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qu’il s’enflaminoit au feu ; qui n’étoit. pas du genre
des huiles, puifqu’il cryftallifoit ; qui n’apparte-
noit pas à la claffe des Tels effentiels, puifqu’il
étoit fufceptible de fermentation.
. Il eft aflez difficile de déterminer le temps auquel
le fucre a été connu ; il ,eft certain qu’il ne
doit pas être confondu avec le faccharon dont
parle Diofcoude 8c Pline, efpèce de miel qu’on re-
cueilloit en Arabie & dans l’Inde, non des ro-
feaux, mais dans des rofeaux, & qui n’étoit employé
qu’à des ufages médicinaux. A la vérité,
Solin rapporte que les Indiens préparaient une •
boiffon en exprimant le fuc doux des racines d’une
efpèce de roleau , mais ils n’avoient pas imaginé
d’en tirée le fucre en forme concrète,
Le rofeau ou canne à fucre ( arundo facchqrifera,
faccharum ojficinarum. Linn.) ,qui le produit en fi
grande quantité, vient originairement des Indes
orientales, où il croît naturellement ; il fut tranf-
porté dés Canaries dans les Antilles , par les Ef-
pagnols , après la découverte de l’Amérique. On
ne s’attend pas à trouver ici ni les cara&ères botaniques
de cette plante, ni fa culture, ni les détails
de l’art de fabriquer 8c de raffiner le fucre :
ces objets appartiennent à d’autres parties de l’En-
jcyclopédie que l’on peut confulter ; mais cela ne
me difpenfe pas de remonter à la matière première
, de la fuivre rapidement dans fes différentes
préparations pour faifir les obfervations chymiques
fur fa nature, & en tirer les conféquences utiles
à la perfeéfion de ces opérations.
Lorfque la canne à fucre eft mûre, on en exprime
le fucre en la paffant entre des cylindres ;
ce fuc exprimé eft le vin de cannes ou vézout ; il
eft très-difpofé à la fermentation tant qu’il eft en
liqueur, & il faut Ce hâter de le rapprocher par
l ’évaporation pour en prévenir l’altération .fpontanée.
Pour cela, on le fait bouillir dans de grandes
chaudières, difpofées à la fuite les unes des autres,
8c on le tranfvafe de l’une dans l’autre à mefure
qu’il fe concentré ; c’eft dans la dernière, qui s’appelle
la batterie , où il reçoit le dernier degré : on
le tire alors dans des caiffes de bois , où il fe coagule
, ou plutôt fe cryftallife confufément en re-
froidiffant, & prend le nom de mofeouade, cafifo-
nade ou fucre brut. La portion qui refte fluide eft ce
qu’on nomme Jîrqp ou melajfe, que l’on deftine à
la fermentation pour en retirer l’eau-de-vie de
fucre, OU tajfiqt.
Le vézout nefi-ïl au fortir de la carme qui du fucre
cryflallifable dijfous dans l’eau furabondante ? Faut-
il en féparer quelque' autre partie pour obtenir la
cryfiallifation ? m Tient-il actuellement quelque acide
qu’ il faille neutralifer? Y quelque fubfiance huileufe
qu’il faille porter à l’état de favon pour en dé-
‘bqrraff'er le fel effentiel ? Le firop qui s’en fépare
n e fl - il enfin que le produit de l’altération du fucre
meme par le feu ? Telles font les queftions qui fe
préfentent naturellement à l’efprit du Chymifte,
& dpnt ii paroît qu’il ne peut chercher plus sûre-
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ment la folution que dans la pratique de ceux
qui s’appliquent depuis fi long-temps à la fabrication
de cette matière précieufe ; mais il s’en faut
bien que cette pratique foit au degré de perfection
qu’elle peut attendre, 8c elle appelle elle-
même les fecours de l’analyfe pour travailler à y
parvenir.
