
non-feulement en France, mais par-tout où la Chyrnie eft cultivée avee
quelque fuccès ; ce qui, dans le moment préfent, n’étoit pas une légère
entreprife.
Après avoir long-temps emprunté le fecaurs de plufieurs de mes confrères,
& de quelques amateurs, qui ont bien voulu fouiller pour moi
dans les langues étrangères, je fuis parvenu à me les rendre affez familières
pour y lire moi-même ce qui étoit écrit fur la Ghymie. Il n’y a guère d’articles
qui ne fe trouvent enrichis de quelques obfervations puifées dans ces
ouvrages, fur-tout dans ceux des Allemands , qui, depuis plufieurs années,
femblent avoir pris à tâche de recueillir & de répandre, avec les travaux
de leurs compatriotes, ceux des favans de tous les pays dans les fciences
phyfiques. On feroit tenté de croire qu’ils afpirent à rendre leur langue
l’organe de la correfpondance générale, & il n’eft pas difficile de prédire
qu’ils obtiendront à leur tour cet avantage, qu’il nous eût été fi facile de
conferver. La fcience de la nature efl univerfelle comme la nature,
elle n’a point de type national, elle ne reçoit point de limites de la
convention, elle eft la même dans tous les climats ; ceux qui la cultivent
font autant de coopérateurs réunis par la même ambition, difperfés pour
l ’intérêt commun, mais qui ont befoin de s’entendre pour affiner leurs
progrès ; & puifqu’ils ne peuvent paffer leur vie à étudier toutes les langues,
leur choix fera bientôt fait, dès qu’il y en aura .une en poffeffionde communiquer
à tous tout ce qu’ils font obligés de connoître.
Indépendamment de cette communication publique, il en eft une privée
, dont l’amour de la vérité forme le premier lien, & qui rapproche
plus efficacement les hommes occupés de ces grands objets dans toutes
les parties du monde : à peine ont-ils vu luire quelque rayon de lumière,
au lieu de ce fentiment qui leur perfuaderoït d’en dérober, au moins quelque
temps, la clarté à leurs rivaux de gloire, ils n’éprouvent que l’impatience
de la répandre , pour hâter le développement des fruits qu’elle doit
produire. On reconnortra aifément tout ce que je dois à cet efprit vraiment
philofophique de quelques 1 uns des' plus célèbres Chymiftes de Suède,
d’Angleterre , d’Allemagne, d’Italie & d’Ëfpagne ; en m’admettant à cette
confidence intime & prefque journalière de leurs travaux & de leurs projets,
ils m’ont appris à cônfidérer les réfultats de mes propres opérations,
fous des rapports moins circonfcrits par l’habitude , & fouvent ils m’ont
mis à portée de devancer la publication de leurs découvertes. Voilà les
moyens que je me fuis procurés pour parvenir à raffembler tous les faits,
qui dévoient entrer dans le plan d’un corps complet de Chymïe.
Pour ce qui eft des opinions, fai compris que dans un ouvrage de cette
nature elles, ne dévoient venir , pour ainfi dire, qu’en fécond ordre, afin
de lui donner une bafe indépendante de la fortune de telle ou telle hypo-
thèfe : c’eft ce qui m’eft devenu facile à l’âge où j’ai pris la fcience, entièrement
défabufée des préjugés de fon enfance, reconciliée avec la phy-T
ïique, remettant elle-même en queftion fes traditions les plus refpeftées ,
ne marchant plus qu’à la fuite de l’obfervation , ne reconnoifiant pour
vrai que ce que l’expérience a confirmé , & préférant le doute raifonnable
qui marque le but à de nouveaux efforts, à cette confiance prématurée
qui ne fert qu’à prolonger l’illufion & multiplier les écarts.
Je me fuis donc attaché à faire connoître les différens fyftêmes qui partagent
encore les premiers Chymiftes fur quelques points importans de la
théorie. Mais je n’ai pas cru devoir renoncer à la faculté de difcuter les
preuves, de propofer mes vues pour arriver à la pleine folution de ces
grands problèmes, & , quand je ne pouvois faire mieux, d’indiquer du
inoins de quel côté je voyois plus de probabilités. Il n’y a que ceux qui
n’ont jamais écrit que les penfées des autres qui ignorent que ce n eft
pas en amaffant des matériaux, mais en les affemblant, que l’efprit juge
plus sûrement leur valeur & leur convenance ; alors la penfée attachée à
creufer profondément autour de fon fujer, faifit des rapports qui lui avoient
échappé, des nuances qui ne pouvoient devenir fenfibles que par le rapprochement,
& parvient enfin à découvrir le fort & le foible du plan auquel
elle cherche à les affortir. Ainfi, plus d’une fois, au milieu d’un article
où je croyois n’avoir qu’à fuivre la route frayée, qu’à rapporter des
obfervations connues, la plume m’eft tombée des mains, étonné de leur
incohérence, ou de leur peu d’accord avec les principes établis ; & je n ai
pu me rëfoudre à la reprendre qu’après avoir moi-même interrogé la nature
dans les vues que me fourniffoient les nouvelles découvertes. On fera
moins furprls , après cela, que ce premier v r 1“ 1“ » rit fi long-temps
à paroître, & on me faura gré fans doute de l’avoir employé à ces recherchts,
fi j’ai réufli à mettre un peu plus d’enfemble dans le fyftême de nos con-
noiffances en Chyrnie.
Je ne me diffimule pas qu’il y a une foule de gens qui ne ceffent de crier,
’des faits! des faits ! le moment n’eft pas venu de s’occuper des théories : ce
langage n’eft conforme ni à la raifon, ni à l’opinion de ces hommes dont
notre fiècle s’honore (1). Un inftant de réflexion fuffit pour faire comprendre
( i ) Les Bujfon , les Franklin , les Macquer, les Bergman, les Prieflley , les Lavoifier, &c. &c. voila
fans doute des noms faits pour rafliirër ceux* qui pourroient fe laifter furprendre par cette ridicule
oftentation de fagefle. « On renouvellera fans doute (d it le premier) l’objection triviale fi fouvent
» répétée contre les hypothèfes, en s’écriant qu’en bonne phyfique il ne faut ni comparaifons , ni
n fyftêmes. Cependant il eft aifé de fentir que nous ne connoinons rien que par comparaifon , & que
ïj nous ne pouvons juger des eliofes & de leurs rapports * qu’après avoir fait une ordonnance de ces
» mêmes rapports , c’eft à-dire , un fyftême. ( Hifl. des minéraux, art. du fer. ) Le raifonnement eft en
» quelque forte l’organe de la vue du phyficien.. . . L’expérience qui n’eft pas dirigée par la théorie eft
» toujours un tâtonnement avéugle. ( Macquer, difcours fur la Chyrnie. )» Bergman pofe en principe, dans
fon beau difcours fur ;la recherche de la vérité, qu’il eft indifpenfable de rechercher l’étiologie des
phénomènes, car on ne fait véritablement que ce qu’on fait par les caufes. On connoît ce mot de M.
Franklin , répété parle do&eur Prieftley, que la facilité de faire & de rejetter les fyftêmes, fuivant les
phénomènes, eft la difpofition la plus favorable à l’avancement de la fcience. Enfin , M. Lavoifier
fait très-bien fentir que fi l’efprit de fyftême eft dangereux, il n’eft pas moins à craindre qu’on n’obfaij