
liomme ; j’J& erai donc i c i , fans détour, n’être pas
de fon fentrftï ;nc.
Je fuis loin de penfer que les fujets propofés
par Ariftote foient tous dénués de F'raifemblance :
il eft très-(impie & très-naturel qu’un fils tue fon
père , comme CEdipe, fans le connoître , ou qu’une
mère foit prête à immoler fon fils, comme Mé-
rope, en croyant le venger; & quand ces faits
n au roi eut en eux - mêmes aucune apparence de
vérité , pris dans les familles les plus illuftres de
, ^ r,ece * avoienc (ans doute pour eux la célébrité,
1 opinion publique: or pour les faits que
^}on fuppofe dans l’avant-fcène extra fa bulant,
1 opinion tient lieu de Fraifemblance. Mais en
voyant fur le théâtre les fujets de PoiyeuCte, de
Rodogune, & d Héraclius, perfonne ne fait ni ne
veut (avoir ce qui en eft pris dans l ’Hiftoire ; elle
eft donc comme un témoin muet. En vain Baronius
fait mention du (acrifice de Léontine : on ne lit
point Baronius ; & fon témoignage n’eût fervi
de rien, fi 1 action de Léontine n’avoit pas eu fa
Vraifemb lance en elle-même, c’eft à dire,'un jufte
raport avec l ’idée que nous avons de ce que peut
une femme aufli fière, aufli ferme , au/fi courageufe ,
dévouée à (on empereur.
Je dis plus : de quelque manière que les faits
foient fondes , rien ne les difpenfe d’être vraifem-
blables, dès qu’ils font employés dans l ’intérieur
de 1 aCtion; & nous* n’y ajoutons foi qu’autant que
nous les voyons arriver comme dans la nature ,
c eft a dire, félon l ’idée que nous avons des moyens
qu elle emploie & de l ’ordre qu’elhe- fuit. Res
autem ipfæ ita deducendoe difponendoeque fu n t ,
ut quant proximé accédant ad veritatem. ( Seal.)
Cependant la chaîne des caufes & des effets n’eft
pas fi conftamment vifible , & le cercle des facultés
de la nature n’eft pas fi marqué ,* que le
vrai connu foit la limite du vrai poffible ; \ c’eft
par une extenfion de nos idées, que la Poéfie s’élève
du familier à l’extraordinaire ou au mervesMeux naturel.
m
Dans la nature., tout eft fîmple & facile pour
e l le , & tout devroit être merveilleux pour nous.
Un homme fenfe ne peut réfléchir fans étonnement,
ni a ce qui lui vient du dehors , ni à ce qui fe
paffe au dedans de lui - même. L ’organifation d’un
brin d’herbe eft aufli prodigieufe que la formation
du foleil ; le mouvement qui pafle d’un grain
de fable a 1 autre , eft aufli myftérieux que la
propagation de la lumière & que l ’harmonie des
fpheres céleftes : mais 1 habitude nous rend l ’incom-
préhenfible même fi familier , qu’à la fin i l nous
paroît commun. » Au bout d’un an, le monde a
» joue (on jeu ; i l n y fait plus rien que de recom-
» mencer ». ( Montagne. ) Voilà du moins ce qui
nous en fehible : nous croyons retrouver tous les
ans le meme tableau ; & les variétés infinies qu’il
étale y (ont diftribuées avec une harmonie fi conf-
tante, une fi parfaite unité de deflin, que la nature I
s y fait vpir toujours femblable à elle-même.
Mais fi, dans la fi&ion du poète, la nature, s’éloignant
de fes fentiers battus , produit un compofé
moral ou phylîque d’une fingularité qui reffemble
au prodige ; l’étonnement nous porte à l’incrédulité :
& c eft là qu’il eft difficile de ménager la Vraifem-
blance.
