
- 6. Jufqu’à l’époque dë la découverte de la dé-
compofition & de la nature de l’eau , on n’avoit
rien fait ni pu faire fur la caufe & le mécanifme
de la fermentation vineufe. Depuis, l’un des auteurs
de cette découverte , l’illuftre Lavoifier, a
commencé par un beau travail fur ce mouvement
inteftin , a entrevoir fa fourcé, fon originé 8f les
phénomènes qui lui donnent naiffance. Ses recherches
fur cette partie de la fcience, quoiqu imparfaites
encore comme il l’a fenti lui-même, font
un d^s plus beaux monumens qu’on ait élevés à
lafcience, & on doit les compter parmi les chefs-
d’oeuvre chimiques qui illuftreront le fiècle & les
Français.
7. C ’eft à l’aide des premières données de La-
voifîer, tant fur la formation que fur ladécompo-
fition de l’alcool, qu’on eft parvenu depuis à faire
une fuite de découvertes importantes fur l’aétion
de ce corps , foit comme diffolvant, foit comme
„réaétif, foit comme agiffant par toute fa maffe &
dans toute fon intégrité, foit comme s’altérant &
fe décompofant. Trente ans fe font à peine écoulés
depuis l’époque où les chimiftes les plus ha- 1
biles (Rouelle, Macquer, Roux & Bucquet) re-
gardoient avec raifon alors la fermentation vineufe
comme un des my Hères* les plus impénétrables de
la nature , comme une forte de fanétuaire où elle
cachoit profondément un de fes fecrets, jufqu au
tems où la fcience eft parvenue prefque tout d’un
coup a expliquer ce phénomène fi abftrait, à réfoudre
ce problème fi élevé & fi difficile, à ramener
à des lois fimples ce mécanifme fLobfcur &
jufque-là fi inintelligible.
8. Dès-lors, une foule de vérités myftérieufes
auparavant, fur les propriétés de l’alcool, fur fa
légéreté, fon inflammabilité , fa flamme brillante
& fans fumée, fa converfion en éther; en un mot,
fur ce qu’il y avoit jufqu'alors de plus difficile &
de moins connu en chimie, font devenus des faits
fimples, des phénomènes faciles à expliquer, des
refultats précis d’ une première vérité acquife. La
découverte de Lavoifier a paru tout à coup un
phare qui a éclairé une route immenfe toute couverte
auparavant de ténèbres, & qui a rendu
cette branche de la fcience fi imparfaite & fi foi-
ble jufqu’à lui, beaucoup plus vigoureufe & beaucoup
plus rapide dans fa croiflance qu’on n’avoit :
pu l’efpérer. Tous les détails qui feront confignés
dans cet article vont prouver jufqu’ à l'évidence
la certitude de cette propofition.
§. II. Conditions de la fermentation vineufe.
9. Je nomme conditions de la fermentation vineufedes
circonftances néceffaires à fa formation ,
& fans Iefquelles elle ne pourroit pas avoir lieu :
une fois connues , il ne s’agit plus que de les faire
naître & de. les réunir pour exciter ce mouvement,
c>u bien de les détruire ou de les empêcher
d’avoir lieu, pour arrêter cette fermeatation,
pour mettre un obftacle à fon développement.
On verra bientôt qu’on, fe fert en effet de
l’une ou de l’autre de ces circonftances pour modifier
, comprimer, accélérer ou retarder , favo-
nfer ou gêner la fermentation vineufe-, & faire
naître ainli des différences plus ou moins importantes
dans les vins.
10. La première condition indifpenfable eft la
préfence d’une matière fucrëe. Toutes les obfer-
vations fe réunifient pour prouver qu’il n’y a que
cette matière végétale qui foit fufceptible d’éprouver
la fermentation vineufe, que fans elle on
n’auroit jamais de vin, & que tous les liquides
végétaux qui en contiennent , la fubiffent plus ou
moins facilement & fortement; Àuffi tous les fucs
de fruits fucrés, & furtout le fuc de canne à fu-
c r e , celui de raifin, de figues , de eerifes, de
prunes, d’abricots, de pommes & de poires, paf-
fent-ils , avec la réunion d’ailleurs des autres cir-
conflances dont je parlerai, à la fermentation vi-
neufe3 quelle que foit leur différence d’ailleurs ;
auffi les matières végétales non fucrées ne deviennent
elles fufceptibles de donner du vin que lorf-
qu’on y a produit par la fermentation faccharirte
préliminaire , une quantité plus ou moins grande
de fubftance fucrée , comme dans l’orge , le
maïs, &c. Voilà pourquoi jâai placé cette dernière
au premier rang des fermentations.
