
Seconde hypothefe.
Ici l’air vital n’eft pas feulement un agent néceffaire
pour la production de ces phénomènes, il
en eft la cau(e unique , & le phlogiflique n’y contribue
pour rien ; c’eft l’opinion de M. Lavoifier,
que M. Berthollet vient d’adopter après l’avoir
long-tems combattue. Elle fe divife naturellement
en deux parties.
i° . L’influence de Pair vital. a°. L’influence exclufive.
La première ne peut plus fouffrir de difficultés
après ce que je viens de dire de l’infuffifance de
l ’explication par le phl.ogiftique feul.
La fécondé eft donc la feule qui doive fixer notre
attention. Mais je fuis forcé d’avouer que dans
tous les faits que j’ai rapportés , je n’en vois pas
un qui pufffe fervir à établir, que l’air vital agit
feul. La régénération des muriates ordinaires de
potaffe & de fonde par notre acide * fàns que l'on
voie où il reprend le phlogiflique , efl ce qui pa-
roît avoir frappé M. Berthollet : cependant fes ex-*
périences même me fèmblent plutôt avancer la
folution de ce problème , que détruire l’hypothèfe
qui le fait naître. On pouvoit imaginer en effet que
l ’alkali, mis en contaéi avec l’acide muriatique de-
phlogiftiqué,reprenoit tout de fuite fes droits fur lui;
& s’unifiant par affinité fimple dire&e, mettoit en liberté
la fubftance qui mafquoit fes propriétés ordinaires.
Ç ’étoit ainfi que l’entendoient la plupart des
Chymiftes même qui avoient répété les expériences
de M. Schéele , puifque M. VFeftrumb dit préçifé-
ment qu’en recevant le gas muriatique déphlogjf-
tiqué dans une diflblution d’alkali végétal , il a
obtenu du muriate de potaffe ( Crell. nevefl.
Entdeck. part. 8. ). Et il devenoit bien plus embar-
raflant d’expliquer comment, dans ce fimple jeu
d’affinités , l’acide retrôuvoit du phlogiflique , & à
quel corps il le reprenait.
M. Berthollet a vu les chofes de plus près : il ré-
' fuite de fes expériences, que les deux alkalis fixes
forment , avec l’acide déphlogifliqué , descombi-
naifons a&uelles tout-à-fait differentes de celles que
donne l’acide ordinaire , au point que l’acide muriatique
,.en cet état, cède ces bafes à l’acide végétal
, & ce qui efl plus remarquable encore, qu’il
les reçoit fans.dégager feulement le gas méphitique
dont elles étoientfafurées , fans que fon a&ion
deftrudive fur les couleurs végétales en foit lé
moindrement affoiblie ; de forte que fi le principe
odorant gafeux de cet’ acide n’étoit réellement fixé
dans cecoinpofe, & fixé de manière à fe manifefter
de nouveau par l'addition de toute matière capable
de reprendre l’alkali , il faudroit dire , fans
Jiéfiter, qu’il y a plutôt mélange que combinaifon.
Voilà fans doute une combinaifon atkaline d’un
genre nouveau a qui peut donner lieu à des quef-
tions aflez curieufes., qui, réunie à plufieurs autres
propriétés (Je notre acide ? me femble indiquer que
H.
le calorifique ou matière de la chaleur joue Ici un
rôle important & encore peu connu ; maislaiffotfs
cette conjedure , qui pourra prendre ailleurs plus
de confiflance, & fuivons notre examen de l'influence
exclufive de l’air vital.
i ° . Il efl démontré que l’acide muriatique dé-
phlogiftiqué forme , avec les alkalis fixes & les
terres, des combinaifons abfolumentdifférentes de
celles de l’acide muriatique ordinaire , & qu’il faut
l’aâion du feu ou de la chaleur pour ramener les
premières à l’état de fels neutres permanens ,
comme dans les dernières ; dès-lors l’obje&ion qui
réfultoit de leur identité fuppofée n’a plus à
beaucoup près la même force, puifque nous con-
noiffons déjà plufieurs opérations où la chaleur
feule reftitue le principe que nous nommons phlogiflique
, puifqu’il ne ferait plus néceffaire de fup-*
pofer qu’il en exifle dans l’alkali cauflique, puif-
que s’il falîoit admettre la réfolution du gas méphitique
en fes élémens pour indiquer le corps qui
fournit le principe inflammable , lorfqu’on emploie
les méphites àlkalins ou terreux , on fe re-
trouveroit encore dans des circonfiances bien analogues
à celles qui font paffer quelquefois le gas
méphitique à 1,’état d’air vital.
