
D’après ce que j'ai dit plus haut, fi l’on veut
avoir des creufets capables de fubir une grande chaleur
fans fe fondre ni fe déformer, il faut choifir
des argiles qui foient exemptes de chaux & d’oxide
de fer , ou au moins n’en contiennent qu’une petite
quantité.
On trouve à Forges-les-FaJfy 3 département de
l’Eure j à Dreux 3 département d’Eure & Loir^ à-
Montereau 3 département de Seine & Marne, &
dans plufieurs autres endroits, des argiles convenables
pour fabriquer cette efpèce de creufets.
Mais l’on ne peut pas toujours employer ces
terres dans l ’état où la nature nous les offre j
quelquefois elles font trop grades, & elles fe
gercent par la cuiffon j quelquefois trop maigres, j
elles ne peuvent pas fe travailler. Dans le premier
cas 3 il faut y mêler du fable ou, ce qui vaut mieux,
une certaine quantité de la même argile calcinée
& pulvérifée, qu’on appelle ciment3 dans le fécond,
au contraire, il eft nécefîaire d’y ajouter de la terre
plus graffe , ou d’en féparer une portion de fable
par le lavage'.
En général j il vaut mieux amaigrir la terre avec
du ciment de même nature, bien cuit &c pulvérifé,
qu’avec du fable, parce que la pâte prend plus de
corps, fes parties fe réunifient plus intimement,
& les creufets ont plus dè force à épaiffeur égalé.
C ’eft ainfi qu’avec la terre de Forges, dont j’ai
fait connoître l’analyfe ailleurs, on fabrique les
pots de verreries , qui font regardés avec raifon
comme les meilleurs creufets qui exiftent, au moins
relativement à leur propriété réfra&aire & à la
denfité de leur mie > ces creufets , qui à la vérité
font très-épais', réfiftent quelquefois pendant trois
mois à une intenfité de chaleur confîdérable, & à
i’a&ion puifTante des matières qui fervent à la
confection du verre.
Dans toutes les argiles employées à cet ufage,
auffi bien que pour toute autre efpèce de poterie,
la filice fait la partie principale > dans celle de
Forges, par exemple, elle eft au moins dans la proportion
de 64 à 66 centièmes, & dans celle de
Dreux elle forme les 5y centièmes..
On reconnoît facilement la préfence.de l’oxide
de fer dans les argiles par la couleur qu’il, leur
communique..Il y en a cependant qui, dans leur
état naturel & cru, femblent en être exemptes,
& qui en contiennent cependant beaucoup : il
fuffit, pour s’en convaincre, de les faire calciner
même à une chaleur médiocre , pour que le fer
devienne fenfible.
Quand les. argiles renferment de la chaux à l’état
de carbonate, on s’en apperçoit facilement à l’aide
d’un acide qui produit alors une effervefcence j
mais le plus fouvent cette fubftance étant unie à
l’alumine fans acide carbonique > ce moyen ne peut
pas fervir : dans ce cas, il n’y a que l’analyfe qui
puiffe la faire découvrir.
Avant d’établir une fabrique de creufets, il eft
toujours prudent de s’affurer des qualités de la
terre, & l’anaîyfe chimique, qui eft toujours facile
& peu difpendieufe, peut, beaucoup éclairer fur
l’ufage auquel elle convient, & fur les prépara^-
tions qu’il faudroit lui donner pour tel ou tel
objet. .
Après s’être affuré, par les procédés que je
viens d’indiquer & par des effais au four, qu’une
argile réunit les propriétés néceffâires pour remplir
le but qu’on fe propofe, on lui donne quelques
préparations préliminaires. La première con-
fifte à la couper par tranches & à la divifer, pour
en féparer les pierres & les pyrites martiales qui
pourroient y être mêlées : ces dernières furtout y
font très-nuifîbles.
Dans la fécondé, on la délaie avec de l’eau dans
une grande caiffe de bois, à l’aide d’une efpèce
de mouffoir. Quand elle eft bien détrempée &
qu’elle forme une bouillie claire & homogène, on
la paffe dans un tamis de crin ou de fil de laiton,
aüez ferré pour qu’il retienne les parties les plus
grolfières 5 on la remet dans une autre caille placée
au deffous de la première, & enfoncée dans, la
terre. . ?
