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J’ai voulu obferver moi-même ce phénomène, &
pour cela j’ai pris les deux extrêmes, c’eft-à-dire,
une fonte très-blanche & une fonte d’un gris foncé
tirant au noir , qui cédoit facilement à la lime &
le laifloit même un peu refouler au marteau ; les
ayant trempées l’une & l’autre également rouges,
dans l’eau froide, la première n’a éprouvé aucun changement
ni pour la couleur, ni pour le grain ; la
fécondé a montré dans la calibre un grain confondant
exactement la même couleur d’un gris-bleu, mais
fenliblement plus fin ; elle avoit donc pris la trempe,
ce que l’on ne peut affirmer de la première , q u i, à
toutes les épreuves, le montra la même avant &
après l’opération.
Pour ne rien négliger de ce qui pouvoit alîiirer
les réfultats, j’ai eu l’attention de faire palfer ces
morceaux par un calibre avant de les faire rougir;
la fonte grife avoit pris une augmentation d’environ
Hf de ligne fur une longueur de 14 lignes ; fon poids
étoit relié le même, ou plutôt elle avoit perdii |
de grain fur 17 gros.
Enfin cfs morceaux touchés par l’acide nitreux
me fournirent encore une obfervation qui vient à
l’appui des précédentes. La fonte grife fut tachée
en noir comme l’acier, foit avant, foit après la
trempe , foit fur les faces extérieures, foit au centre ;
de la calibre ; tandis que dans aucun temps l’acide
nitreux ne lailîa la moindre tache de noir fur la
fonte blanche.' Je remarquai feulement comme une
fingularité que je n’avois pas encore apperçue, que
chaque goutte d’acide que j’y portois prenoit très-
promptement une couleur d’un jaune-citrin ; je me
garderai bien d’aflurer que ce foit une propriété de
toutes les fontes appellées blanches, ni même des
fontes blanches de la nature de celle que je traitois,
mais le plus petit foit peut devenir un caraCtère
utile, quand, à force de fe répéter fous les yeux
de l’obfervateur, il établit un rapport confiant avec
une forte de compofition particulière.
Ces expériences me fournilîbient déjà une partie
des lumières que je cherchois, mais elles ne déci-
doient pas allez à mon gré les conféquences que
l’on pouvoit tirer de celle de M. Jars ; je pris donc
le parti de la répéter en même temps dans quatre
creufets pareils, expoles au même feu du fourneau
Macquer, fovoir deux qui contenoient chacun trois
onces de la fonte blanche dont j’ai déjà parlé, &
les deux autres, chacun trois onces de*la fonte grife
ci-deflus décrite. Lorfque je jugeai que la matière
pouvoit être fondue, je retirai du fourneau un des
creufets qui contenoient la fonte grife & un de ceux
qui contenoient la fonte blanche, je les verfai furie
champ l’un & l’autre fur des afliettes de terre
non vernilTées, & je les laifïài refroidir à l’air libre.
T °ut en les verfant, je remarquai que la fonte
grife étoit bien plus pâteufe, la blanche plus fluide ;
à peine- cette dernière fut-elle coulée , il en jaillit
quantité d’étincelles blanches, brillantes , qui m’obligèrent
de m’éloigner.
A l’égard des deux autres creufets, non-feulement
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je les laiffai au fourneau, mais je les couvris de
nouveaux charbons, je jetai pardeflus des cendres
, & je laifiai la chape du fourneau ouverte
pour arrêter le tirage, de manière que le feu ne
s’éteignît que très-lentement.
Le lendemain je fis la comparaifon, & voici les
obfervations que je recueillis.
La fonte blanche coulée à l'air fournit une feule
mafle ronde de 4 lignes dans fa plus plus grande
épaifleur, remplie à la furface fupérieure, de grofles
bourfoufllures. Sa caflure étoit aufii blanche qu’aii-
paravant ; on n’y appercevoit pas plus de grain ;
elle étoit aufii dure à là lime , elle prit de même
à la meule un poli aflez v if, l’acide nitreux porté
deflus, fut bientôt coloré en jaune-citrin, & il n’y
laiflà pas plus de tache que fur le ferx doux ; les
traces de fon aCtion étoient fi peu marquées, qu’on
avoit peine à les retrouver.
