
14. La même chofe fe paffe dans la coagulation
fpontanée du lait : les premières portions d'acide
qui fe forment, s'unifient à \a matière caféeufe &
la féparent de la liqueur. Celle-ci eft alors douce,
ou du moins très-légérement acide 5 mais à mefure
que la fermentation développe de nouvelles quantités
de vinaigre, celui-ci ne pouvant plus s'unir à la matière caféeufe pour la précipiter en fromage
, idiflbut le caillé & fe combine avec lui au
ferum. Ainfî, lorfqu’on a employé trop d'acide
pour coaguler le lait, le ferum contient une com-
binaifon de fromage & d’acide tenue en diffolution
par un excès de ce dernier. Ainfî le lait étant toujours
naturellement un peu acide, le fromage doit
y exifter déjà dans un commencement de combi-
naifon , laquelle contribue vraifemblablement à
donner l’opacité qui eft propre à cette liqueur.
- 3y. S’il en eft ainfî, les chimiftes n’ ont jamais
eu la matière caféeufe dans fon état de pureté, &
conféquemment on ignore encore fes propriétés ;
peut-être eft-elle elle-même foluble dans l’eau. Ce
qui femble le prouver, c’eft que, fi l’on n’a pas
mis affez d’acide pour féparer tout le fromage du
ferum, on a d’abord beaucoup de peine à l’obtenir
clair; & , quand on y eft parvenu, l’addition
d’un acide y forme un nouveau précipité : c’eft ce
qui paroît arriver à du petit-lait doux lorfqu’il
commence à fubir la fermentation acide ; il fe
trouble, & dépofe, comme on fait, une matière
blanche qui reffemble beaucoup au fromage.
36. Mais la totalité de la matière animale qui fe
trouve dans le petit-lait, eft-elle de la matière
caféeufe diffoute par elle-même ou à la faveur d’un
acide? Si cela étoit, il faudroit que cette fubf-
tance eût finguliérement changé de propriété : cependant
cela eft peu probable, car d’abord il y en
a une trop grande quantité, & , d’une autre part,
on ne lui reconnoit prefque plus aucun des caractères
du fromage.
Il nous paroît que la plus grande partie de cette ■
fubftance eft un mucilage animal dont Schéele a
déjà parlé dans fa Differtation fur le lait. Ce mé- i
lange eft foluble dans l’eau : fa folution fe colore ]
facilement par la chaleur & l’évaporation > c’eft j
lui qui s’unit fi étroitement avec l’acide acétique, j
qui l’enchaîne pour ainfî dire , & l’empêche de
fe volatilifer au degré de chaleur auquel il a coutume
de fe réduire en vapeur ; enfin nous penfons
que c’ eft la combinaifon de cette fubftance avec
le vinaigre exiftant naturellement dans le lait, &
avec celui qui fe forme par la fermentation de
cette liqueur, qui conftitue l’acide iadtique de
Schéele.
C ’eft cette fubftance qui donne à l’acide acétique
la propriété de précipiter Tinfufion de noix
de'galle, l’acide muriatique oxigéné, l’acétate
de plomb & quelques autres fels métalliques. C’eft
elle qui, par l ’évaporation, fe colore, fe brûle
& fe dépofe fous la forme d’un bitume > c’eft elle ,
auffi qui fe précipite en partie quand on mêle à fa
dilfolution concentrée de l’alcool déflegmé ; mais
il en refte conftamment une partie en combinaifon
avec l’acide acétique , & cette combinaifon eft
difloluble dans l’alcool. C ’eft elle encore qui fe
convertit en vinaigre par la fermentation , car on
en retrouve beaucoup moins dans Je petit-lait aigri
que dans le petit-lait doux ; mais jamais.tout ne
paffe à l’acide, parce qu’ à mefure que celui-ci fe
forme, il en diflout une portion & la préferve
de la décompofîtion. C ’eft ainfî que fe forme l’acide
ladtiqué de Schéele.