2°. Il efl: préfentement bien reconnu que l’air
vital eft lé principe acidifiant, qu’il donne les propriétés
acides aux corps-qui ne l’ont pas ; fi l’on
fourientque.c’eft lui feul qui détermine par fa pré-
fence les nouvelles propriétés de l’acide muriatique
déphlogifliqué, il faut que l’on nous faffe comprendre
pourquoi il détruit plutôt qu’il n’augmente
la qualité acide, Cette difficulté ne me paroît pas
facile à réfoudre.
3°; Si l’acide muriatique erdinaire exiftoit tout
entier dans l’acide muriatique déphlogifliqué , &
que celui-ci ne fût qu’une combinaifpn du premier
avee l’air vital, le dernier devroit fe compofer
& fe^ décompofer par affinité fimple , fuivant le$
principes généraux des combinaifons , & c’eft ce
qui n’arrive pas. M, Berthollet a tenté fans fuccèç
l’union direde de l’acide avec l’air vital ; & l’expérience
de M. Pelletier , à cet égard, eft fi peu
décifive , que la légère diminution d’air vital qu’il
a apperçue peut très-bien n’être qifune conden-
faticm par refroidiffement.
J’ai tenu pendant deux jours une cloche de verre
remplie d’air vital plongée dans de l’acide muriatique
fumant, dont la pefanteur fpécifique étoit
1 ,16 4 , le thermomètre étant à 2.0 degrés: l’acide
n’eft monté dans la cloche que d’une demi-
ligne , & dans le temps de cette obfervation , le
thermomètre avoit baiflé de 5 degrés. L’air renfermé
fous la cloche ayant été tranfvafé dans une
bouteille , j’effayai d’en imprégner un peu d’eap
par l’agitation , mais elle ne fit que rougir foible-r
rflent ,r & ne détruifitpas la couleur' dutournefol.
Que l’on place uii des papiers réadifs les plus fen-
fibles à une certaine diftance au-deffus d’un flacon
débouché , contenant de l’açide muriatique dé
' A C I :
tnanière que la vapeur n’y arrive qu’après avoir. ’
traverîé l’air ambiant, la couleur fera feulement
altérée en ronge & non détruite ; ainfi de deux
chofes l’une , ou il n’y a pas combinaifonou
elle ne fuffit pas pour produire l’acide muriatique
déphlogifliqué.
4°. La décompofition préfente les mêmes difficultés.
L’air vital ne fe fépare pas-non plus de l’acide
muriatique déphlogifliqué par affinité Amp
le , il n’agit pas comme air vital pur ; on a vu
que lorfqu’il étoit en état de liqueur , il n’atta-
quoit pas le phôfphore , qu’il n’abforboit pas le
gas nitreux, qu’il ne jauniffoit pas le vitriol de
mars ; & fi tout c^la arrive quand le feu le met
en état de gas , c’eft évidemment parce que la
chaleur aduelle en décompofe une partie , & que
l ’air viral qui s’en fépare recouvre & exerce fur-le-
champ l’adion qui lui efl propre en état de liberté.
50. Le phénomène de la deftrudion fubite des
couleurs végétales ne prouve pas mieux l’adion
exclufive de l’air vital. Ce n’eft pas que je n’adopte
entièrement l’application ingénieufe & très-
utile que M. Berthollet en fait à l’épreuve des
couleurs dans les arts ; mais nos papiers réadifs
ne reçoivent aucune altération fenfible lorfqu’on
les plonge dans l’air vital* en maffe : il me femble
que c’e n eft aflez pour conclure qu’il n’y a pas
encore affinité fimple entre ce fluide & le principe
colorant , que fon adion doit, être fécondée par la
préfence de quelqu’autre matière , & que cette
matière fe rencontre probablement pour opérer
les dégradations plus lentes des couleurs abandonnées
à l’air.
