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Le meilleur moyen, quand oïl veut trouver
]a vérité & la montrer aux autres dans des matières
difficiles où elle ne fe préfente point
d’abord d’elle-même £ c’eft d’être de bonne fo i,
de ne rien diffimuler de ce qui peut être favorable
aux opinions que l’on combat de rechercher
auffi avec foin toutes les objections qu’on
peut faire contre l’opinion qu’on adopte , de les
préfenter dans toute leur force ; c'en en même ;
temps le feul moyen d’approfondir 8e d’éclaircir
les matières enveloppées de quelque obfcurité,
comme l’elt celle-ci. Je me garderai donc bien
de palier fous filenee celui de tous les faits-bien
confiâtes qui paroît le plus favorable au fenti-
ment qui attribue la caufticité à la matière du
feu.
Nous venons de voir qu’il s*excite ordinairement
de la chaleur , lorfque les cauftiques exercent
leur aCtion ^ & j’ai expofé comment je
conçois qu’on peut expliquer cet effet , fans
admettre -dans les cauftiques une plus grande
quantité de feu que dans les autres corps; mais
il y a dans les détails de ces effets une circon-
fîance fîngulière & bien remarquable , que je
veux d'autant moins diffimuler , qu’elle m’a fait
à moi-même une très-grande impreffion 3 c’eft
que le degré de chaleur qui fe produit lorfque
les acides-fe combinent avec les alcalis , foit
falins 3 foit terreuX r eft très-différent 3 fuivant
que ces alcalis font cauftiques ou ne le font pas.
II eft bien certain qtie la chaleur qui fe produit
lorfqu’un acide exerce fon aCtion fur un alcali
fixe ou volatil non cauftique , ou fur de la pierre
calcaire Bon calcinée, eft peu confidérable* &
qu’elle eft au contraire des plus fortes, lorfque
les mêmes acides agiffent fur des alcalis cauftiques,
ou fur de la chaux. J’ai moi-même réitéré
nombre de fois- ces expériences, 8e j’ai
été toujours furpris de la différence. J’avoue
que, ri’apperc-vant qu’une chaleur à peine fen-
fible quand je faturois avec des acides tes alcafis
Se les terres, calcaires non cauftiques ,. 8e qu’au
contraire , en en éprouvant une très - brûlante'
lorfque je .faturois ces matières d'ans leur état
de caufticité avec Tes mêmes acides, 8e toutes
chofes étant d’ailleurs égales, il me paroifloit
prefque démontré, par ce feu’ fait j que le feu
étoit la caufe immédiate de la caufticité , &
j’étois comme forcé de dire avec les partifans
de cette opinion : la terre calcaire non calcinée
te douce, ne contient pas plus de feu que les
autres corps * & c’eft à caufe de cela qu’elle
ne produit que très-peu de chaleur Iorfqu’elle
fe combine avec les acides, mais quand elle a
éprouvé l’a&ion d’un très-grand feu pendant la
calcination,.elle a retenu une partie de ce feu5
c’eft cette proportion de feu qui lui donne ces
propriétés de chaux vive, qui la rend cauftique,
ç eu ce même feu en un mot qui s’échappe
c a u
lorfque je combine cette chaux vive avec tu?
acide , & qui produit la chaleur violente que
j’éprouve : je le fens , il me brûle : comment
réfifter à une preuve fi démonftrative : La même
différence d* chakur ayant lieu entre les alcalis
cauftiques & non cauftiques , j’avois peine à ne
pas tomber d’accord avec Meyer & Baume,
que ces fels n’acquérant de la caufticité qu’après
qu’ils ont éprouvé l’aélîon de la chaux vive ,
ne doivent cette propriété qu’au caufticum ou au
feu prefque pur qui quitte la chaux pour s’unir a
ces alcalis , ce qui eft d’ailleurs encore indiqué
par radouciffement que reprend la chaux après
avoir ainfi communiqué fa caufticité ou fon principe
de caufticité aux alcalis.