37. Cependant, pour acquérir quelques notions
de plus à cet égard, nous avons fait bouillir avec
de l’acide acétique affoibli du fromage formé fporn-
tanément & bieq lavé. La plus grande partie de
cette matière s’èft diffoute; mais, par le refroi-
diffement, la folution s’eft prife en nne gelée
demi-tranfparente , comme du lait coagulé fpon-
tanément. Cette corrîbinaifon préfentoit | il eft
vrai, quelques-unes des propriétés de l’acide lactique
ordinaire, telles que celles d’êrre précipitée
par la noix de galle , l’acide muriatique oxigéné ,
î’alcool & l'acétate de plomb; mais elle endifféroit
auffi par plufieurs autres. Par exemple y elle ne fe
coloroit point pendant l’évaporation, & ne dépo-
foit pas de matière bitumineufe. Le réfidu de fa
diftillation eft blanc ; il ne retient que très-peu
de vinaigre en combinaifon, & il ne fe diffout
pas en totalité dans l'eau. Ainfî il n’ y a pas plus
de parité parfaite entre cette combinaifon fa&ice
& l’acide la&ique de Schéele, qu’il n’y en a entre
lamatière caféèufe & la fubftance animale particulière
dont nous venons de parler.
38. Cette fubftance animale, différente de la
matière caféeufe, & qu i, exiftant dans l’acide lactique
, lui donne des caraétères particuliers, nous
paroît avoir plus d’analogie avec le gluten altéré
par la fermentation, & tel qu’il fe trouve dans
l’acide des femences céréales fermentées. En effe
t, ce dernier n’ cft qu’une combinaifon de matière
végéto-animale altérée avec le vinaigre, plus
une certaine quantité d’ammoniaque, absolument
comme dans l’acide laétique.
§. VI. Examen du fromage Jeparé du lait frais par
C alcool.
39. Il a été remarqué plus haut que, quoique
nous euflions employé autant d’alcool que de lait
pour en opérer la coagulation, cependant la totalité
de la matière fucrée eft reliée en diffolution
dans le mélange d’alcool & de ferum ; ce quiprouve
que cette matière peut fe diffoudre dans de l’eau-
de-vie à 18 degrés , car l’alcool que nous avons
employé, avoit environ 36 degrés..
Mais, par cette méthode, le ferum ne tenoit nt
phofphate de chaux ni fromage en diffolution ; au
moins l’ammoniaque n’y a produit qu’un précipité
extrêmement léger > tandis qu’elle en forme un
très-abondant dans le petit-lait formé par la fermentation
fpontanée ou par un acide quelconque
dont on a mis un excès. C ’eft donc à la préfence
de l’acide acétique, qui fe développe par la fermentation
du lait, qu’eft due la diffolution du
phofphate de chaux dans le ferum. N ayant donc
pas reconnu ce fel dans le petit-lait préparé par
l’alcool, nous devions le retrouver tout entier
dans le fromage.
40. Les propriétés phyfiques du fromage ainfî
préparé annonçoient déjà quelques caractères dif-
férens de ceux du fromage qu’on obtient par la
coagulation fpontanée du lait : il étoit plus opaque
, & il na pas pris, en defféchant, la demi-
tranfparence cornée que préfente le fromage ordinaire;
fes parties, en fe rapprochant fur elles-
mêmes , ont exprimé une affez grande quantité
de beurre qui fuintoit à la furface fous la forme
de petites gouttes d’huile.
Pour favoir donc fi le phofphate de chaux étoit
refté dans ce fromage, nous l’avons fait brûler,
& nous avons traité le réfidu avec de l’acide nitrique
qui l’ a difious en totalité, moins une très-
petite quantité de charbon. Nous en avons enfuite
précipité la diffolution par l’ammoniaque, & nous
avons obtenu cinq grammes un deuxième de phofphate
de chaux, qui, après la calcination , avoit
une couleur bleue tendre très-agréable. On fe rappelle
que, dans ces dernières expériences, il avoit
été employé deux litres de Lait.
L’on voit donc par ce réfultat, que la totalité
du phofphate de chaux contenu dans le lait étoit
reftée avec le fromage, car on doit fe fouvenir
que, dans la première expérience, le ferum obtenu
de quatre litres de lait nous a fourni onze
grammes un deuxième de ce fel, & que nous n’en
avons pas rencontré de traces fenfibles dans les
cendres du fromage brûlé. Ainfî, dans le lait aigri,
tout le phofphate de chaux eft dans le ferum , au
lieu que dans le lait coagulé par l’alcool, tout ce
fel refte dans la matière caféeufe. On verra bientôt
qu’il en eft de même lorfqu*’on coagule le lait par
un acide quelconque dont on n’ajoute pas un excès
: la plus grande partie du phofphate refte auffi
dans le fromage. Cela pourra nous fournir un
moyen d expliquer l’état dans lequel fe trouve
cette fubftance dans le lait.