6°. Suppofons cependant qu’en admettant l’air
vital comme feul agent, on puiffe encore, à un
certain point, rendre raifon delà plupart de ces
phénomènes, tout comme on le faifoit précédemment
par le phlogiflique feul; la preuve qui en
réfultera ne fera pas plus décifive en faveur du
nouveau fyftême, & cela tient à l’imperfedion
même de nos explications. Quand la fcience étoit
moins avancée, on expliquoit tout à fon aife , en
fuppofant des modifications diverfes d’une même
matière ; nous en famines venus à n’admettre des
changemens de propriétés que par addition ou
fouftradiôn d’une matière quelconque , c’eft déjà
quelque chofe; mais c’eft loin encore de ce qu’il
faudroit pour aflùrer nos théories. Avons-nous
découvert qu’il entroit dans quelque compofé ,
ou qu’il s’en féparoit, en certaines circonfiances ,
une petite portion de matière ? nous ne croyons
plus avoirrintérêt de rien chercher au-delà ; cette
caufe fert à toùt expliquer, précifément parce que
les lumières nous manquent pourencirconfcrire les
effets , & reftreindre la faculté de l’étendre arbitrairement
à tous les changemens qui fe trouvent
produits. Mais fuffire , en ce fens , eft bien loin
d'exclure : je me garderai donc d’examiner, fous ce
point de vue des faits qui ne fourniroient en derrière
analyfe que des preuves négatives que
A C I ay* l’on détruit auffi, facilement que Pon les multiplie;
& puifqu’il efl vrai de dire qu’en quelque
nombre qu’elles fe trouvent réunies , elles difpa*
rôiffent toutes à-la-fois devant un feul fait pofitif,
il vaut mieux tout de fuite s’appliquer à la recherche
de ceux qui paroiffent mériter d’être coni
fidérés dans cet ordre.
Troifieme hypothefe.
Il efl poffible que l’acide muriatique , à la manière
des foufres , des métaux & de bien d’autres
fubftances, ne fe charge d’air vital qu’en cédant
du phlogiflique, & réciproquement ; de forte que le
concours des deux principes foit néceffaire dans toutes
les opérations qui changent fa nature & modifient
fes propriétés ; que cet échange ne s’opère
que par le jeu des douoles affinités , & qu’il n’y
ait plus lieu de s’étonner de l’infuffifance de l’am-
nité fimple pour expliquer fa manière d’agir dans
les différentes circonfiances. C ’eft le feul fyftême
qui s’accorde avec les expériences de M. Craw-
ford, fur la matière de la chaleur ( voyeç A cide
méphitique ) ; c’eft celui qu’a propofé le doéleur
Elliot, celui que j ’ai annoncé dans mes notes fur
les opufcules de Bergman ( tom. 1 1 , pag. 363^
377^ 9 399, &c. ) , celui que j’ai fuivi dans tous les
articles que j’ai rédigés, jufqu’à préfent, parce qu’il
foutient l’application à l’enfemble des faits , même
à ceux qui paroiffent le mbins analogues ; au lieu
que l’hypothèfe qui rejette abfolument le phlogif-
tique, ne fait briller une lumière plus vive fur
quelques parties que pour nous abandonner enfuite
pour toujours dans les ténèbres,
La première partie de ce fyftême, qui a pour
objet l’influence de l’air vital, n’eft plus probléma’
tique. La fécondé, qui admet le concours du phlogiflique
, eft tellement liée à l’exiflence de ce principe
, qu’il n’y aura pas plus de doute quand une
fois on aura été forcé d’avouer la réalité & l’identité
de cette fubftance qui réduit les métaux, qui
s’en fépare en état de gas inflammable, qui transforme
. les bafes acidinables en foufre & en fels
effentiels, qui, agiffant fur l’air vital par affinité de
décompofition , en dégage la matière colorifique,
8c conftitue par-là tous les combuftibles, c ’eft-à-
dire , un ordre de corps analogues entre eux , &
effentiellement différens des autres. On fent que
pour éviter les répétitions, je ne puis que renvoyer
à cet^ égard aux articles où ces queftions font traitées
; mais dans le nombre des faits qui tiennent
au fujet , il y en a plufieurs qui me femblçnt
exiger l’application de cette dodrine ; ils lui fer-
viront' ici de preuves, en même-temps qu’elle fer-
virà à les expliquer.
i° . Nous avons vu que les alkalis fixes & les
: terres ne formoient, avec l’acide muriatique dé-
plogiftiqué, des fels femblables aux muriates ordinaires
, que lorfqu’on appliquoit le feu à ces com-
binaiforis; mais il en eft autrement avec Yalkali
, volatil : par le feul mélange à froid , on obtienj