1 m Cependant le fucre, feul & pur, n’éprouve
jamais le mouvement inteftin qui doit le convertir
en vin. Tout le monde fait que , folide & criftaV
hfé, il eft abfolument inaltérable , &• relie dans
cet état fans fubir aucune efpèce de changement.
Le firop pur eft dans le même cas ; & quoique l’eau
foit une des conditions effentielles & indifpenfa-
bles pour la naiffance de la fermentation vineufe
jamais l’eau & le fucre, combinés l’un avec l’autre
, ne préfentent les phénomènes qui accompagnent
ce mouvement, & n’en fourniffent le.pro^
duit. G’eft un fait, bien conftaté aujourd’hui par
des expériences exa&es, & qui réfulte particuliérement
de celles ée MM. Boucherie frères, qui
dans la raffinerie de fucre de Bercy près Paris*
ont fait beaucoup d’obfervations importantes &
précifes fur cette matière.
12. La proportion , d’eau eft une des conditions
eflentielles de la fermentation vineufe : pour l’éprouver,
il faut que la matière fucrée foit diffoute
& bien liquide; trop de liquidité y nuit cependant,
& fait fouvent outre-paffer le terme de ce
mouvement en amenant promptement celui qui
en eft la fuite : une vifeofité trop grande lui eft
egalement défavorable., & ne permet pas qu’elle
s établiffe; auffi , quand la liqueur deftinée à. faire
le vin. eft trop épaifîe , on fe contente d’y ajouter
de 1 eau 5 & quand elle eft trop fluide, on y ajoute
du fucre ou une matière fucrée quelconque, qui
lui donne une confiftance plus force»
13. Il faut auffi pour la production de ce mouvement,
une température un peu élevée.. Jamais.
la fermentation vineufe ne s’établit ail deffous de
douze degrés du thermomètre de Réaumur 5 elle
commence à cette hauteur., & elle, va rapidement
à feize ; elle eft trop prompte au deffus de vingt,
& demande alors à être conduite avec précaution
& ménagement pour l’empêcher d’outre-paffer la
production du vin. Si le pays & la faifon font trop
froids, on échauffe artificiellement : dans des circonftances
oppofées, on place les matières fermentantes
à l’ombre & dans des lieux bas.
14. J’ai dit que le fucre & l’eau Seuls ne pouvaient
jamais fubir la fermentation vineufe. En effet , il
eft elfentièl que quelques matières étrangères ry
foient ajoutées, & c’eft ce qu’on voit dans tous
les fucs de fruits qu’on y fournée. Ils contiennent
tous, outre lé fucre & l’eau , du mucilage ,tde la
fécule, des parties colorantes, des acides, des
acidulés & des Tels. Voilà pourquoi les firops pharmaceutiques
qui contiennent même quelquefois
peu de fubftances étrangères au fucre & à l’eau,
fermentent ; mais s’ ils en font abondamment chargés,
ils paffent beaucoup plus vîte à cette fermentation
3 éc font plus difficiles à conferver; Il paroît
qu’une matière quelconque, fufceptible de divi-
fer la liqueur fucrée, fuffic pour devenir ferment,
& qu’elle n’a pas befoin d’ être d’une nature particulière,
ni d’avoir fubi déjà h fermentation vineufe
pour en communiquer le mouvement. C’eft
ainfi qu’outre la propriété connue de toutes les
liqueurs végétales fucrées & mixtes, d’éprouver
fpontanément la fermentation vineufe , on fait que
la falive, le lait, la chair elle-même, font fou-
vent capables d’exciter & de hâter cette fermentation
dans les liqueurs végétales.
15. Une grande maffe , un grand volume. favo-
rifent beaucoup la production & la force de la
fermentation vineufe : en général, plus les cuves
où l’on fait le vin font grandes, & plus on a.ob-
fervé que le vinlaçquéroit de qualité ; une petite
quantité de liqueur, fucrée n’éprouve jamais, ou
n’éprouve que difficilement cette efpèce de fermentation,
tandis qu’elle palfe très-vîte à la fermenta-..
tion acide : on va voir bientôt à quoi tient cette
différence.
