on v eut,
voilà un exemple brillant de fa plus belle Éloquence;
mais ce n’eft pas ce que nous avons appelé
fpécialement le Sublime: en le contemplant, ce
Sublirtie, nous fommes tranfportés d’étonnement ;
tum OVympl concujfum , inoequales procellàs ,
frçmitum maris , trementes ripas , ac rapt a
in- perras proecipiti turbine fulmina cernimus.
Enfin le Sublime diffère du Grand, & l’on ne
doit pas les confondre. L ’expremon d’une grandeur
extraordinaire fait le Sublime , 8c l ’expreflion d’une-
grandeur ordinaire fait le Grand. Il eft bien vrai
que la grandeur ordinaire du difçours donne beaucoup
de plaifîr ; mais le Sublime ne plaît pas fim-
p|ement, i l ravit, Ce qui fait le fira n d dans le
difcouts a plufîèurs degrés ; mais ce qui fait le
Sublime , n’en a qu’un. M. Le Febvre a marqué la
diftinction du Grand 8c du Sublime dans un difçours
plein d’efprit, écrit en latin ; i l dit : Magnitudo
abfque Sublimitate, Sublimitas fine Magnitudine
numquam eriv: ilia quidem mater e f i, & pulçhra,
& nobilis, & generofa ; fed matre pulchrà filia
pulchrior.
Quant au Sublime des fentiments , une compa-
raifon peut illuftrer mon idée. Un roi qui, par une
magnificence bien entendue 6c fans faite, fait un
noble ufage de fes richefles , montre de l a Grandeur
dans cette conduite ; s’il étend cette magnificence
fur les perfonnes de mérite , cela eft encore plus
grand ; s’il choifit de répandre fes libéralités fur
les gens de mérite malheureux, c’eft un nouveau
degré de Grandeur 6c de vertu : mais s’il porte la
générofité jufqu’à fe dépouiller quelquefois fans
imprudence, jufqu’à ne fe réferver que ï ’efpérance,
comme Alexandre, .ou jufqu’ à regarder comme
perdus tous les jours qu’il a paffés fans faire du
bien: voilà des. mouvements fublimes , qui me
ravinent & me tranfportent, 8c qui font les feuls dont
l ’expreflion puiffe faire, dans le difçours, le Sublime
des fentiments.
Cependant comme la différence du Grand 8c du
Sublime eft une matière également agréable 8c importante
à traiter , nous croyons devoir la rendre
encore plus fenfible par des exemples. Commençons
par en citer qui ayent raport au Sublime des
images, , pour venir enfuite à ceux qui regardent le
Sublime de s, f en timen ts. .
Longin cite pour fublimes ces vers d’Euripide, q4
le Soleil parle ainfi à Phaéton :
Prends garde qu’une ardeur , trop funefte à ta v ie ,
N e c’emporteau deflus de l’ aride L y b ie ; •
L à jamais d’ aucune eau le fillon arrofé , .
N e r a fr a ich it m o n char dans fa courfe embrafé.
A u fli- tô t devant to i s’ offriront fept étoiles ;
D reffe par. là ta co u r fe , ,& fuis le d ro it ch emin .
D e fes ch e vau x a î lé s il bat les flancs agiles;
Le s co.urfiers du S o le il à fa -v o ix font dociles ,
I ls v o n t : le ehar s’ é loigne :, & plus prompt qu’ un éclair ,
Pénètre en un moment les vaftes champs de l’ air..
L e père c e p en d an t , plein d’ un trouble fime-fte.
L e v o it rouler de lo in fur la plaine eèlcfte ,
L u i montre encor fa ro u te , 6c du plus haut des cieux
L e fuit autant qu ’il-p eu t de la v o ix 6ç des ieux.
V a par l à , lu i d i t - il, reviens , d é to u rn e , arrête.
Çés vers font pleins d’images, mais ils n’ont
pojnt ce tour extraordinaire qui fait le Sublime s
c’eft un beau récit qui nous incérefle pour le Soleil
8c pour Phaéton ; on entre vivement dans l’inquiétude
d’un père qui craint pour la vie de fpn fils;
mais l ’âme n’eft point tranfportée d’admiration.
V o u l e z - v o u s
Voulez-vous du vrai Sublime ? j’en trouve dans le
paffage du P f. cxiij. » La mer vit la puiflance de
» PÉternel, 8celle s’enfuit. Il jette fes regards, 8c
i> les nations font diflipées ».
Donnons maintenant des exemples de fentiments
grands 8c élevés; je les puife toujours dans Corneille.
Augufte délibère avec Cinna 8c avec Maxime, s’il
doit quitter l’Empire ou le garder. Cinna lui con-
feille ce dernier parti ; & apres avoir dit à ce prince,
que fe défaire- de fa puiflance ce feroit condanner
toutes les attions de fa v ie , i l ajoute :
On ne renonce point aux grandeurs légitimes,
On garde fans remords ce qu'on aquiert fans crimes;
Et plus le bien qu’on quitte eft noble, g ra n d e x q u is ,
Plus, qui l’ôfe quitter , le juge mal aquis.
N’imprimez pas, Seigneur ’» cette honteufe marque
A cés rarjes vertus qui vous ont fait monarque.
Vous l’êtes juftement, & c’ eft fans attentat
Que vous avez changé la forme de i’État : .