Là on la remue de tems en terns pour la mélanger
& la divifer plus encore.
Quand ce premier travail eft fini, on^la laide
dépofer , on fait couler l’eau, & auffitôt que,
par l’évaporation fpontaaée de l’eau , cette pâte
a pris affez de confiftance pour pouvoir être ma-
‘ niée, on en forme des malles que l’on dépofe
dans une cave où on la pétrit avec les pieds, &
on la conferve jufqu’à ce qu’on l’emploie. Si elle
eft trop graffe pour fervir en cet état à l’efpèce
de fabrication à laquelle on la deftine , on y
mêle, au moment du pétriffage., la quantité de
; ciment pulvérifé, de fable ou de gravier que l’on
j croit néceffaire.
J’ai dit plus haut comment on parvient à corriger
le défaut contraire ; c’eft au moment du
lavage , parce que les parties de fable , moins di-
vifées que celles de l’alumine , fe précipitent les
premières par le repos.
La terre ayant reçu toutes les préparations dont
elle a befoin , on fabrique les creufets. Cette opé-,
ration fe fait à la main, au tour ou au moule, dont
le fond eft mobile. Dans les verreries, où l’on a
befoin de creufets fans défauts, l’on fuit la première
manière, en fe fervant de la règle & du
compas pour donner les épailfeurs & les diamètres
néceffâires à chaque partie. La fécondé, plus,
; expéditive, mais moinsfûre > eft le plus communément
en ufage dans toutes tes fabriques de
creufets. La troisième eft la plus défeéfueufe, auffi
n’eft-elle employée., je crois, dans aucune fabrique
aujourd’hui.
La forme triangulaire qu’ont certains creufets,
ceux de Mejfe, par exemple, leur eft donnée à la
main au moment où ils fortent du tour , & pendant
que la. terre jouit encore de fa molleffe.
Lorfqu’ on a donné la forme & les dimenfions
aux creufets, on les biffe fécher dans des endroits
bien aérés, & échauffés en hiver avec des poeles,
jufqu a ce qu’ils aient acquis aflez de folidite pour
être tranfportés d’un lieu dans un autre , & mis
les uns dans les autres fans fé brifer..
Il ne s'agit plus alors, pour avoir les creufets
avec toutes les qualités que la terre eft fufcep-
tible de donner, que de les faire cuire dans un
four, femblablë à ceux des potiers de terre ordinaires;
mais pour économifer l’efpace, & con-
féquemtnent le combuftible, on met les creufets les
uiis dans les autres, pour en faire des piles de fept
à huit, en plaçant fuccefiivement les plus petits
dans les plus grands. Par ce moyen , huit creie-
fets n’occupent pas plus d’efpace dans le four, que
n’en occuperoit le plus grand en reftant vide.
Pour qu'ils ne puiffent pas fe coller par la chaleur
& la preffion qu'ils produifent, on met en-
tr’eux une petite quantité de fable groffier, qui
s’oppofe à cet inconvénient.
Telle eft, fuivant toute apparence, le procédé
que l’on fuit en Allemagne pour la fabrication des
creufets, appelés communément creufets deHe/fe.
La Chaleur à laquelle on cuit les creufets dits réfractaires
, doit être au moins de cent vingt degrés pyrométriques
, afin qu’ils acquièrent, par le rapprochement
qu'éprouvent leurs parties dans cette
opération , le plus de force poflible ; ce qui eft
furtout nécefîaire pour les creufets de grandes di-
menfions , parce qu’ils ont quelquefois des poids
confidérables à fupporter , dans la fonte de l’or &
de l’argent par exemple.
La 'couleur étant très-indifférente pour cette
forte de poterie, & la fumée du combuftible
n’étant point du tout à craindre, on la cuit à
feu nu , & i’on peut même employer du charbon
de terre ; ce qui eft plus économique que fi
l ’on cuifoit en gazettes.