16. Le contaét de l’air a été regardé par prefque
tous les chimiftes comme une des conditions
indifpenfables t de la fermentation vineufe ,* il ne
fert cependant que de réfervpir ou de récipient ,
dans lequel s’élève le gaz acide carbonique qui fe
dégage. Ce n’eft pas par fa propre nature chimique
ue l’air eft utile ; il n’entre, pas comme élément
ans la liqueur fermentante : voilà pourquoi cette ;
fermentation a lieu dans des vaiffeaux fermés ,
pourvu que des .tubes puiffent conduire le gaz
dégagé .dans un réfervoir deftiné à cet ufage , ;
comme l’a fait Lavoifier. Mais fi la matière qui!
doit fermenter,eft fortement comprimée,-fi au
lieu d’avoir un libre contaél avec l’air, ou un
tube qui ferve de conducteur au gaz, elle.eft enfermée
fous des bouchons qui empêchent entié.r
i rement la fortie du fluide élaftique, alors il n’y ,a
| pas de fermentation ou il n’y en a qu’une imparfaite,
parce qu’il n’y a pas de dégagement gazeux. ,
.
§. I I I . Phénomènes de la fermentation vineufe. ’
17. Auffitôc que la fermentation s’établit dans
une matière végétale fucrée, étendue d’eau, mélangée
d'une ou de plusieurs autres fubftances, &
placée dans toutes les circonftances ou conditions
néceffaires à fon exiftence , dont on vient de parler,
fa naiffance , fon état & fon terme s’annoncent
par une férié de phénomènes qui non-feulement
lui appartiennent en particulier & la caractérisent,
mais encore deviennent pour robferva-
teur des indices certains de fa marche & de fes
modifications. Il eft donc important de décrire
avec foin ces phénomènes, puifqu’outre les avantages
précieux que je viens d’énoncer, ils peuvent
encore guider le philofophe dans la recherche des
eau fes. de la fermentation vineufe.
18. Cette fermentation commence après quelques
heures ou quelques jours, fuivant l’élévation
de température à laquelle font expo fées les
liqueurs végétales fucrées, ou fuivant la quantité
de ces matières ; elle s’annonce par un mouvement
qui agite la liqueur, qui en déplace fucceffive^
ment les maffes, qui tranfporte dans fa continuité
l:s corps folides, les pellicules, les rafles, les
pépins, & qui les promène dans le liquide. Les
liqueurs en fermentation s’échauffent de dix-huit,à
vingt degrés’; elles fe troublent : on y voit, lorsque
l’opération eft faite dans un lieu bien éclairé
ou dans des vaiffeaux tranfparèns, comme dans
les effais en petit, des ftries comme huileufes qui
femblent tendfe à fe féparer du liquide & à en
occuper la partie fupérieure. On diroit que des
liqueurs fe partagent dès-lors en deux efpèces
diftinéles qui s’ifoient l’une de l’autre.
19. Les liquides fermentans augmentent fenfi-
blement de volume & s’élèvent dans les cuves ; ils
fe couvrent d’une écumé quelquefois très-volu-
mineufe, qui entraîne avec elle tous les corps
étrangers & folides ; c’eft ce qu’on nomme le chapeau
dans les cuves où l’on fait le vin. Cette écume
eft produite, air.fi que le foulévement de toute la
maffe fermentante , par le dégagement du gaz
acide carbonique qui adhère pendant quelque
tems à la liqueur encore vifqueufe ; qui s’attache
en fe-dégageant, aux matières folides mêlées à
cette liqueur , & les enlève avec lui; qu i, mis
bientôt en,liberté, remplit le haut des cuves &
forme cette atmofphère pernicieufe pour ceux qui
foulent fans précaution la vendange, & dans laquelle
Prieftley & Chaulnes ont fait les premiers
des expériences intéreffantes. citées ailleurs : le
réfultat de ceiles-ci a été que ce gaz eft de la même
nature que celui que l’on tire de la craie & des alcalis
par effervescence, qui fe forme par la com~
buftion du charbon, qui remplit la grotte du chie%