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équivoque : il croiroit s’élever au deffus de lui-même,
& il tomberoit au deflous.
Quand /la manière décèle l ’auteur , quand les
traits expriment la paiîion, quand les Tons imitent
u înouvei*îent > quand les couleurs peignent la
choie v quand les tours marquent le fujet, quand
fcpond au genre, quand les termes rendent
1 idee : alors la reprefentation équivaut à la réalité j
alors la diftradion celle , l ’attention croît, le ftyle
a toutes les qualités néceffaires pour plaire & pour
attacher. { 'A n o n ym e , )
(N . ) PROSAÏQU E , adj. Qui tient du ftyle
de la Profe , qui eft fans noblefle, fans élévation
lans mverüons, fans ellipfes hardies, fans grandes
ligures. P
En ce fens, Profàiqioe eft oppofé à Poétique ,
quoique Profe ne fait primitivement & directement
oppofé qu’à Vers : c’eft qu’il eft- aifé de palier
de 1 idee des vers à celle de la Poéfie , dont ils
lont le langage , & qui eft en effet extraordinaire
dans Tes tours, élevée dans fes tons, hardie dans
les figures ; au lieu que la Profe fuit fcrupuleufe-
ment les règles, ne prend que le ton naturel de
chaque choie , & ne iè fert que de figures peu làil-
L épithète de Profdique ne fe dit que des vers
dont la marche eft plus conforme a celle de
la Profe ordinaire, que convenable au langage de
a ” oe^e : tels font, de l ’aveu d’Horace lui-
ipeme, ceux de fes épitres & de fes Cuites : fer-
mom propiora : tels font ceux des comédies de
Molière. Mais on-donne auili le nom de Profit-
q ue s, à des vers dont la marche eft froidement
analytique , les idées communes, les termes ignobles
, les expédiions triviales, le ftyle fans çou-
leur & fans vie , tels en un mot qu’une effervefcence
inconiïdérée en infpire tous les jours à une foule
de jeunes verfificateurs : on a tojrt de les qualifier
profaiques ; ce font des vêts plats. ( M. B e a u -
ira
P R O S A Ï Q U E , adj. Belles-Lettres. Poéfu
tVers profdique ; ftyle profdique.
■ Dans la très-haute Poéfie, il eft aifé de diffin
guer un vers profdique , & d’en indiquer le défaut
L e caraâère de ce genre de Poéfie eft fi marqu,
Rjft te coloris , 1 harmonie, la pompe de l ’ex
preffion, la hardieffe des tours, des mouvements
& des images, que, lorfqu’elle defcend au toi
& au langage de la Profe , c’eft à dire , lorfqu’elli
emploie un ftyle dénué d’harmonie & de couleur
foible d’expreffion, languiffant, ou timide dans le<
tours ou _ dans les figures, on dit C’eft delà Profe'
& 1 on s y trompe rarement.
Mais lorfque la Poéfie fe raprochedu ftyle familier
, comme dans l’Épitre & dans la' Comédie
quel eft fon caraâère diftinâif, & A quoi recon-
ooître le vers qu’on peut appeler profdique i
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Citons quelques vers fans couleur, fans inverfièns,
fans hardieffe $
On plaie moins par l’efprit que par le caraftère.
La honte eft dans l’offenfe , & non pas dans l’excufe*
Qui n a point de délit eft exempt de befoins.
L'homme toujours heureux fait-il s’il eft aimé*
On aftoiblic toujours ce que l’on exagère.
Qui méprife fa vie. eft maître de la mienne:-
Le malheur n’avilit que les coeurs fans courage.
Nous perdons par degrés les erreurs les plus chères.
Il faut rendre meilleur le pauvre qu’on foulage,
Les: bêtes ne font pas fi bêtes que l’on, penfé.
Chacun croit aifément ce qu’il craint ou délire.
Qu’il eft dur de haïr.ce qu’on vouloir aimer ! .