41. Lorfque nous apperçûmes pour la première
fois la couleur bleuâtre que prend par la calcination
le phofphate de chaux retiré du lait, nous
ne favions à quoi l’attribuer ; mais quand l’expérience
nous eut appris qu’il y avoit du phofphate
de fer avec le phofphate de chaux, l’explication
fe préfenta d’elle-même. L’on fait en.effet que le
phofphate de fe r , au minimum d’oxidation , eft
blanc; que, par l’addition d’une petite quantité
d’oxigène, il devient bleu comme celui que nous
offre la nature, & que l’on connoiffoit autrefois
fous le nom de bleu de Prujfe natif ; qu’enfin , par
une plus grande quantité de ce principe, il paffe
au jaune-rouge , & c’eft auffi ce qui nous eft arrivé
plufieurs fois lorfque le phofphate de chaux
étoit très-divifé, & que nous le calcinions Iong-
tems à une chaleur moyenne.
On voit maintenant pourquoi les os calcinés à
une forte chaleur prennent toujours une couleur
bleue-verdâtre , à moins qu’ils ne foitnt très-
poreux, comme le diploé des os plats & dcs têtes
articulaires.
Cela explique auffi la caufe de la couleur des os
paffés naturellement à l'état de turquoife dans le
fein de la terre ou à fa furface.
Les os contiennent donc du phofphate de fer.
Les boucles de raie doivent en contenir auffi ,
car, quand on les calcine fortement, la furface
de leur cavité prend une couleur bleue beaucoup
plus intenfeque celle des os des quadrupèdes. Leur
extérieur ne prend qu’une légère couleur jaune,
parce que le phofphate de fer qui y exifte fûre-
ment auffi, abforbe une plus grande quantité d’oxigène.
§. VIL Coagulation du lait par Vacide nitrique , &
examen des produits.
42. L’opération par laquelle nous avons coaguléde
lait au moyen de l’alcool , ne nous prou-
voit pas directement que le phofphate de chaux,
ne fût pas en diffolution dans le lait entier, quoique
nous n’en euflions pas trouvé dans le ferum ,
parce qu’il auroit été poflible que l’alcool eût fe-
paré ce fel de fa diffolution, & l’eût ainfî précipité
& confondu avec le fromage.
Pour tâcher de réfoudre cette, queftion, nous
avons coagulé deux litres de lait par l’acide nitrique,
en faifant en forte de n’en pas mettre un excès
; nous, avons enfuite filtré la liqueur au papier,
ce qui a duré long-tems , à caufe d’une petite
quantité de fromage très-divifé & refté en fufpen-
fion dans la liqueur, par défaut d’une quantité fuf-
fifante d’acide dans le ferum filtré & clair. Nous
avons verfé de l’ammoniaque qui a fait naître un
léger précipité , lequel, lavé & calciné, pefoit
un gramme fix dixièmes , au lieu de cinq un
deuxième qu’il auroit dû pefer fi la totalité du
phofphate de chaux fût reftée dans le ferum.
Encore faut-il remarquer que, malgré la précaution
que nous avions prife de ne pas mettre
trop d’acide, cependant le ferum rougiffoit la teinture
de tournefol très-fenfibiement, plus quecelui
qui avoit été obtenu par l’alcool.
Le fromage obtenu par cette opération , lavé
& exprimé, prit, en defféchant, une couleur rofe
qu’aucun de ceux obtenus dans les opérations pré-
s cédentes n’avoit manifeftée ; il prit auffi la demi-
î tranfparence de la corne, & laifla fuinter entre
I fes pores une grande quantité de beurre fous forme
I d’huile. 11 eft vraifemblable que cette couleur pro- j venoit de la réaction de l’acide nitrique , devenu
I concentré par la defliccation fur le fromage.
H h h h 2