Si la feinte pafle les moyens & les Jacultés que
nous attribuons à la nature ; fi elle emploie d’autres
reflorts, d’autres mobiles que les liens; fi
au Ücu de la chaîne qui lie les évènements & de
la loi qui les difpofe , elle établit des intelligences
pour y préfider & des caufes libres pour les produire
: ce- nouvel ordre de chofes nous étonne
encore davantage ; mais l’opinion l’autorife , & il
eft moins inuraifemblable que turel. le merveilleux naPour
nous faire imaginer la nature appliquée à
former un prodige , il faut d’abord que l’objet en
foit digne à nos ieux , par l’importance que nous
y attachons ; & de plus, que les moyens que la
nature a mis en oeuvre nous foient inconnus ou
caches,, comme les cordes d’une machine : dès que
nous les apercevons , l’illufion fe diflipe; & au lieu
do’rudnin afpiree&. acle étonnant, ce n’cft plus qu’un fait
La nature, aux ieux de la raifon, n’eft jamais
plus étonnante que dans les petits objets : Inarcîum
coacta rerum naturoe majejlas ( Pline l ’ancien ),
je le fais ; mais ce n’eft point à la raifon que s’a-
dreffe la Poéfie , c’eft à l’imagination. Or celle-
ci ne peut fe figurer la nature férieufement appliquée
à produire un papillon ; Ariftote l’a dit. La
beauté fenfible n’eft pas dans les petites chofes;
elle confifte dans une compofition régulière & har-
monieufe, qu i, pour fe dèveloper aux ieux, exige
une certaine étendue : or l’imagination fe décide
fur le témoignage des fens ; ce qu’ils n’aperçoivent
qu’en petit ne fauroit donc lui paroître digne d’occuper
la nature. Les. plus grands génies ont penfé
quelquefois à cet égard comme le vulgaire : Magna
cLH curant, parva negligunt, dit Cicéron ; &
il en donne pour raifon l’exemple des rois : Nec
in regnis quidem reges omnia minima curant ; » comme fi à ce roi-là, dit Montagne , c’étoit plus
» & moins de remuer un Empire ou la feuille d’un
» arbre, & fi fa providence s’exerçoit autrement
» inclinant l’évènement d’une bataille ainfi'que le
» faut d’une puce ». Il réfulte cependant de cette
façon de concevoir, commune au plus grand nombre,
que le merveilleux dans les petites chofes doit
être renvoyé aux contes des fées, & que , fi la
nPaonétf.i e e*n fait ufage, ce ne doit être qu’en badiQuant
aux moyens que la nature emploie pour
opérer un prodige, s’ils font connus, il faut les
deguifer & , par des circonftances nouvelles , nous
dérober la liaifon de la caufe avec les effets.
La comète qui parut à la mort de Jules-Céfar
fut un prodige pour Rome. Si fa révolution eût
été. calculée & fon ellipfe décrite , ce n’eût été
qu’une planète comme une autre , qui eût fuivi le
branle commun. Mais qu’eût fait le poète alors ?
il eût donné à la chevelure de la comète une forme
étrange, un immenfe volume; & dans fes feux
redoublés à l’approche de la terre, il eût marqué
l’intention de la nature d’épouvanter les romains.
L ’aurore boréale a pu donner autrefois , comme
l’a obfervé un philofophe célèbre, l’idçe de l’af-
femblée des dieux fur l’Olympe ; aujourdhui quelle
eft au nombre des phénomènes les plus communs ,
elle attire à peine les regards du peuple : mais
qu’un poète fût agrandir rimage de ces lances de
feu , que femble darder une jnvifible main des bords
de l’horizon jufqu’au milieu du ciel, & appliquer
ce phénomène à quelque évènement terrible ; il
rdeep prernoddriognet., m,ême à nos ieux, lecaraétèreeffrayant
^ Il eft tout fimple que, dans les ardeurs de l’été, une
riviere fe déborde, eiïflée par un orage , & tarifle le
lendemain. Homère rapproche ces deux circonftances
: au lieu de l’orage, c’eft le Xante lui-même
qui s’irrite & qui enfle fes eaux ; au lieu des chaleurs
de l’été , c’eft Vulcain qui fait confumer les
eaux par les flammes.
Lucain, en décrivant les lignes redoutables qui
annoncèrent la guerre civile : » L’Êthna, dit-il,
» vomit fes feux , mais (ans les lancer dans les
» airs; il inclina fa eîme béante , & répandit les
» flots d’un bitume enflammé du côté de l’Italie ».
Dans la Jérufaient du Tafle, les nuages qui
verfent la pluie dans le camp de Godefroi, ne £è
font pas èlevér de la terre, ils viennent des réfer-
voirs céleftes.' \
Ecco fubiti nubi, e non de terra.
.Gia per virtù del foie in alto afcefej
Ida fo l dal c ie l , che tutte âpre e differra
Le porte fue, veloci in giù difeefe.
