
C'eft ainfi que par degré on peut s'habituer,
jufqu'à un certain point , à l’ufage des fubftances
les plus dangereufes , telles que les poifons ,
l'opium j &c. Cette confidération eft d'un grande
importance dans l'ufage trop long-temps continué
des médicamens. Dans le commencement , ils agif-
fent fur nos organes , mais bientôt ceux-ci s'habituent
à leur aftion , & alors ces médicamens ne pro-
duifent plus l’effet qu'on auroit droit d'en attendre
dans toute autre circonftance } auffi , eft-il bien
reconnu que les maladies les plus dangereufes font
celles qui ont réfifté pendant un certain tems aux
remèdes les plus aétifs. On.conçoit encore que ,
lorfque nous fommes ainfi habitués à un remède
quelconque, il feroit très-imprudent de ce fier
tout-à-coup fon ufage , parce qu'alors, il pourroit
exifter entre les deux fenfations fucceffives, une
différence ailes grande pour produire des maladies
plus ou moins graves.
L'habitude n’eflpas la feule cuufe qui fait varier
Vintenfité des fenfations du. même individu ; il en
exifie beaucoup d'autres qui peuvent produire le même
effet'. C'eft ainfi que vers la fin du frijfon des
fièvres, nous éprouvons prefque toujours, fui-
vant Cullen ( i ) , un fentiment de froid très-
douloureux , tandis que les per fonnes qui nous
touchent éprouvent une fenfation de chaleur,
qü'ils expriment en difant nous fommes brûlans (2).
Cet effet provient très-probablement d'un changement
dans notre fyftême. Que ce changement
exifte dans les mufcles ou dans les nerfs , c'eft fur
quoi nous reviendrons dans un autre moment s il
nous fuffitde prouver quant à préfent, que finten-
fité des fenfations du même individu efi extrêmement
variable , /bit dans l'état de maladie , foit dans l'état
de fanté. Après avoir été alité pendant un certain
temps , par exemple , on éprouve prefque toujours
une fenfation dè froid plus ou moins marquée.
C ’eft auffi, par la même raifon, que dans
les différentes périodes de la v ie , nous fommes
plus ou moins fenfibles. Il faut donc obferver que.
toutes les explications que renferme ce mémoire,
fuppôfent que notre fyftême ne varie pas fenfible-
ment. Je reviendrai dans une autre circonftence fur
les phénomènes que produifent ces variations. J exj
pliquerai alors pourquoi dans certaines circonfo
tances, ^principalement , lorfqu5 après avoir
beaucoup perdu de fang_,norre exiftence eft prête à
s'anéantir, nous pouvons boire une bouteille d’eau-
; dê-vie , fans que la fenfation qu'elle nous procure
foit différente de ceile-qüe nous procureroit
dans l'état de fanté une égale quantité d'eau. Je
prouverai auffi à cette époque que les fpiritueux
n agijfaii pas fur notre fyfiême comme dijfolvans ,
mais feulement comme flimulans.
Puifqu’il exifte des variations fi fréquentes
'dans le degré de fenfation du même individu
, lors même qu'il eft dans des cir-
cofiftam.es femblables , il en réfulte que le rapport
qu’on peut établir entre Vintenfité des fenfations
qu éprouvent différentes perfonnes , lorfqu elles font
expofées aux mêmes influences, efl Varia»le par une infinité
de caujes. Deux perfonnes , par exemple ,
expriment d’une manière différente,les fenfations
qu’elles éprouvent lorfqu'on les plonge dans un
fluide élevé a une températusequelconque , fou-
vent l'une dit qu'elle a chaud, tandis que l'autre
fe plaint d'avoir froid.
Cette différence qui exifte 'entre Pintenfité des
fenfations qu’éprouvent p’.ufieurs individus , lorf-
qu'ils font dans des circonftanres femblables , ifif
flue beaucoup fur l'ufage.des alimens , & à plus
forte raifon fur celui des médicamens. Ne remarquer
on pas très-fouvent, en effet, que le
même remède agit très-différemment , relativement
à fon inte'nfite, fur telle ou telle perfonne?
