
,1k .
Extrah d'un Mémoire de M. Thouret 3 fur la
nature de la fubfiance du cerveau, & fur la
propriété qu il paroit avoir , de fe conferver
long-temps apres toutes les autres parties 3 dans
les corps qui fe décompofent au fein de la terre.
Lors des exhumations du cimetière des Inno-
cens, les corps que renfermoit ce cimetière fe
font trouvés dans des états différens , & le cerveau
a préfenté dans fa confervation plufieurs
variétés à raifon de ces circonftances.
Dans les grandes foffes , les corps qui y étoient
enterres au nombre de douze à quinze cents,
s étoient fondus en une fubftance favoneufe, blanchâtre
, plus ou moins folide qui avoit confervé
la forme & le volume de différentes parties. Le
cerveau participoit fenfiblement à cet état de confervation.
Il s’eft toujours trouvé en affez grandes
maffes , occupant environ le quart ou le tiers
de la cavité du crâne ; le plus fouvent mou,
pulpeux, fondant fous les doigts, comme la matière
favoneufe qui remplaçoit les chairs; quelquefois
plus ferme &: plus folide , & même
prefque friable au moins en apparence. On re-'
marquoit encore les formes du cerveau 3 la divi-
fion des Hémifph è re s ,le s nombreux filions de
la furface j l'odeur ne différoit pas de celle de la
matière grade.; quelquefois l'intérieur étoit di-
verfement colore ; dans plufieurs on apperce-
voit la fubftance médullaire encore diftinéte &
enveloppée de la fubftance corticale plus gri-
fâtre. Dans des corps moins avancés, les vif-
ceres etoient détruits, & le cerveau confervoit
encore une très-grande partie de fon volume 5
dans d'autres, il fubfiftoit encore, quoique les
chairs mêmes euffent difparu.
Dans les autres fépultures , foit celles qui
étoient ifolées Sc fituées à la furface du fol découvert
dans le cimetièré, foit celles qui étoient
placées dans l'églife, les chapelles, les charniers
& les caveaux, dont ces lieux étoient environnes
, les corps qui y avoient été enterrés
depuis cinq ans au moins, s'étoient décompofés
à la manière ordinaire, les chairs avoient été
diffoutes, & tous les vifcères détruits ; mais prefque
toujours , on y a reconnu des traces du
cerveau3 même après un efpace de plus de 30 ans.
L'obfervation a fait connoître que la décorn-
pofition de cet organe étoit toujours plus tardive
que celle des autres vifcères > que ceux-ci étoient,
quelquefois entièrement diffous, tandis que le
cerveau çommençoit à peine à s'altérer. Cependant
fa décompofition arrive enfin par degrés
plus ou moins lents. Dans les. corps changés .en
matière favoneufe, il confervoit après vingt ou
trente ans, un tiers ou un quart de fa malle;
dans les fépultures ifolées, il étoit au bout de
cinq ans, confidérablement diminué de volume f
& changé en une fubftance sèche, pulvérulente,
jaunâtre 5 enfin il s'en eft trouvé dans les anciens
amas d’offemens, des maffes très-petites, noirâtres
à l'extérieur, blanchâtres en dedans, très-
dures & paroiffant indeftruétibles, lorfqu'elles
étoient féchées .& expofées à i’air.
Surpris de cette faculté fingulière du cerveau3
qui contrafte avec la molleffe de fontiffu, fa
/grande difpofition à fe corrompre à l’air, 'M.
Thouret a tenté d'en découvrir la caufe. Après
avoir rapporté plufieurs faits anciennement ob-
lè r y é s ,'il revient à fes propres obfervations ,
& il conclut qu’on ne peut attribuer à aucune
circonftance locale, ce phénomène, qui paroît
n'être dû qu’à la nature particulière de la fubftance
du cerveau.
Mécontent des tentatives précédemment faites,
par plufieurs anatomiftes, il s'eft propofé de rechercher
, a l'aide de. nouvelles expériences,
quelle pouvoit être la nature de ce vifcère.