V o ilà certainem ent d’excellents vers & d’excel*
lentes lignes de Profe , à la mefure ’ près r n ulle'
im a g e , n u lle lic en c e , nulle- m étaphore hardie
rien qu i ne foit du ftyle Je plus naturel & le plus'
fam ilier. C ’eft ainfî que l’on p arle lorfqu’on p a rle
b ien ; & cela mêm e fait encore q ueees vers font
m eilleurs. Q u ’eft - ce donc qui diftingue un vers-
profaïque d’un vers qui ne l ’eft pas ? un feul défaut
: le q u e l? le m anque d’harm onie? n o n , pas
encore. I l y a de très-bons vers dont l'harmonie ne&
pasfenfible :
Quand tout le monde a tort,, tout le monde a taifonr
T e l eft devenu fat à force de leâure ,
Qui n'eût été qu*un foc en fuivant la nature;
Un foc lavant eft fot plus qu’un foc ignorant:
N u lle harm onie dans ces vers'*: le dernier m êm e
eft pénible a l ’o reille , & n’en eft pas m oin bon*-
Q u e l eft donc le défaut qui fait qu’un vers eft.
profaïque î le mot. latin foluta oratio nous l ’indique
; & ces vers deB oiieau nous le font fentir encore
m ieux :
M au dit fort le premier do n t la v erv e infenfée
Dan s lés bornes d 'u n vers enferma Ta penfée j,
E t donn ant à fes mots une étroite prifon ,,
V o u lu t , a v e c la rime enchaîner la raifon..
C’ eft cette preçifîon, cet encadrement delà penlee
dans les limites étroites du vers qu’elle remplit
exa&ement, fans qu’on y aperçoive ni du vide ni
de la gêne, & de manière que l ’expreftion y femble
comme jetée au moule : c’eft là ce qui diftingue
effenciellement les vers bienfaits ,'des vers lâches
des vers contraints * & enfin dès vers p ro f cliques,
Ainfî, par exemple , les vers de Campiftron &-
de La Grange font fouvent p r o fa iq u e s bien que
le ftyle en foit plus élevé que celui de la Profe y
parce qu’ils f o n t diffus & foibles : ainfî, ceux de
Racine ne le f o n t jamais , parce qu’ils font pleins»
A iç fî, les beaux vers de Corneille font les plus
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beaux vers de notre langue , parce que la nature
elle-même femble les avoir faits, & que la penfee
qu’ils expriment femble être née dans la tête du
poète revêtue de fon expreftion. Quoi de plus fem-
blabie.à de la bonne Profe , & quoi de plus heureux
que ces vers?
Rome , fî tu te plains que c’eft là te trahir ,
Fais-toi des ennemis que je puiffe haïr.
Nous nefommes qu'un fang. & qu’un peuple en deux, villes,
Pourquoi nous déchirer par des guerres civiles ?
Dis-lui que l’amitié, l’alliance,l’amour ,
Ne pourront empêcher que les trois Curiaces
Ne'fervent leurs pays contre les trois JHoraces,
Il y en a mille dans ce poète, mille dans Racine,
mille dans Voltaire, qui, à la mefure près,
font les mêmes phrafes que Boffuet ou Maffillon
auroient employées , pour exprimer en Profe le
même fentiment où la même penfée^ : mais cette
alliance parfaite de la jufteffe, de l’élégance , de
la force de i’expreflïon avec la mefure , la cadence
& la rime, procure, à l’elprit & à l’oreille en même
temps, cette fatisfaétion mélée de furprifè , qui
naît d’une difficulté ingénieufemenl vaincue , plaifir
expreffément attaché aux bons vers.
C’eft par là que ce qui n’eft fouvent dans les vers
de Racine qu’une Profe élégante & noble , telle
que Boffuet l’auroit faite, ne iaiffe beaux vers. pas de former de
Penfez-vous être faint & 'jufte impunément?
Ce temple l’ importune, 5c fon impiété
.Voudroit anéantir le dieu qu’il a quitté.
Pour vous perdre il n’eft point de refforc qu’il n’invente :
Quelquefois il vous plaint, fouvent même il vous vante.
Celui qui. met un frein à la fureur des flots-,
Sait aulfi des méchants arrêter les complots:
Soumis avec refpeft à fa volonté fainte ,
Je. crains Dieu , cher A b n e r , & n’ai point d’autre crainte.
