
en gras dans la terre ; & le fécond, de l’examen chimique
de cette matière graffe.
; dans le fol où ils avoient été plufieurs fols remués
par les fouilles fouvent nécelfaires dans un cimetière
Mémoire fur les différent états des cadavres trouvés
dans les fouilles du cimetière des Innocens en 1786
& 1787, lu à t Académie royale des Jciences les 20
& 28 mai 1789, par M. Fourcroy.
« La phyfique a partagé les foins de Padminif- :
tration dans les travaux faits au cimetière des Innocens.
Elle étoit fpécialement chargée du foin
de veiller à la fanté des travailleurs. Occupée à
remplir cet objets fon département s’eft tout à
coup agrandi par les faits nouveaux qui fe font
présentés à fon obfervation.. Ces faits étoient de
nature à étonner Pobfervateur , & à enrichir la
phyfique animale ; ils ont donc dû être obfervés
& fuivis avec le zèle & l’aétivité qù’infpirent les
découvertes. On ne pouvoit pas s’attendre , d’après
le filencç des phyficiens qui nous avoient précédés
dans quelques points de ces recherches, aux
réfultats finguliers que nous a offerts la décompo-
fîtion fpontanée des matières animales enlouies
en malles dans la terre. On ne pouvoit pas prévoir
ce que contiendroit un fol furchargé depuis plu-
fieurs fiècles de corps livrés à "la putréfaction ,
quoiqu’on preffentît qu’ un pareil fol dévoie différer
de celui des cimetières ordinaires, où chaque
corps a pour ainfi dire fon terrain particulier ,
où la nature peut en féparer & en fépare en effet
les élémens avec allez de facilité & de promptitude.
Les calculs & les apperçus des phyficiens fur
les limites de l’entière deftruêtion des corps , qui,
d’après quelques obfervations , ne s’étendoient
qu’à fix ans au plus 3 n’étoient pas à la vérité ap-:
plicables au fol d’un cimetière d’une grande ville,
où plufieurs générations fucceffives de lès habitans
avoient été enfouies depuis plus de trois fiècles ;
mais rien n'indiquoit que la décompofition entière
des cadavres pûtfe prolonger au-delà de quarante
années; rien ne faifoit foupçonner quelle fingu-
iière différence la nature préfenteroit dans la def-
îruétion des corps enfouis en grande quantité dans
des cavités fouterraines, & dans celle des corps
ifolés au milieu de la terre; enfin il étoit impof-
fible de favoir , ou plutôt de deviner ce que
pouvoit être une couche de terre de plufieurs
toifesde profondeur, fans cefTe expofée aux émanations
putrides, faturée pour ainfi dire d’effluves
animaux & quelle influence une pareille
terre devoir avoir fur les nouveaux corps qu’on y
plaçoit : tel étoit le but de ças recherches, & telle
lut en effet la fource des découvertes, qui donnèrent
lieu à nos travaux.
» Les reftes, des corps plongés dans cette terre
ont été trouvés dans trois états différens, fuivant
l ’époque à laquelle ils avoient été renfermés, le
lieu qu’ils y occupoient, & leur difpofition relative
les uns aux autres: les plus anciens n’offroient
que des portionsd’offemens.placés irrégulièrement
aufli vafte. 11 étoit difficile de connoître
exactement l’époque de leur enfouiffement, &
nous n’avions d’autres recherches à faire fur ces
os , que celles qui dévoient conftater leurs différences
d’avec des os humains qui n’avoient point
•féjourné dans la terre. On verra dans les détails de
nos recherches chimiques, quelles étoient ces différences.
» C ’eft particuliérement fur l’état des parties
molles fi tué es entre la peau & les o s , en y comprenant
les tégumens, que nous avons eu occafion
d’obferver deux différences générales qui ont fixé
not^e attention. Dans quelques corps qu’on trou-
voit toujours ifolés, la peau, les mufcles, les tendons
& les aponévrofes étoient' defféchés, caffans ,
durs ,. d’une couleur plus ou moins grife, & fem-
blables à ce qu’on a appelé des momies dans quelques
caveaux où l ’on a obfervé ce changement,
comme les catacombes de Rome & le caveau des
cordeliers de Touloufe.