L'analogie de cette' confervation du cerveau dans
les corps „ réduits en offemens , & de celle
de toutes les parties dans les corps changés en
matières favoneufes, lui a fait préfumer qu’il étoit
formé, ainfi què cette efpèce de fav.on, d’une
matière huileufe analogue au blanc de baleine;
c’ eft d’ailleurs de la cavité du crâne que fe retire
le blanc de baleine dans l’efpèce de cachalot
qui le produit. C ’eft fur cette double analogie
que M. Thouret a fondé des recherchés qui lui
ont paru confirmer fa conje&ure. Il décrit fes
expériences dans l’ordre fuivant :
Une certaine quantité de la fubftance du cerveau
expoféé à une chaleur modérée pour en
diffiper l’humidité, & réduite ainfi au quart de
fon poids, fe change en une matière onâueufe
& épaiffe 3 de la confiftance du maftic dans les
arts, d’une couleur brun-jaunâtre tirant un peu
fur le vert. Cette matière s'unit facilement a
l'eau, & donne une difiolution opaque, qui
mouffe fortement par l ’agitation, & paffe trou-
ble par lé papier, qui préfente en un mot tous
les caractères d'un véritable favon. Les acides,
l’eau de puits , les fels calcaires, en précipitent
des flocons abondans & très tenus. En filtrant
cette diffolution précipitée par l’acide vitrfoiiqü.e,
il£paffe une liqueur .peu, colorée qui cryftallife par
évaporation, & donne-un fel neutre très-abondant
qui paroit être à^bafe.d'alcali fixe. Le réfîdu
refté fur le fi'tre forme un magma blanchâtre,-
dont l'odeiir & la confiftance reffemblent à celles
de la première’ fubftance. Cependant ce réfidu
n'eft plus diffoluble dans l’eau, quoiqu'il paroiffe
encore s'y fufpendre en l’agitant dans ce fluide ;
en filtrant, l ’eau paffe claire & limpide; les
différens effais la font reconnoître pure. Ce même
réfîdu féché à une chaleur très-douce, prend
une forme concrette ou folide , d une couleur
jaune plus rembrunie j il eft alors diffoluble en
entier dans l’alcool , en s1 v prenant a differentes
reprifes. Cette diffolution filtrée paffe très-claire,
fe double, Si prend une couleur laiteufe par1
l'addition de l'eau; il fe forme à ta furface par
le repos une pellicule manifèftement huileufe,
& dans laquelle on diftingue de petites lames
brillantes ; il fe; précipite au fond un fédiment
en flocons blanchâtres, tand'S qu'une autre partie
plus légère , également blanche, s'élève à la
furface, & forme une bande foiblement opaque
qui fe continue avec la pellicule.‘La même diffolution
filtrée & répofée, fans precipitatipn par
l'eau, fe remplit des mêmes lamés brillantes 8c
fe couvre également de la pellicule huileufe qui
s'élève à fa furface. "Cette matière huileufe, ainfi
que celle des lames brillantes qui eft manifefte-
ment la même, paroît être très-fufiblâ;, : elle
fe ramollit 8c coule au plus léger degré de chaleur.
Elle forme avec lès alcalis fixés, un favon
folide, Sc c'eft une fubftance, alcaline de cette
nature, dit M. Thouret, qui, dans le cerveau
même, la met dans un état favoneux, le cerveau
étant ainfi un vrai favon à bâfe d'alcali fixe.
C'eft à cet état favoneux du cerveau que M.
Thouret attribue fa blancheur, fa molleffe, fon
état pulpeux, fa malle uniforme & comme inorganique.
Il rapporte enfuite les opinions de plufieurs
auteurs anciens 8e modernes fur la nature huileufe
de ce vifcère.
Puis il cite les préparations de F.uifch 8c des
autres anatomiftes , dans lefquelles on avoir entrevu
la diffokibiiité du cerveau.