Rome eft deffous vos lois par le droit de la guerre,
Qui fous les lois de Rome a mis toute la terre :
Vos armes l’ont conquife ; & tous les conquérants,
Pour être ufutpateurs, ne font pas des tyrans :
Quand ils ont fous leurs lois afTervi des provinces.
Gouvernant juftement, ils s’en font juftes princes.
C’eft ce que fit Céfar ; il vous faut aujourdhui,
Condanner fa mémoire, ou faire comme lui.
Si le pouvoir iuprême eft blâmé par Augufte,
Céfar fut un tyran, 6c fon trépas fut jufte;
Et vous devez aux dieux compte de tout le fang .
Dont vous l'avez vengé pour monter à fon rang..
N ’en craignez point, Seigneur, lestriftes deftinées;
Un pluspuiflant démon veille fur vos années :
On a dix fois fur vous attenté fans effet;
k Et qui l’ a voulu perdre, au même inftant l'a fait.
D’un autre côté, Maxime, qui eft d’un avis contraire
, parle ainfi à< Augufte :
Rome eft à vous, Seigneur, l’Empire eft votre bien.
Chacun en liberté peutdifpofer du fien ;
Il le peut, à fon choix , garder ou s’en défaire :
Vous feul ne pourriez pas ce que peut le vulgaire , .
Et feriez devenu, pour avoir tout dompté,
Efclave des grandeurs où vous êtes monté !
Pofledez-les, Seigneur, fans qu'elles vouspofsèdent :
Loin de vous captiver, fouffrez qu’elles vous cèdent,
Et faites hautement connoîcre enfin à tous ,
Que tout ce qu'elles ont eft au delïous de vous.
Voire Rome autrefois vous donna la naiflancè J
Vous lui voulez donner votre toute-puiflance :
Et Cinna vous impute ce crime capital
La libéralité vers le pays natal !
I l appelle remords l'amour de lapatrie !
Par la haute vertu la gloire eft donc flétrie,
Gr a m m . e t L i t T J: r a T» Tome I I I ,
Ec ce n ’ eft q u 'u n ob je t d igne de n o sm ep c îs ,
Si de fes p leins effets l ’ infamie eft le prix !
J e v eu x bien a v ou e r qu ’ une a f t io a û belle
D o n n e à R om e b ien plus que vous ne tenez d ’e l l e ;
, Mais cominec-on un crime in d igne de p a rd o n .
Q uand la reco.nnoiffance e ft au deflus du d o n î
Su iv e z, fu iv e z , S e ig n e u r , le C ie l q u i vous infpire.
V o t r e g lo ire redouble à méprifer l ’Em pire;
E t vous ferez fameux chez la p o fté ric é ,
Moins pour l’ av o ir a q u is , que pour l ’a v o i r q uitte.
L e b onheur p eut conduire à la grandeur fuprême
Mais pour y ren o n c e r , il faut la vertu .même;
E t peu de généreux v o n t jufqu’ à dédaigner ,
Après un feeptre a q u is , la douceur d e régner.
On ne peut nier que ces deux difçours ne (oient
remplis de noblefle , d.e Grandeury Sc d’Éioquence j
mais il" n’y a point de Sublime. Les (entiments nobles
qu’ils étalent ne font que des réflexions de
l’efprit, & non pas des mouvements a&uels du coeur,
qui tranfportent l ’âme avec l ’emotion héroïque du
Sublime.
Cependant, pour rendre encore plus fenfible la
différence du Grand & du Sublime , j’alleguerai
deux, exemples, où l ’un & l ’autre fe trouvent cn-
femble dans le même difçours. La même tragédie de
Cinna me fournira le premier exemple ; 6c celle de
Sertorius , le fécond.
Dans la tragédie de Cinna , Maxime , qui vouloit
fuir le danger, ayant témoigné de l ’amour àÉmilie,
qu’il tâche d’engager à fuir avec lu i , elle lui parle
ainfi :
Q u o i ! tu m’ ôfes a im e r , & tu n’ ôfes mourir !
T u prétends un peu trop : mais q u o i que tu prétendes , _ .
R e n d s - to i digne du moins de c e que tu demandes;
C e fle de fuir en lâche un g lo r ieu x trépas,
O u de m’ o ffrir un coeur que tu fais v o ir fi bas ;
Fais que je p orte en v ie à t a vertu p a r fa ite ;
N e te pouv ant a im e r , fais q ue je te re reg re tte ;
Montre d ’ un vrai roma in la rdemièce v igueur;
E t mérite mes p leu r s ,.au défaut de mon coeur.
L é premier vers eft fublime , 6c les autres, quoique
pleins de Grandeur, ne font pourtant pas du
genre fublime.
Dans là tragédie de Sertorius , la reine Viriate
parle à Sertorius , qui refqfoit de l ’époufer parce
qu’il s’en croyoit indigne par fa naiffance, & qui
cependant la vouloit donner àPerpenna;& fur ce
qu il difoit qu’il ne vouloit que le nom de créature
de la.reine , elle lui répond :
Si vous p renez ce t it re , ag ifle z mo ins en maître ».
O u m’ aprenez du m o in s , Se ign eu r, par quelle lo i
V o u s n’ ôfez m'accepter 6c difpofer de mo: î
A c co rd e z le refp.ed que mo n trône vous d o n n e ,
K k k