Quelques propriétaires Américains ayant fuque
j’avois réufli à régler la cuite des fucres au raffinage
par le moyen d’un infiniment approprié,
me propofèrent, il y a deux ans, de l’appliquer
à la cuite du vézout dans les colonies ; je fis en
conféquence plufieurs expériences qui fe trouvent
décrites dans un mémoire imprimé dans le recueil
de l’académie de Dijon ( fécond trimejlre,, 1783 )♦
Un de ces propriétaires s’étpit même chargé de
me faire venir des cannes de Saint-Domingue,
pour que. je puffe opérer fur le fuc qui en fèroit
immédiatement exprimé ; mais, quoique l’on eût
pris la précaution de les enfermer toutes fraîches
dans des tubes de fer blanc , fondés aux deux extrémités
, elles fe font trouvées gâtées à leur arrivée
en France ; de forte que je n’ai pu prendre
pour bâfe que mes effais fur le fucre brut : je vais
en extraire ce qui meparoît convenir au fujet que
je traite. On jugera probablement que la diffé**
rence que met la première cuite entre le vin de
cannes & la caflonade n’eft pas affez confidérable
pour qu’on ne puifle en tirer des conféquences ,
fùr-tout lorfque l’on confidère que ce font pré-
cifement les mêmes moyens qui fervent, avec
les mêmes avantages & les mêmes inconvéniens,
à faire pafler ce flicre de première cuite à l’état
j de fu.cre parfaitement raffiné , & que la caflonade
à qui on a rendu l’eau peut, jufquà un certain
point, être affimilée au vézout.
Le vézout, ainfi que la caflonade redifloute
Iaiffe. toujours à la cryftallifation une- partie plus
ou moins confidérable de firop , efpèce' d’eau-
mère qui refte fous forme fluide : eft-ce un produit
de la féparation d’une matière étrangère au fucre ,
ou bien eft-ce du fucre même altéré & devenu
incryftâllJfable dans l’opération? Voilà fans doute
une queftion fort importante, mais fur ^quelle
je ne penfe pas que l’on puifle héfiter; la dernière
opinion eft démontrée par la variété des produits
d’un même vézçut, fuivant que l’opération a été
bien ou mal conduite, & par le déchet confiant
de la matière concrète à chaque cuite', à chaque
cryftallifation , foit qu’on opère fur le fuc récent
exprimé, foit qu’on prenne le fucre déjà concret,
Je fais bien que dans la cryftallifation des fels les
plus fixes, les moins fujets à fe décompofer, il
refte toujours une portion de fel dans le peu de
liqueur qui s’en fépare , mais on parvient à l’en
retirer par une nouvelle évaporation ; & puifque
cela n’arrive pas dans le cas particulier , c’eft qu’il
s’eft formé une eau - mère aux dépens d’une portion
de fe l, & qui peut en retenir encore une
autre portion en diflblution»
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On fera d’autant moins étonné qu’il fe forme
ici un fel incryftallifable , que le feu , & même
l ’aélion des acides concentrés , produifent la même
altération fur le fucre le' mieux cryftallifé, en le
portant à un certain point à l’état d’acide, non
de l’acide faccharin proprement dit mais d’un
autre acide analogue à celui que le lucre fournit
à la diftillation, ainfi que les autres végétaux , &
dont je ferai bientôt une mention particulière. Il
feroit cependant intéreffant de favoir fi immédiatement
après l’expreflion du fuc de la canne ,
avant toute aélion du fe u , le vézout recèle déjà
une partie de ce firop ou fel incryftallifable.
Pour en juger autant qu’il étoit poffible fur la
caflonade redifloute , j’ai employé l’efprit-de-vin ,
l ’évaporation fpontanée & la congélation.
L'efprit-de-vin, fi commode pour cryftallifer
tout de fuite les fels fujets à s’altérer , n’eft ici
d’aucune utilité ; il détermine bien la féparation
d’une portion de matière qui a la confiftance de
mucilage rapproché; mais comme il diflbut une
certaine quantité de fucre , plus on en ajoute,
moins on obtient de ce fel en état concret.
J’ai abandonné à l’évaporation fpontanée une
diflblution Amplement filtrée d’une livre de cafîo-
nade dans une livre d’eau diftillée; la température
& la fluidité ne fe trouvant pas au degré
néceflaire pour déterminer la fermentation, j ’ai
trouvé, au bout de quatre mois, toute l’eau de
diflblution évaporée ; tout le fucre étoit en beaux
cryftaux,à une très-petite partie près de matière
brune encore gluante, dans laquelle on apperce-
voit auffi de très - petits cryftaux, mais qui eft
reftée pendant tout un été fans prendre la forme
folide, dont la faveur ne paroiflbitpas acide, &
qui ne communiquoit pas à l’eau la propriété de
rougir le papier bleu. Il eft à remarquer que le
tout ne pefoit plus que 15 onces 40 grains. Les
cryftaux pulvérifés ont pris la blancheur & tous
les caractères du fucre râpé.