Si mon obfervation eft jufte , il n’y a point de
ftyle poétique proprement dit ; & avec de la Poéfie
( ou ce qu’on appelle communément ainfî) , on
peut faire de mauvais vers , comme on peut en
faire d’excellents avec de la Profe : rien , par
exemple, déplus femblable à de la Profe queees vers
de Molière, & cependant lien- de mieux fait.
Qu’importe qu'elle manque aux lois d‘e Vaugeias,
Pourvu qu’à la cuilîne elle ne; manque pas ?
J aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant fts herbes',
Elle accommode- mal les noms avec les verbes,
E f redife cent fois un bas 6c méchant mot,
Que de brûler ma viande ou faler trop mon pot :
Je vis de bonne foupe , & non de beau langage.
ÜVaugelas n'aprend point à bien faire un potage ;
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Et mafherbe & Balfa c, fi favants en bons îtiots,.
En euifine peut-être auroient été des focs.
Au contraire, rien de plus poétique , à ce qu’ort
d it, que des vers où les inverfions , les métaphores
les hyperboles, les épithètes éclatantes , les ex-
preffions étranges & hardies font prodiguées j mais
dans lefqueis tous ces mots entaffés ne font que
gonfler Pexpreflion & promener dans un long détour'
une penfée foible & commune. Ainfî, ceux qui refu--
fentle nom de Poèmesauxcomédies de Molière , ait
Tartufe, au Mifanthrope, à V École des femmes y
à l ’École des maris , aux Femme r favantes , &
qui appellent cela de la Profe rimée , & ceux qui
fe récrient fur la belle verfîfication d’une pièce, qui
n’eft fouvent qu’une déclamation tramante où qu’uns
pompeux galimathias , me femblent également
ignorer ce qui fait les vers profaiques , & ce qui
caraftérife les bons vers.
Il faut obferver cependant que , dans la Profe y
ce qui eft incompatible avec la précifîon, avec le
tour v if, animé, rapide & de l ’expreflion & de
la penfée 5 ce qui rend l ’une trop diffufe & ’ l’autre
ianguiffante j ce qui embarra-ffe ou retarde leur mouvement
& les apefanlit ; des formules de tranfîlions&
de rationnements , de longs mots dénués d’harmonie,
des contextures de phrafes enchevêtrées o-u prolongées
} tout cela , dis-je , doit être exclu des vers
par la raifon que , dans ce petit cercle où l ’ex-
'preffion eft renfermée , tout doit être net & prelle.-
L e néceffaire y doit trouver place comme dans un
navire , & l ’inutile en être rejeté : ou, pour me
fervir d’une autre image, la verfîfication eft une
mofaïque dont il faut remplir le défini : les pièces
en font prefque toutes éparfes dans la Profe ; iL
s’agit de les difeerner , de les choifir , de les mettre
à leur place, de le’s adapter de manière que clia-^
cune d elles porte une nuance au tableau , & que
toutes enfemblefans lai-ffer aucun vide, fans fe
gêner , fans déborder l ’efpace qui leur eft preferit ,
forment un T ou t, dans lequel l ’induftrie & le travail
fe dérobent aux ieux; ( M. M a r m o n t e l . )
( N. ) PROSAISER, v. n. Écrire en profe. Noä
Diéïiomiaires ont tenu compte du verbe Poétifer
(Écrire en vers comme les poètes ) , & fne parlent
point du verbe Profaïfer, qui a également lieu
dans le ftyle marotique. J. B.Rouffeau emploie l ’un
& l ’autre à l a tête de fa Lettre I I I , adreffée £
M. d’U'ffé :
Maître Vincent ( i ) , fe grand fe feu r de lettres,
Si bien que vous n’eût fu profaïfer :
Maître Clément. ( 2 ) le grand forgeur de mètres-,.
Si doucement n’ eût fu- poétifer.
D ’ailleurs ces deux verbes répondent fîexaéïemenS
(1) V in c e n t V o iture:
(1) Çlsm enç Maroc,