Cets détails établiffent, dit-il, le rapport de la
fubftance du cerveau à celle de la matière graffé
des corps du cimetière, qui, comme la première,
eft, formée d'une fubftance huileufe plus .ou
moins concrette & cryftalline, très-fufible, diffoluble
à l'alcool , véritable 'efpèce de favon,
qui ne diffère de celle du cerveau qu'en ce que
l'alcali dans la fubftance des corps , eft de la
nature de l’ammoniaque. Dans les' deux efpèces,
la matière huileufe approche beaucoup de la
nature du blanc 'de baleine ; 8c celle du cerveau
diffoute dans l'alcool 8c précipitée par l'éaii
préfente une analogie frappante avec les réfines ,
& fur-tout la'réfine de la bile que M Fourcroy
ale premier comparée au blanc dé baleine.
Il eft aifé de voir par-là., comment le cerveau
jouit de la propriété de fe conferver plus longtemps
que les autres parties, même dans le fein
de la terre; car la matière favoneufe dont il eft
formé ayant pour bâfe une fubftance analogue
au blanc de baleine ne "peut fe décompofer fi
elle ne rencontre beaucoup d'humidité. O r , jes
corps confervés n'ayant réfifté à la putréfaéhon
que transformés en cette efpèce de* favon , ü
dans d’autres corps dont lés -circonftances ont
empêché cette transformation, lé cerveau s’eft
confervé, tandis que les autres parties fedétrui-
foient complettement ; c'eft donc à fa nature
favoneufe qu’il doit cette propriété.
Il reftoit à comparer la matière huileufe formant
la bâfe de cet organe, avec les cerveaux
trouvés confervés, au cimetière. 11 étoit effentiei
d’examiner s’ils n'étoient pas dans deux états
différens-, fuivant l’état des corps: d'où ils étoient
retirés , favoir la transformation en favon ou gras
ou la fimplè defficcation. Plufieurs effais ont paru
annoncer; I M. Thouret que cette différence
n'exiftoit pas, Sc que dans tous les corps en tel
état qu'ils fuffent, les cerveaux confervés étoient
formés de la même matière graffe ou huileufe ,
diffoluble à l'alcool, d'où l'eau la précipite
comme les réfines.
Après quelques réflexions fur les faits rapportés
dans ce mémoire, & fur d'autres faits qui lui pa-
roiffoient avoir eu de l ’analogie , M. Thouret
aeconnoît le blanc de baleine comme l'un des
principes conftituans, & l'un des élémens les plus,
naturels de l'économie animale. C'eft lui, dit-il
qui, mêlé dans, une certaine proportion aux fucs
lymphatiques communs à toutes les parties du
corps, & dépofé dans un tiffu particulièrement
organifé, forme la bâfe dé l'organe du cerveau.
Il lui paroît que : Ce principe exijle tout formé
dans F économie animale vivante ; paraît y avoir
un ufage particulier ; fe fépare des fucs qui le contiennent
, pour nourrir & réparer le cerveau dont i l
forme là fubjlance ; fe dépofe dans les canaux du
foie par lefquels il 's'évacue lorfqu'il devient nuifible3
é? offre ainfi dans F économie animale , une nouvelle
fécrétioji & une excrétion particulière jufqu alors inconnue
, qui fert k déterminer la nature fi parfaitement
cachée jufqu a cette époque de 1’“organe du
cerveau.
En obfervant que c'étôit principalement par
le corps adipeux que la, converfion des corps en
matière graffe * avoit toujours paru s'opérer ;
M. Thouret penfe que A blanc de baleine tout
formé exifie particulièrement dans la graiffe animale.
M, Halle, en traitant le gluten des végétaux
& la matière fibreirfe animale, par l'acide nitrique,
en à retiré une fubftance huileufe, concrète
, inaltérable par l’acide nitrique ,.en quoi
elle diffère des huiles ordinaires , & fe rapproche
du blanc de baleine fur lequel les acides nitrique
& muriatique n'ont aucune a&ich. Les fucs albumineux
traités de la même manière lui ont augî
donné une petite quantité de cette même .matière