»a Le troifième & le plus fingulier état de ces
parties molles a été oblervé dans les corps qui
rempliffoient les foffes communes.On appeloit ainfi
des cavités de trente pieds de profondeur & de
vingt dé largeur dans leurs deux diamètres, que l’on
creufoit dans le cimetière des Innocens, dans lef-
quelles on plaçoit par rangs très-ferrés les corps
des pauvres renfermés dans leurs bières. La né*
ceffité d’en entaffèr un grand nombre obligeoit
les hommes chargés de cet emploi, de placer les
bières fi près les unes des autres, qu’on peut fe
figurer ces foffes remplies comme un maflïf de cadavres
féparés feulement par deux planches d’environ
fix lignes d’épaiffeur: ces foffes contenoient
chacune mille à quinze cents cadavres. Lorfqu’elles
étoient pleines, on chargeoit la dernière couche
des corps d’environ un pied de terre, & on creufoit
une nouvelle foffe à quelque diilance. Chaque
foffe reftoit environ trois ans ouverte, & il falloit
] ce tems pour la remplir. Le nombre plus ou moins
grand des morts,comparé à l’étendue du cimetière,
rendoit néceffaire le creufement de ces foffes à
des époques plus ou moins rapprochées : c’étoit
au plus tôt après quinze ans, & au plus tard après
trente, qu’une foffe étoit faite dans le même lieu.
L’expérience avoit appris aux foffoyeurs, que ce
tems ne fuffifoit pas pour la deftruêtion entière
des corps; elle leur avoit en même tems fait con-
noîrre l’altération dont nous voulons parler. La
première fouille que nous fîmes faire dans une foffe
fermée & remplie depuis quinze ans, nous montra
ce changement des cadavres, connu depuis long-
tems des foffoyeurs ; nous trouvâmes les bières
confervées & un peu affaiffées les unes fur les
autres : le bois en étoit faih & feulement teint en
jaune. En enlevant la couverture de plufieurs
bières, nous vîmesdes cadavres pl?cés fur la planche
du fond, laiffant une diftauce affez grande entre
leur furface & la planche de deffus, & tellement
aplatis, qu’ils fembloient avoir été fournis à une
forte compreffion. Le linge qui les recouvroit, étoit
comme adhérent aux corps, qui, avec la forme des
différentes régions, n’offroient plus, en foulevant
lelinge, que des maffes irrégulières d’une matière
molle, duétile, d’un gris-blanc. Ces maffes envi-
ronnoient les os de toutes parts ; elles n’avoient
point de folidité, & fecaffoient par une preflion un
peu brufque. L’afpeét de cette matière, fon tiffu,
fa molleffe, nous la fit d’abord comparer au fromage
blanc ordinaire : la jufteffe de cette compa-
raifon nous frappa, furtout par les empreintes ou
aréoles que les fils tiffus du linge avoient formées
à fa furface. En touchant à cette fubftance blanche,
elle cédoit fous le doigt, & fe ramolliffoit en la
frottant quelque tems.
m Ces cadavres ainfi changés, ne répandoient
point une odeur très-infecte. Quand même l’exemple
des foffoyeurs , qui connoiffoient depuis long-
tems cette matière ( à laquelle ils donnoient le
nom de gras, affez bien mérité par fon afpeét, &
qui n’éprouvoient aucune répugnance à la toucher),
ne nous auroit pas raffurés , la nouveauté
& la fingularité de ce fpeêlacleéloignoient de nous
toute idée de dégoût & de crainte. Nous mîmes
donc tout le tems néceffaire pour connoître avec
exadi tude tous les détails relatifs à cette converfion
des corps. Les réponfes que les foffoyeurs firent
à nos queftions, nous apprirent que prefqiïe jamais
ils ne trouvoient cette matière qu’ils appe-
\oïer\t gras y dans des corps ifolés ou enterrés feuls;
que ce n’étoit que les cadavres accumulés dans les
foffes communes qui étoient fujets à ce changement.
