
que les faits ifolés gliffent fur la mémoire, & ne difent rien à l’elprit ;
qu ils n acquièrent quelque valeur que par la comparaifon que nous en
faifons avec ceux qui font analogues ou différens, que parce qu’ils nous
aident à généralifer les phénomènes du même ordre, à remonter vers le9
caufes, en un mot, que parce qu’ils foutiennent ou renverfeht les idées
que notre intelligence s’eft formée des caufes poffibles. Le fyftême eft
pour le phyficien ce qu’eft le niveau dans la main de l’architeûe ; s’il lui
donne une confiance trop aveugle, il manque la ligne & s’égare d’autant
plus, qu’il en porte plus loin la direction ; mais fi dans l’efpace qu’il parcourt
, il multiplie à chaque pas les points de vérification, s’il fe fert habilement
de fes premières erreurs pour corriger fon inftrument, il parvient
à le rendre fidèle, & l’harmonie de fes opérations en démontre la
régularité. Dans l’étude de la nature , comme dans la pratique de l’art , il
n’eft pas donné à l’homme d’arriver au but fans laiffer des traces des fauffes
routes qu’il a tenues.
J’avois annoncé le projet de refondre les matériaux que je trouverois
dans 1 ancienne Encyclopédie, & de fuppléer feulement ce qui y manquoit;
mais je n’avois alors fondé que bien fuperficiellement cette mine; je me
fuis bientôt apperçu qu’il n’en réfulteroit qu’une fujétion pénible, & tout-
à-fait contraire à l’objet d’utilité que je devois me propofer : le peu que
j’y ai pris jufqu’à préfent, quoiqu’avec l’intention de n’y rien laiffer, prouvera
fuffifamment que l’exécution de ce premier plan eût été impoffible. Il
ne falloit pas moins que cette conviâion pour me décider à entreprendre
un ouvrage abfoiumeiic neuf. J’efpère qu’on ne me foupçonnera pas pour
cela de vouloir diminuer le mérite de ceux qui ont donné la Chymie dans
la première Encyclopédie; la gloire qui refte attachée à leurs noms leur
eft acquife bien légitimement, puifque de leur temps ils marchoient les
premiers dans la carrière, & que la rapidité des progrès dont ils n’ont pu
être témoins1-eft en grande partie le fruit de leurs travaux; mais ils n’ont
fourni que des articles féparés, aucun d’eux ne s’étoit chargé d’y mettre
lenfemble & la liaifon, & puis la fcience a tant acquis depuis, elle s’eft
enrichie de découvertes fi capitales, que fi ces auteurs vivoient aujour-
dhui, ils voudroient eux-mêmes retraiter différemment prefque tout ce
quils ont écrit. C’eft ainfi que l’illuftre Macquer , qui avoit déjà refait fes
élémens dans fon dictionnaire, annonçoit dans fà fécondé édition, donnée
feulement douze ans apres, que comme toits les objets de la Chymie avoient
entre eux beaucoup de liaifon & de carrefpondance, il ny avait, à proprement
curciffe la fcience en entalîbnt fans ordre un grand nombre d’expériences ; il regarde « les fyüêmes en
» phyfiqne comme des méthodes d’approximation, comme des hypothêfes qui fucceflï ventent modi-
» fiees, corrigées , changées, a mefure qu’elles font démenties par l’expérience, doivent nous con-
» duire immanquablement un jour, à force d’éliminations, à la eonnoilTance des vraies loix de la nature.
(Mém. de l ’acad. roy, des fe . arm. ryjy , page $92. )
parler, aucun article qui neût été retouché & augmenté relativement aux nouvelles
découvertes : c’eft ainfi qu’il m’écrivoit familièrement au mois de janvier
1776 y c’eft-à-dire, à une époque bien poftérieure à la publication
de l’Encyclopédie : vous connoijfe7^ ce que cejl que la Chymie aàuelle, qui,
tout enfant quelle étoit il n y a que deux jours ,Je trouve tout d’un coup dans
une crife de croiffance incroyable, & fe transforme en un colojfe. La poftérité,
qui ne juge que furies titres qui lui parviennent, lui rendra fans doute la
juftice que les feâateurs de quelques écoles particulières fèmblent lui re-
fufer, celle d’avoir fait fortir la fcience de l’école pour la produire fous
des dehors moins rebutans aux yeux de tous ceux qui méritoient de la
connoître ; d’en avoir donné les premiers ^udimens raifonnables dans des
ouvrages écrits avec une élégante fimplicité, penfés profondément &
remplis des vues d’une faine philofophie ; en un mot, de siêtre placé au
rang de ces hommes qui , animés de la noble ambition de porter la lumière
sau-delà de ce qui les environnoit, ont heureufement tenté de pro-
feffer, dans leurs livres,,pour plufieurs peuples ôc pour plufieurs générations.
Je m’étois flatté du moins que je pourrois prendre , dans l’ancienne Encyclopédie,
la partie hiftorique qui, d’autant plus sûre qu’elle a été rédigée
dans un temps plus v.oifin des faits,'ne doit plus être fujette à changer;
la vérité eft que je n’y ai rien trouvé. Il n’eft pas ici queftion de cette
hiftoire de la fcience, qui ne confidère en quelque forte que la marche de
1 efprit humain, qui ne prend garde qu’aux maffes , comme monumens
des périodes de progrès & de jouiffances ; j’ai déjà annoncé que ce feroit
la matière d’un Difcours préliminaire : je parle ici de ces notions hifto-
riquès qui, dans chaque article, doivent fixer la date des inventions & les
droits des inventeurs. S’il eft vrai de dire que les auteurs Allemands font
quelquefois un peu trop prodigues de cette érudition, on feroit peut-être
aufli bien fondé à reprocher aux François de l’avoir totalement négligée.
J’ai cherché à me tenir à cet égard dans de juftes bornes , & j’ai eu foin
d ifoler ces notices dès qu’il y avoit lieu à la moindre difcuflîon, pour
qu’on pût ou les paffer, ou les retrouver plus facilement. Il m’a paru
que ce feroit un défaut effentiel dans un ouvrage de cette nature., qu’en
expofant, par exemple, les propriétés de l’acide vitriolique, on laifsât
encore ignorer l ’époque où l’on a commencé d’être en poffeflion de ce
grand inftrumeat.
Il ne me refte plus qu’à parler de la nomenclature que j’ai adoptée; on
trouvera à 1 article Dénomination les principes d’après lefquels je l’ai formée
: mais tout en convenant de la néceflïté d’une réforme , & peut-être
de la vérité des réglés que jy ai appliquées, quelques-uns pourroient
penfer que j’ai en effet prétendu introduire , de mon autorité, une langue
nouvelle, & ils ne manqueraient pas de la juger enfuite peu favorable