C'eft au médecin inftruit à faifir ces nuances, les
charlatans qui n'y regardent pas de fi près 5 produire
rit dans ces circonftances , des maux incalculables
, pour lefquels on devroit févir con-
tr’eux avec la plus grande rigueur.
On ne juge de la fenfation d'une perfonne 3 que par
l'idie que Von attache au. mot dont elle fe fert pour
l ’exprimer. Ainfi , lorfque quelqu’un dit qu'il a
froid3 nous croyons qu’il éprouve une fenfation
Semblable à celleque nous exprimons par le même
mot. Mais ce jugement tfi fouventtrès-inexaft. Jefup-
pofe par exemple,que pluficurs perfonneSjqui n’ont
(1) Voyer les élémens de médecine - pratique de
Culien , v. 7 , pag. 7. Dès que ces fymptômes commencent
, Von peut s appercevoir par le toucher, d‘un
froid des extrémités, auquel le malade ne fait que
peu d'attention. Ce n’efl qu'au bout d’un certain temps
qu il éprouve lui ■- même une fenfation. de froid, û qui
commence 'communément dans le dos . & bientôt Je
communique à tout le corps , alors la peau parole
chaude au toucher.
(z) J’ai annoncé dans un mémoire fur la refpiraiioD,
imprimé dans le Journal de Phyfique en Décembre
1790 que pendant le friilbn de la fièvre, il y a moins
d’e* viral décompofé dans les poumons, & conféquem-
menr moins de calorique communiqué à fon fyftême.
Comment donc peut-il fe foire me demander a-1-on
peut-être , qu’à la fin du frijfon des fièvres , nous procurions
cependant une fenfation de chaleur aux per-
fonnes qui nous touchent? Si l’on veut y réfléchir attentivement
y on fenrira que ce phénomène dépend de
ce que le fpalme qui fe forme dans cette circonftance à
la farface de notre dos, arrête la tranfp irai ion.' Fourni
fiant donc alors aux perfonnes qui nous touchent,
toute la portion de calorique qui fe feroit combinée
avec celle de nos humeurs que l’air auroit pu difi'budrei,
nous leur en communiquons plus qu’a l’ordinaire 4
jamais éprouve aucune fenfation , foient dans la
même chambre , & que vous leur préfentiez
une Feuille de papier. Il eft très- poffible que cette
feuille de papier produife fur elles des fenfations
tout-à-fait différentes.„Mais fi vous leur dites , la
propriété dont jouit le corps qui efl devant vos yeux 3
& qui vous procure la fenfation que vous éprouve£ en
ce moment 3 fe nomme blancheur j ils incorporeront
fi bien dans Jeur efprit ce mot & cette qualité ,
qu’il ne leur fera plus poffible de les réparer.
Toutes les fois donc qu’elles éprouveront la
même fenfation , elles diront qu'elles voient du
blanc ; de même que lorfqu'on leur prefentera du
blanc , elles éprouveront une fenfation analogue,
quelle que foit la différence qui exifte entre les im-
preffions que cette couleur produit fur l'organe de
leur vue.
Il en eft de même des fenfations de chaleur &
de froid.
Nous pouvons donc conclure , que Vintenfité
des fenfations qu’éprouvent divers inaividus , lorfqu'ils
font expo]es aux mêmes influences , efi prefque
toujours différente dans chacun d'eux , & n efl même
pas comparable dans aucune circonflance. Ne pouvant
pas dépeindre directement , en effet, les fenfations
que nous éprouvons, il eft très-poffible que
nous choififfions, pour les dénommer , des circonftances
qui ne font pas analogues à celles que
choifit tel ou tel autre individu ; & conféquem-
rnei.it nous nous tromperions beaucoup , fi , lorf-
qu’une perfonne fe plaint d'avoir froid , par
exemple, nous affirmions qu'elle éprouve une
fenfation femblable à celle que nous exprimons
par la même expreffion.