La fonte blanche refroidie au fourneau avoit formé
un foui culot de 8 lignes Ç d’épaifleur , bien moulé,
qui ne pefoit plus que 3 onces moins 43 grains, à
caufe de quelques fcories noires très-légères, refiées
adhérentes aux parois du creufot. La couleur de fa
calibre n’avoit qu’une nuance dé différence, tournant
au gris , mais le grain y étoit beaucoup plus fon-
fible ; la lime y prenoit un peu plus facilement,
& l’acide nitreux y laiffa une tache très-difiinéle
d’une nuance intermédiaire entre celles de fer ductile
& d’un acier moii.
La fonte grife coulée à• l'air donna un gâteau de
3 lignes d’épaiffeur en fon milieu, couvert d’écailles
de for brûlé, qui repréfentoient les fourreaux des
fragmens mis au creufot , & même quelques morceaux
qui n’étoient pas entièrement fondus. Sa caf-
fure étoit manifeftement moins grifo qu’auparavant,
le grain un peu moins prononcé & plus dur à la
lime. Au refie l’acide nitreux la tachoit toujours d’un
gris-noirâtre.
La fonte grife refroidie au fourneau ne fut pas réunie
en un foui culot, il n’y eut de fufion complète que
d’environ les trois quarts ; la couleur de la calibre
étoit la même qu’auparavant, mais le grain étoit
confidérablement groffi y elle paroiffoit encore avoir
acquis de la dudmité fous le marteau, tandis qu’on
auroit jugé qu’elle auroit plutôt perdu que gagné,
par rapport à la facilité de céder à la lime ; enfin
l’acide nitreux y laiffa la même tache d?un gris-noir,
que fur le morceau coulé à l’air, & fur celui gardé
pour étalon.
Il eft aifé maintenant de circonfcrire les conféquences
de l’obfervation de M. Jars ; mais j’a f déjà
annoncé que mon plan étoit de réunir tous les faits
avant que de les raifonner.
Il eft bien connu que, de même que l’acier, le fer
devient aufii plus caftant en hiver & dans le temps
des grands froids , qu’en été ; mais on. n’eft pas également
d’accord de V effet de la trempe fur le fer duélile.
» Si on trempe1 du fer rouge couleur de cerifo, ou
n rouge-blanchâtre ( dit Réaumur ) , on né l’endurv
c ir a
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» cira pas au point de réfifter à la lime , mais il n’y
„ a pas d’ouvrier qui ne fâche que le fer qui a été
„ trempé , eft moins doux , moins pliant. . . . . mais
„-fi on veut voir tout ce que la trempe peut pro-
„ duire fur le fer, qu’on le chauffe prefque fondant
„ & qu’on le plonge alors dans Teau froide. J’ai
„ fouvent trouvé que le fer trempé ainfi fondant,
„ avoit une dureté, approchante de celle de l’acier ,
v qu’il réfiftoit aux limes. »
Cette obfervation eft confirmée par les expériences
de M. le Comte de Buffon, qui, dans le IIe. volume
de fon Hiftoire des minéraux, a de nouveau affuré
que la trempe à Veau froide rend le fer caffant, que
VaEtion du froid pénètre à l'intérieur-y rompt & hache
le nerf & le convertit en grains y & qui en donne pour
preuve l’obforvâtion faite fur plus de deux cents
barres, dont une moitié étoit de bon fer nerveux,
tandis que l’autre moitié n’avoit plus de nerf & ne
préfentoit qu’un mauvais grain , parce que les ouvriers
accoutumés à tremper dans l’eau la partie de
la barre qu’ils viennent de forger, pour la refroidir
plus promptement, avoient fuivi leur habitude dans
un temps de forte gelée.
M. Rinman foutient au contraire que la trempe
à l’eau ne rend le bon fer, ni plus caflant, ni fen-
fiblement plus dur ; que celui qui eft mêlé d’acier
prend à là vérité un peu' de dureté, mais qu’il fuffit
de le chauffer de nouveau, pour le rendre aufii doux
qu’auparavant ; que le fer fragile-froid devient, par
la trempe, encore plus cafiànt, comme l’acier, fons
acquérir pour cela beaucoup plus de dureté. Il donne
même comme un ligne de la bonne qualité du fer,
la propriété de fe trouver aufii doux à la lime, après
la trempe , & de ne préfenter aucun endroit plus dur.