Les creufets d’Allemagne ont, avec raifon, paffé
pendant long-tems pour les meilleurs, au moins
pour la fonte des' métaux ; mais depuis quelques
années plufieurs artiftes diftingués en ce genre ,
& entr’autres M. Rusfinger , , en fabriquent à
Paris qui ne le cèdent, fous aucun rapport, à
ceux d’Allemagne. Dans ces derniers, il paroît
qu’on fait entrer comme ciment une certaine
quantité de fable quartzeux aflez groffier, car il
eft fenfible à l’oeil dans les factures nouvelles de
cette poterie.
Les creufets communs que l’on fabrique à Paris ,
& qu’on appelle pour cette raifon creufets de Paris,
font d’une fort mauvaife qualité, & ne peuvent
fervir que pour fondre des métaux d’une fufibilité
moyenne. Ils ont pour bafe de l’argile de Gentilly,
de V,mvres, &c. à. laquelle on ajoute , pour la
dégraiffer, du fable deBelieville, ou du ciment de
la même terre cuite & puivéï'ifée grofiiéremenr.
Comme la quantité de fable qu’on y met eft peu
confîdérable, & que l’argile eft rendue fufible par
les matières ferrugineufes & calcaires qui y font
contenues, ces creufets ne peuvent fupporter une
chaleur un peu forte fans fe»fendre ou le fondre,
inconvéniens tous deux graves ; mais aufli ils font
à bon marché „ & fupportent bien les alternatives
du chaud & du froid 3 ce qui en rend le fervice
encore aflez fréquent & utile.
Le ciment dont fe fervent les fabricans de
creufets de Paris étant groffier, & la cuiffon du
mélange fort légère, il eft évident que ces creufets
font très - poreux & ne peuvent fervir pour la
fufion des fels ni* des métaux précieux, parce
qu’ils en abfoîbent une trop grande quantité j il y
a même des matières affez fubtiles pour filtrer à
travers comme dans un tamis.
On fait pour ces diverfes fortes de creufets, avec
la même terre, des couvercles qui ont la forme de
l’ouverture du creufet 3 favoir, ronde ou triangulaire,
avec un bouton par-deffus pour pouvoir lés
faifir. A cet égard les chivniftes ont un reproche
à faire aux creufets de HeJJ'e, c’eft qu’ils leur arrivent
fans couvercle ; & comme dans beaucoup d’opérations
ils font néceffâires, les chimiftes font obligés
d’en employer d’ une autre terre qui fouvent fond,
coule dans le creufet & fe mêle avec la matière.-
On faifoit autrefois en Allemagne , & encore
aujourd’hui, mais moins abondamment, des creufets
dans, la compofition defquels on faifoit entrer,
comme ciment, une certaine quantité de plony-
bagine., & non de molibdène , comme l’ont dit
quelques auteurs : ces creufets ont affez de compacité
; ils fupportent bien les paffages fubits d’une
température à l’autre, & ne font que difficilement
fufibles : on s’en fert dans les monnoies pour la
fonte de l’or.
La forme qu’on donne le plus ordinairement
; aux creufets eft celle d’un cône tronqué ou terminé
par une portion de fphère ; mais il en.eft qui font
prefque cylindriques , d’autres qui font terminés
par leur partie inférieure en une pointe affez aiguë,
dont le milieu fe renfle & l’ouverture fe rétrécit :
ces derniers font deftinés à l’effai des mines, &
font appelés tuttes par les Allemands.
La manière d’effayer les creufets, relativement
aux effets qu’ils éprouvent de la part de la chaleur,
confifte à les expofer brufquement à un feu vio-
lent, & à les placer fur une pierre froide lorfqu’ils
font rouge-blanc : s’ils fupportent ces épreuves
fans éclater ni fe fendre, l’on pourra s’en fervir
avec fécurké.
Mais i>l ne faut pas juger ici du petit au grand ,
carjlfe pourroit qu’un creufet de petite dimenfioti
n’éprouvât aucune altération, tandis qu’un grand,
fournis à la même épreuve , ne la foutînt pas. H
ne faudroit pas non plus borner l’effai à un feul
creufet, pour porter un jugement fur les qualités
de l’efpèce en général, car il pourroit s’en trouver
! par hafard un bon : il faut donc, autant qu’ il eft
poffible, multiplier les expériences pfour connoîcre
la réfiftance de la matière des creufets à l’aétiorf
des fubftances alcalines, falines, & des bxides mé-
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