
vaux de ce côté-là , ou auxquels le hafard en procure
qui paroi fient de cette nature , ont befoin de
la plus grande circonfpeétion pour nefe point la if-
fer entraîner dans les dépènfes de tems & d’argent,
fou vent aufli infruétueufes qu’elles font confidé-
-rables. 'Ces fortes de travaux , qui ont quelqu’ar
nalogie avec ceux de la pierre philofophale par les
idées de fortune qu’ils font naître , en ont aufli
tous les dangers. Il eft rare que, dans une certaine
fuite d’épreuves-, il ne s’en trouve pas quelqu’une
de très-féduifante, quoiqu’elle ne foie réellement
rien en elle-même. La chimie eft toute remplie de
ces demi-fuccès qui ne font propres qu’à tromper
lorfqu’on n’eft point affez fur fes gardes : c’eft un
vrai malheur que d’en rencontrer de pareils. L’ardeur
redouble, on ne penfe plus qu’à cet objet >
les tentatives fe multiplient, l’argent ne coûte
•rien , la dépenfe eft. déjà même devenue très-con-
fidérable avant qu’on s’en foit apperçu > & enfin
ori reeonnoît, mais trop tard, qu’on s’eft engagé
dans une route qui ne conduifoit à rien.
’»Nous fommes bien éloignés, en faifant cesrér
flexions, de vouloir détourner de ces fortes de
recherches ceux que leur goût & leurs talens y
rendent propres nous convenons au contraire que
la perfection des arts , la découverte de nouveaux
objets de manufacture & de commerce, font fans
contredit ce qu’il y a- de plus beau , de plus inté-
refiant dans la chimie , & ce qui la rend vraiment
eftimabie. Que feroit-elle en effet fans cela, fi ce
n’eft une fcience purement théorique, capable
d’occuper feulement quelques efp. its abftraits &
fpéculatifs, mais oifeufe & inutile à la fociété?
xl eft très - certain aufli que les fuccès dans le
genre dont il s’agit, ne font pas fans exemple,
qu’ils ne font pas même abfolument rares, & que
l’on voit de tems en tems ceux qui -lèsent, acquérir
une fortune d’autant plus honorablequ’ils ne
la doivent qu’à leurs travaux. & à leurs talens.
Mais, nous le répétons , dans ces fortes de travaux,
plus la réuffne paraît brillante & prochaine,
plus on a befoin de circonfpe&ion, de fang froid
& même d’une forte de défiance.
»3 Je me crois d’autant plus autorifé à donner ces
avertiffemens falutaires, que, quoique j’aie toujours
été convaincu de leur importance,. j’avoue
que je ne les ai pas toujours fuivis j. mais je puis affaire
r en même tems que chaque négligence n’ a
jamais manqué de m’attirer la punition qui en eft la
fuite naturelle. *>
Après avoir configné ici ces fages préceptes de
Macquer, je crois devoir terminer cet article par
un Mémoire que j’ai publié en 1784 fur la manière
de faire les recherches & les expériences de chimie,
en y faifant d’ailleurs les modifications que
la différence des tems & l’état a&uel de cette
fcience ont rendues néceffaires.
ce Beaucoup de phyficiens nous ont déjà fait con-
rottreüa difficulté de l’art de faire des expériences}
ils ont infifté fur toutes les çiieonftaujcçs né.-
ceffaires pour conftituer de bonnes obfemtions.