Nous obfervâmes avec le plus grand foin
beaucoup de corps paffés à cet état ; nous reconnûmes
d’abord que tous n’étoient point également
avancés dans cette efpèce de converfion ’.plufieurs
nous offrirent encore au milieu des maffes blanches
& grades, des portions de mufcles rêconoif-
fables à leur tiffu fibreux & à leur couleur plus ou
moins rouge. En examinant avec attention les cadavres
entièrement convertis en matière graffe ,
nous 'vîmes que les maffes qui recouvroient les os,
étoient partout de la même nature, c’eft-à-djre,
offrant indiftinélement dans toutes les régions une
fubftance grife, le plus fouvent molle & ductile,
quelquefois fèche, toujours facile à féparer en
fragmens poreux, percés de cavités, & n’offrant
plus aucune trace des membranes, des mufcles,
des tendons, des vaiffeaux, des nerfs : on eût dit
au premier afpeét, que ces maffes blanches n’étoient
que. du tiffu cellulaire, dont elles repréfentoient
très-bien les Véoles & les véficules; aufli plufieurs
de nous penfèrent-ils que le tiffu muqueux étoit
véritablement la bafe & le fiége de cette matière
fingulière. On verra par la fuite de nos recherches,
ce qu’il faut penfer de cette opinion.
1 E i fuivant cette matière blanche dans les différentes
régions du cqrps, nous fûmes convaincus
que le tiffu de la peau éprouvoit partout cette
altération remarquable ; nous reconnûmes enfuite
quelles parties ligamenteufes & tendrneufes qui
attachent & retiennent les os n’exiftoient plus, ou
qu’au moins, ayant perdu leur tiffu & leur ténacité,
elles laiffoient les articulations fans attaches, fans
foutien, & les os livrés à leur propre pefanteur;
de forte qu’il n’exiftoit plus entr’eux qu’une juxta-
pofition fans réunion & fans adhérence; aufli le
moindre effort fuffifoit-il pour les féparer, comme
le favoient les foffoyeurs, qui, pour tranfporter
ces corps & les enlever des foffes que nous voulions
faire vider, les plioient & les rouloient fur
eux-mêmes de la tête aux pieds, en écartant ainfi
les extrémités des os autrefois articulées.
« Une autre obfervation aufli importanteque les
premières, & que nous avons fait conftamment fur
tous les corps changés en grasy c’eft que la eavité
abdominale n’exifte plus. Les tégumens & les mufcles
de cette région , changés en matière graffe
comme les autres parties molles de ces corps, font
affaiffés & appuyés fur la colonne vertébrale , de
forte que le ventre eft aplati, & qu’il ne refteplus
de place pour les vifeères ; aufli ne trouve-t-on
prefque jamais de trace de ceux-ci dans le lieu
prefqu’effacé qu’occupoit autrefois la cavité abdominale.
Cette obfervation nous étonna long-
tems : en vain cherchions-nous dans le plus grand
nombre des corps & le lieu & la fubftance de l’ef-
tomac, des inteftins, de la veflie & même du foie,
de la rate, des reins, & de la matrice chez les
femmes : tous ces vilcères étoient fondus, & fouvent
il n’en reftoit abfolument aucune trace. Quelquefois
feulement nous avons trouvé des maffes
irrégulières de la même nature que la matière
graffe, de différens volumes, depuis celui d’une
noix, jufqu’à deux ou trois pouces de diamètre,
dans les régions du foie ou de la rate.
» La poitrine nous a offert des faits aufli finguliers
& aufli intéreffans. L’extérieur de cette
cavité étoit aplati & comprimé .comme le refte
des organes ; les côtes, luxées fpontanément dans
leurs articulations avec les vertèbres , étoient af-
faiffëes & couchées fur la colonne dorfale ; leur
partie arquée ne laiffoit entr’elles & les vertèbres
qu’un petit efpace de chaque côté , bien différent
des cavités thorachiques par l’étendue & par la
forme: on n’y retrouvok point diftinélement la
plève, les médiaftins, les gros vaiffeaux, la trachée
artère, ni même les poumons & le coeur :
ces vifeères étoient fouvent entièrement fondus,
& la plus grande partie avoit prefque difparu. On
ne voyoit à leur place que quelques grumeaux de
matière blanche. Dans ce cas , cette matière, qui
eft le produit de la décompofition de vifeères
chargés de fang & de diverfesefpèces d’humeurs,
diffère de celle de la furface du corps & des os
longs, en ce qu’elle a toujours une couleur plus
ou moins rouge ou brune. Quelquefois nous
avons trouvé dans la poitrine une maffe irrégu