{Hift. Jaefn. §£. 70 «• ? f . )
J’aurois defiré me trouver à portée de faire des
expériences fur des quantités aflez confidérables pour
décider la queftion ; à défout d’occafion favorable,
j’ai cherché à y fuppléer par une attention fcrupu-
leufe dans les deux effais dont je Vais rendre compte,
dont les réfultats feront peut-être quelque impreflion
fur ceux qui font dans l’opinion que la manipulation
plus foignée de ces fortes d’épreuves compenfo, à
bien des égards, les avantages des grandes opérations
, oh la fomme des accidens eft prefque toujours
en proportion des volumes & des maffes.
Après avoir rompu quantité de petits barreaux de
for, pour en trouver de caflure uniforme , j’en ai
choifi deux de 2 pouces de longueur, de 3 lignes
de chaque face ; l’un étoit prefque tout nerf aux
deux bouts ; l’autre, mêlé de très-peu de nerf,
préfentoit aux deux calibres un bon grain; Après
les avoir touchés en divers endroits avec de l’acide
nitreux , & reconnu qu’il n’y laifloit qu’une tache
blanche comme le fer pur, je les dreffai fur toutes
les faces, & lès étalonnai tous les deux très-exactement
dans*un calibre ; j’en pris le poids très-jufte,
je les fis rougir l’un à côté de l’autre fur Une tourte
au fourneau- de fufion, & lorfqu’ils commençoienr
, à prendre la chaude fuante, je les jetai dans l’eau, qui
Chymie. Tome I.
A C I 441 étoit en ce moment à la température de 11 degrés
Ces barreaux fortirent de l’eau en partie découverts,
en partie couverts d’une très-mince pellicule noire,
comme il arrive le plus fouvent à l’acier. On pouvoit
dire qu’il n’y avoit eu ni augmentation, ni diminution
de poids, car les petites écailles trouvées au
fond de l’eau repréfentoient le quart de grain qui
manquoit à l’un & les f qui manquoient à l’autre.
Il en fut de même pour le volume , les deux lingots
rentrèrent dans le calibre avec autant de facilité
qu’avant la trempe. La nature du grain étoit ce
qui méritoit le plus d’attention ; pour l’avoir net,
je fus obligé d’entamer les barreaux par des coups
de lime aflez profonds de tous les côtés, comme je
l’avois fait pour le fer d’oii je les avois tirés , ce
qui annonçoit déjà que leur ténacité n’étoit pas beaucoup
diminuée ; étant ainfi parvenu à les rompre,
j’examinai le grain à l’oeil nud & à la loupe, en plaçant
chaque caflure du morceau trempé à côté de
la caflure du barreau ou il avoit été pris, & du
bout correfpondant que j’avois marqué & gardé exprès
; il me fut impoflible d’appercevoir la plus légère
différence dans le morceau qui n’avoit que peu de
nerf ; dans l’autre, le nerf fembloit s’être referré &
avoir foit place à une .plus grande quantité de grain,
mais qui ne différait encore ni pour la couleur , ni
pour le brillant, ni pour la grofleur, de celui qui
exiftoit précédemment & que rappelloient également
les bouts gardés pour comparaifon.
Pour la dureté , je ne me bornai pas. à la tâter à la
lime, j’employai encore l’inftrument tranchant, je
levai tout aufii facilement un petit ruban fur les
arrêtes des barreaux trempés , que fur celles des
barreaux de même fer non trempés, & l’outil n’en
fut pas plus endommagé.
Enfin, après avoir enlevé de chacun des barreaux
la portion du milieu qui foifbit environ le tiers de
leur longueur , & poli fur la meule une des foces
& un bout de cette portion, j’y portai de l’acide
nitreux; mais elle ne, fut pas plus tachée en noir
dans un endroit que dans l’autre , c’eft-à-dire, pas
plus à la furfoce du barreau qu’au centre : l’bnpref-
fion de l’acide fut par-to.ut la même que fur le fer
non trempé.
L’effet de la trempe fur la-fonte & le fer doux,
ainfi déterminé, il ne me refte plus qu’à préfenter
ce qu’il y a de plus connu fur les caractères diftine-
tifs de l’acier.
Des caractères & des propriétés de Varier.
V . Indépendamment de la propriété de durcir à
la trempe, qui rend l’acier fi précieux dans les arts,
il fe diftingue encore du fer par d’autres caractères.
1 °. Il prend un poli plus vif, & fe montre alors d’une
couleur plus blanche que le fer ; on connoît des fontes
qui en approchent,. bu même qui le furpaffent pour
la blancheur, ce font les plus aigres & celles qui
prennent aufii un poli plus parfait que les fontes
grifes.
K k k