Prefque tous fe réunifient à recommander aux
hommes qui veulent s’appliquer à la partie expérimentale
de la phyfique , de mettre la main à
l’ouvrage fans attendre tel eu tel réfultat, & fans
dejirer auparavant d’obtenir tel ou tel phénomène ;
ils veulent furtout qu’on ne travaille point d’après
des hypothèfes & des opinions , parce qu’il eft à
craindre que l’ efprit, fans ce fie occupé de ces objets
qui y font fortement gravés, ne s’oppofe à
la perception exaéte des phénomènes, & , en troublant
les organes, n’entraîne le jugement dans des
erreurs dont ils prétendent qu’il eft bien difficile
de fe défendre. En effet, il eft démontré pour
tout homme qui a interrogé la.nature, & qui a
tenté des expériences, que l’on eft naturellement
porté à defirer la conformité de leurs réfultats
avec les opinions qu’on s’eft formées, & que, s’il
fe préfente le moindre phénomène analogue à ce
qu’on fouhaitoit, quoique cette analogie ne foit
rien moins que complète, on eft, comme malgré
foi, engagé à voir & même à dire aux autres que
l’on a vu j ce qui n’eft fouvent que le preftige de
l’imagination ou le délire de l ’efprit.. Telle eft
fans doute la caufe la plus fréquente des erreurs,
des contradi&ions, des oppofitions qui fe font
répandues dans les fciences phyfiques, & en particulier
dans la chimie. Il n’eft pas rare dans cette
dernière de trouver plufieurs perfonnesqui, ayant
fait la même expérience, prétendent avoir obtenu
différens réfultats j cependant la nature eft la
même partout} elle doit opérer dans un .laboratoire
comme dans un autre j, & fi fes rép.onfes ne font
pas les mêmes pour tous les hommes ,. c’ eft fans
doute parce qu’ils ne l’interrogent pas tous de la
même manière.
» Tous les efforts d’un favant qui cherche de
bonne foi la vérité par la voie des expériences,
doivent donc fe porter à écarter toute opinion,
toute préoccupation de fes recherches , mais ce
premier objet une fois rempli , il en eft encore un.
autre fur lequel les chimiftes doivent, plus que
tous les autres favans, infifter avec beaucoup de.
foin ; c’eft l’art de faire des expériences ,. & fur-
tout-celui d-’en décrire convenablement les phénomènes..
L’art expérimentai n’eft rien moins que facile.
Il eft évident que je n’entends pas par-là celui de
faire les principales opérations de la chimie, telles
que des diftillations, des évaporations, des crif-
tallifationsqtie l’habitude rend bientôt praticables
pour les hommes les moins propres aux fciences,
& qui, quelque bien qu’on les faffe, ne confti-
tueront jamais, qu’un métier. Cette partie-pratique,
de la chimie demande , à la vérité, des qualités
phyfiques , une adreffe naturelle , des organes
bien cooflitués, qui ne fe rencontrent pas partout
, mais que l’on peut toujours acquérir à un
certain degré par l’ufage. Ce que j’appelle au contraire
l’arc expérimental exige de profondes conr
noiffancès théoriques. Pour y faire des progrès,
& pour rendre à la chimie de véritables fervices,
il faut réunir une imagination vive fans être fou-
giKufe, au jugement le plus fain & à la patience
ja plus calme. Cette réunion eft d’autant plus difficile,
qu’eile femble être prefque toujours relu fée
par la nature. En effet, l’homme né avec le génie
des fciences phyfiques , & qui fe livre aux fpédilations
philolbphiques fur la chimie, n’a pas en
général cette adrefie, cette fage lenteur même
qui eft néceffaire pour réuflîr dans la pratique. S’il
veut exercer l’arc des expériences chimiques, il
fe hâte j le tems des opérations lui paroît toujours
trop long j fes mains n’obéi fient point affez
vite aux ordres de fon imagination , ou plutôt
cette dernière devance toujours la fin des expériences}
il aime mieux deviner pour ainfi dire les
réfultats , que de les attendre. Heureufement que
ces hommes font rares l Si la nature ne produiloit
que ceux-là , la fcience ne feroit bientôt plus que
conjecturale ; & plus elle paraîtrait s’enrichir,
pl us elle s’appauvriroit réellement. Mais il exifte
une autre clalfe d’ hommes, dont les organes moins
àétifs & l’efprit plus calme les portent à ne trouver
de véritable plaifir qye dans la pratiqué des
opérations de chimie} ils s’y dévouent avec cette
retenue, cette circonfpeétion qui affurent l’exactitude
des réfultats, & c’eft à leurs travaux que
la fcience doit la folidité de fes fondemens.
33 En vain les théoriciens ont-ils voulu s’élever
au deffus de cette claffe de travailleurs : on leur
oppofera toujours, & avec raifon, que fans eux
ils ne feroient rien, & que les travailleurs font
utiles , non-feulement pour éclairer & diriger
leurs fpéculations , mais encore pour corriger les
erreurs dans lefquelles ils font fouvent tombés.