Voilà ce que j’appelle donner à un évènement
familier le carâétère du merveilleux , & à ce merveilleux
un air de Vraijemblance ,* car dans tous
ces exemples la grandeur de l’objet répond à celle
du prodige, digjius vindice nodus. ' .
J’ai déjà dit en quoi confifte le merveilleux naturel
, & je ne fais ici qu’en détailler encore l’idée.
Dans le moral, ce qui eft le plus digne d’admiration
& d amour, un Burrhus, un Mornaî , un
Télémaque, une Zaïre , une Cornélie : dans le
phyfique , ce qui peut nous caufer l’émotion du
plaifir la plus pure & la plus fenfible, une vie
délicieufe comme celle de l’àgè d’or , des lieux
enchantés comme Eden ou comme les îles fortunées
, furtout l’image de ce que nous appelons
par excellence la beauté, une taillé élégante &
correCte, la douceur, la vivacité, la fenubilité ,
la noblefie , toutes les grâces réunies dans les traits
du vifage , dans la forme & les mouvements du
corps d’une Vénus ou d’un Apollon , Hélène au
milieu des vieillards t-royens, Achille au fortir de
la Cour de Scyros ÿ voilà le merveilleux de la
beauté dans le phyfique. Le foin du poète alors
eft de raflembler les plus belles parties dont un
compofé naturel foit fufceptible , pour en former
un Tout régulier ; & de diïpofer les chofes comme
la nature les eût difpofées, fi elle n’avoit eu pour
objet que de nous donner un fpeCtacle enchanteur.
L ’accord en fait la Vraifemb lance , & la méthode
en eft la même dans tous les arts d’agrément. En
Peinture, les vierges de Raphaël, les Hercules
du Guide; en Sculpture, la Vénus pudique &
l’Apollon du Vatican n’avoient point de modèle
individuel. Qu’ont fait les artiftes î ils ont recueilli
les beautés éparfes des modèles exiftants, & en
ont compofé un Tout plus parfait que la nature
même. Ce choix tient au principe de la Poéfiê,
au raport des objets avec nos organes; & le poète
qui le faifit avec le plus de juftene , de délicatefle,
& de vivacité, excelle dausl’art d’embellir la reflem-
blance de la nature.
La beauté poétique eft donc quelquefois la
même que la beauté naturelle? O ui, toutes les
fois que la Poéfie veut nous caufer les douces émotions
de l’amour &. de la joie, le plaifir pur de
nous voir entourés d’être formés à fouhait pour
nous.
Dans l’article Beau , nous avons reconnu que
l’idée & le fentiment de la beauté phyfique va-
rioient félon le caprice , l’habitude , & l’opinion :
mais la beauté morale eft la même chez tous les
peuples du monde. Les européens ont trouvé
une égale vénération pour la juftice, la généro-
fité , la clémence chez les fauvages du nouveau
monde, comme chez les peuples les plus cultivés ,
les plus vertueux de ce continent. Le mot du cacique
Guatimofin, » Et moi , fuis-je fur un lit de
» rofe ? » auroit été beau dans l’ancienne Rome ;
& la réponfe de l’un des proferits de Néron au
licteur, tfjtinant tu tant fortiter feria s ! auroit
été admirée dans la Cour de Montéfuma. Dans
Sadi, poète perfan , un Sage fait cette prière :
» Grand Dieu ! ayez pitié des méchants, car vous
» avez tout fait pour les bons lorfque vous les
» avez faits bons ». Socrate n’auroit pas mieux dit.
Le fentiment du beau moral eft donc univferfel
& unanime : la nature en a gravé le modèle au
fond de nos âmes ; mais il exifte- rarement. Il n’y
a point de tableaux parfaits dans la difpofition naturelle
des chofes : la nature , dans fes opérations ,
ne fonge à rien moins qu’à nous plaire ; & l’on
doit s’attendre- à trouver dans le moral autant &
plus d’incorreôtions que dans le phyfique. La clémence
d’Augufte envers Cinna eft dégradée par le
confeil de Livie ; la gloire du conquérant du Mexique
eft ternie par une lâche trahifon : l’Hiftoire
a peu de caractères dans lefquels la Poéfie ne foit
obligée de diflîmuler & de corriger quelque chofe;
c’eft comme une ftatue de bronze qui fort rabo-
teufe du moule, & qui demande encore la lime ;