I l nous 'arrive bien fouvent, en voulant indiquer
la fenfation que nous éprouvons , de préfenter une
idée tout-a-fâit contraire a la vérité. Citons quelques
exemples. Lorfqu'après une pluie abondante , le
foleil eft enveloppé de nuages , & que l'atmo-
fphère , dont la température eft fub itéraient élevée
de 7 ou 8 degrés , fe trouve furfaturée d’humidité
| nous difons que le temps efi lourds & cependant
, en confultant le baromètre , nous trouvons
que la preffion dè l’atmofphère eft moins
grandè qu’elle ne l'étoit auparavant. Nous présentons
donc dans cette circonftance une idée
quoique dans cette circonftance notre fyftême en contienne
réellement moins. Joignez à cette explication ,
les changemens <Jc capacité & même de nature qui, dans
l’état de maladie, peuvent furvenir à quelques parties
de notre fyftême , & nous concevrons très-exaélement
pourquoi, lorfque nous touchons vers la fin de fon
accès de frijfon un individu qui a la fièvre, nous éprouvons
une fenfation de chaleur, quoique le malade
contienne réellement moins de calorique qu’à l'ordinaire,
& qu’il reffente même un froid trcs-douloureux.
fauffe , que nous ne pouvons corriger qu'en appréciant
tien toutes les caiifes; il faut par confé-
quent enchaîner les phénomènes , & alors on re-
connoît que nous attribuons à l’air une propriété
qu'il n’a pas réellement. ( 1 )
Lorfque nous faifons partir un fufil à vent,
nous difons que l ’air qui en fort eft vifible , mais
noùs nous trompons dans cette circonftance ,
parce que nous n’y réfléchiffons pas allez, fi nous
remontions aux caufes, nous reconnoîtrions promptement
que ce phénomène dépend de la propriété
dont jouit l’air jufqu’à un certain point, de dif-
foudre d’autant plus d'eau qu’il eft plus comprimé,
& d’abandonner cette eau lorfqu’il revient à fon
premier degré de compreffion. Il en eft de meme
du brouillard qu’on obferve lorfqu'on décharge
un fufil 5 avec cette feule différence , que ce fécond
phénomène dépend, en grande partie, de la
propriétés dont jouiffent les fluides, de diffoudre
d’autant plus d'eau qu'ils dont plus échauffés , &
d'abondonner cette eau à mefure qu'ils fe réfroi-
diffent ( 2 )
Il ne me refte plus maintenant j meffieurs ,
qu’à réfumer en peu de mots les énoncés que Ton
vient de préfenter.
« i° . Le calorique eft un fluide répandu partout
en grande quantité, & dont quelques effets
ont de l'analogie avec ceux que produit la lumière
, tandis que d’autres en différent effentiel-
lement. »
m 2°. La lumière eft un fluide répandu par-tout
en grande quantité , & dont les effets font prefque
toujours diftin&s de ceux que preduifent les
autres corps. »
» 30. La lumière , en agiftant fur. le fens de
nôtre vue , nous procure une fenfation que nous
nommons clarté. »
n 40. Le calorique produit fur nos organes, en
vertu de la propriété dont il jouit de fe mettre
en équilibre plus ou moins promptement dans
tous les corps qui font en contaèt, deux fenfations
particulières , que nous nommons chaleur
froid. Lorfqu’il fe combine avec notre fyftême,
nous éprouvons la fenfation de^ chaleur 3 îorfqu’au
contraire nous leur en communiquons plus qu'à
(■1) Je pré (enter ai par la fuite la ceufe pour laquelle
nous portons un faux jugemenc dans cette circonftance.
(t) On doit obferver que dans ce dernier cas , la
pré feu ce du carbonne qui n’a pas été confommé, contribue
pour beaucoup à l'épaitfeur du brouillard qui
accompagne l’inflammation de la poudre.
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