Ces diftinétions; quoique fondées par la nature,
font aujourd'hui affaiblies 8c rendues prefque milles
par les efforts de l’art, depuis qu’on ne fait
plus un pas dans les fciences phyfiques fans être
précédé par le flambeau d'e l’expérience. On a
renoncé à ces raifonnemens vagues & futiles, qui
partageoient les chimiftes il n’y a pas encore bien
long-tems. Tous ceux qui s’occupent de chimie
n’avancent plus aucune affertion lans quelle foit
fondée lur des faits, & il n’eft plus permis de
parler de cette fcience fans s’ ê-.re livré à l’ob-
fervation des phénomènes naturels qui la confti-
tuent.
>3 Cependant, quoiqu’il femble que l’on travaille
de tous côtés, & qu’ il y ait partout des laboratoires
en aélivité , il exifte nombre de faits fur lefquels
on n’eft point‘encore d’accord, même parmi ceux
ui fe préfentent le plus fréquemment r il faut
onc que cela tienne à la difficulté jpême de l’art
de faire des expériences , & c’eft ce que je vais
effayer de démontrer..
• >» Perfonne ne peut nier que ce ne foit à [’exécution
des lois établies par la nature, que tous les
phénomènes chimiques font. dus. Cette vérité n'a
été bien fentie que par les chimiftes modernes :
ceux des fiècles antérieurs au nôtre , agités d’une
folie qui n’aura peut-être jamais d’exemple pateil
dans l’hiftoire des hommes, croyoient audacieu-
fement tout devoir à leur art, & étoient ridiculement
émerveillés de tout ce qu’ils opéraient
avec leurs agens. Ce n’eft que'depuis la philofo-
phie newtoniène que l’on a fait rentrer la nature
dans fes droits, & les chimiftes réunis aux autres
favans, & dignes de coopérer avec eux à l’utilité
publique, ne voient dans toutes leurs opérations
que les effets d’une force inhérente dans tous les
corps. Il fuit delà que, files mêmes matières
mifes en contaét préfentent aujourd'hui un autre
phénomène que celui qu’elles ont préfenté hier,
ce n’eft qu’à des changemens dans les circonftan-
ces extérieures , qu’ il faut attribuer cette différence.
Or, rien n’eft plus varié que cescirconf-
tances, le local, l’état de l’air, fa pefanteur, fon
élafticité, fa température, la forme des vaiffeaux,
leur pofition, le mouvement, l’agitation, le repos,
l’ombre ou la lumière, le voifinage de quelques
corps, &c. &c. Toutes ces chofes & beaucoup
d’autres encore influent fur une expérience ,
& la modifient fans doute de mille manières différentes.
Quelque minutieufe, quelque petite que
puiffe paraître cette affertion aux perfonnes qui
croient l’art des expériences facile, j’ ofe l’avancer
avec confiance, & je ne ferai fûremenr pas défap-
prouvé par les hommes qui recherchent la vérité,
& qui ont fans doute eu, comme moi, mille occa-
fions d’obferver des variétés fans nombre dans les
mêmes expériences.
33 Si l’on en veut des exemples , je puis en offrir
une foule : un Laboratoire fitué au haut ou au bas
d’une maifon apporte des différences dans les
effais fur les matières falines $ elles criftallifent
plus oii moins facilement, elles fe fondent ou s’ef-
fleuriffent, &c.
33 L’air humide facilite la déliquefcence, diminue
l’évaporation ( 1 ) , s’oppofe à la criftallifation, à
la defficcation,. & c. L’air chaud accélère les dif-
folutions, tient à l’ état liquidé les corps ttès-fufi-
bles, réduit en vapeurs les fubftances volatiles, &c.
Avant Fahrenheit favoit-on que l’ébullition de
l’eau fût plus ou moins facile & prompte, fuivant
la pefanteur de l’air. Qui peut douter que la
fcience aéroftatique ne foit appliquée quelque
jour avec fuccès aux phénomènes chimiques?
3? La forme des vaiffeaux fait varier la même
opération en multipliant ou refferrant les furfaces.
Tous les praticiens favent combien elle influe dans
la diffolution, la diftillation, la fufion, la voiati-
lifation, &c.
33 Le repos ou l ’agitation des corps mis en con- 1
(1) Ces‘ variétés dans les expériences n'ont lieu d’une
manière bien marquée, que dans celles qui demandent püt-
fleurs heures,, 8c beaucoup font dans ce cas«