Ayant fait redifloudre dans l’eau diftillée deux
onces de ces cryftaux ,& abandonné de même la
liqueur à l’évaporation fpontanée , tout a cryftallifé
fans déchet, & la portion, qui, enfermée par
les premiers cryftaux , avoit confervé affez d’humidité
pour prendre une apparence vifqueufe, eft
redevenue fèche 8c folide, quand elle a été à fon
tourexpofée à l’air.
La congélation n’a fait autre chofe que de hâter
la concrétion de la malle, au moyen de quoi la
matière brune a été plus différa inée, 8c les cryftaux
fe font trouvés plus confus & plus chargés
de couleur.
Ces obfervations me confirmèrent .déjà dans
l ’opinion que c’é.toit le feu ou la chaleur qui avoit
formé, lors de la cuite du vézout, le firop qui
fo trouvoit mêlé à la caflonade; que ce mélange
conftituoit prefque toute la différence du vin de
pannes avec la diflblution do caflonade, puifque
Çhymie. Tome f
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celle-ci fuffifamment étendue & expofée à une
température convenable, eft tout aufli fufceptible
de fermentation; qu’il n’étoit befoin ni de l’âétion
du feu , ni d’aucun autre agent chymique pour
procurer la féparation du fucre en état concret ;
que la feule condition étoit l’évaporation du fluide
aqueux furabondant ; que le feul but que l’on
devoit fe propofer, dans la cuite du vézout, étoit
d’empêcher fon altération , foit par un commencement
de fermentation , foit par l’ébullition ; que
les acides qui réfultoient de ces deux altérations
étoient non-feulement de nature différente entre
eux, mais encore de l’acide faccharin; enfin que
s’il étoit poffible de procurer fans feu l’évaporation
du vézout avant toute fermentation, on ob-
tiendroit en cryftaux une bonne partie du fucre
qu’il contient fans production de matière firu-
peufe.
Avant que de pafler aux conféquences que l’on
doit tirer de ces obfervations , je préfenterai quelques
réflexions fur les objeâïons dont elles font
fufceptibles.
Il eft bien certain que le vézout n’eft pas toujours
de même qualité, qu’il diffère fuivant le
degré de maturité de la plante, & aufli fuivant
la nature du fol ; mais quoiqu’on ne puifle indiquer
avec certitude les caufes immédiates de .ces
différences , ii eft aflez évident qu’elles n’influent
que dans la proportion du fel effentiel fucré : nous
verrons que quand le jus de raifin manque naturellement
de ce principe, l’art peut y fuppléer ,
& qu’il reprend alors les mêmes qualités, la même
difpofition à la fermentation fpiritueufe que s’il
l’avoit reçu d’une parfaite maturité.
Plufieurs Chymiftes penfent que la cuite du
fucre eft néceflaire; pour rompre l’union de quelques
parties qui s’oppoferoient à fa cryftallifation ;
M. Bucquet dit précifément que le but de cette
opération , ainfi que de la clarification par la chaux
ou les alkalis, efl d’enlever la matière mucilagineufe,
8c de le dépouiller d’une grande quantité d'huile qi t
la chaux abforbe. Enfin la néceffité où l’on fe trouve
quelquefois d’étendre d’un peu d’eau le v.ézot t trop épais au fortir de la canne , avant de le porter
à la chaudière, femble indiquer plutôt une
forte de décompofition, par l’aétion de la chaleur
à la faveur de la fluidité aqueufe, qu’une fimple
cryftallifation par évaporation. On ne peut nier
fans doute que la plante avant fa maturité ne
contienne un fuc qui, fans, être du pur flegme,’
ne foit pourtant pas encore de l’eau chargée de
muqueux fucré ; il eft très - vraifemblable qu’en
quelque temps qu’on la prenne, elle pourra recéler
aufli un peu des matériaux deftinés à former le
fucre, & qui ne feront pas encore dans les juftes
proportions , dans l’état de combinaifoii parfaite
qui le conftituent, parce que les caufes phyfiques
n’ont jamais que des effets fucceflîfs; mais je ne
çr.ois pas que l’on puifle en conclure qu’il faille «rb*