Ces effets remarquables, & les réflexions qu’ils
font naître naturellement, m’ont tenu,-j’en.conviens
, pendant quelque temps dans une forte
d’ incertitude; j’avois d’une part de la peine à
réfifter à cette efpèce de démonftration fondée fur
une expérience h fenfible , & de l’autre côté., je
continuois à (èntir la plus grande répugnance à
attribuer la caufe immédiate de la caufticité aux
parties du feu , parce que ce fyftême m’a toujours
paru contraire à la nature du feu , & à tous
ces grands phénomènes de' la chimie* Je nefavois
donc à quoi m’én tenir , lorfque j’ai pris fur cette
expérience fi embarraflante , le feul parti qu’il
y ait à prendre fur toutes les expériences en gé-.
néral, quand il eft queftion de fe décider fur les
conféquençes qu’on en doit- tirer. Il confifte à fè
bien donner de garde de ne faire attention qu’ à
une feule circonfiance frappante de l’expérience ,.
& au contraire à en confidérer avec le plus grand
foin jufqu’aux moindres détails , parce qu’un fait,
ne prouve’ réellement jamais rien autre ehofe que
ce qui réfulte de l ’enfemble de toutes fès particularités.
Or , dans le fait dont il s’agit à pré-
fent/il y en a une d'autant plusefientielle , quelle
me femble donner la folution la. plus fatisfai-
fante de toute la difficulté ; Se. cette particularité
, c’eft l’effervefcence très - confiderable
qui accompagne la combinaifon des acides avec
les alcalis ou terres calcaires non cauftiques t Sic
le défaut de cette effervefcence dans la fatura-
tion des mêmes matières.,, lorfqu’ellès font dans
l’état de caufiicité. Il eft démontré préfentement
que toutes les effervefcences qu’on remarque dans
beaucoup de diflolutions 8e de^ combinaifons ne
font dues qu’au dégagement 8e à l’évaporation des
matières volatiles gazeufes qui fè féparent pendant
l’aéte même de la combinaifon d’une des
fubftances ou des deux fubftances qui's’uni flent
'l’une à l’autre. On fait d’une autre part que l’évaporation
des fluides volatils ou du moins d’un
grand nombre de ces fluides produit du froid ,
&'même un dégré de froid proportionné à leu»
volatilité & à leur évaporabilité.Cela pofé , quel-
que foit la caufe dè cet effet, il n’en eft pas. moins
c a u
confiant, & il eft très-aifé de fentir que fi, comme
je n’en doute point, il n’y a pas plus de feu dans
la chaux vive Se dans les alcalis cauftiques, qu il
n’y en a dans les mêmes matières x\ow~cauftiques ; ces
dernières produiroient dans leur diffolution par
les acides un même dégré de chaleur que les
premières fans la circonftance de l’évaporation de
leur gar, qui occafionnant du froid, diminue
nécefîairement en proportion l’intenfite de cette
chaleur. Ainfi les matières alcalines cauftiques qui
ne contiennent aucun ga%, 8c qui fe diflolvent
fans effervefcence, produifent en fe diflolvant
par le feul ébranlement de leurs parties , toute
la chaleur-quelles font capables'de produire,
paice que rien ne peut amortir cette chaleur ;
& au contraire les mêmes matières alcalines non
cauftiques fe diflolvent avec une chaleur beaucoup
moindre, parce que l’évaporation de leur ga%
& le froid qui en réfulte , amortit confidérable-
ment la chaleur, qui fans cette circonftance ,
feroit toute auffi grande.
Tous ces phénomènes fi intéreflans prouvent :
bien la néceflité de ne fe pas déterminer fans reflexion
d’après les apparences même les plus im-
pofantes. Qui ne eroiroit que le frottement pro-
duifant en général de la chaleur , ceux# qui font
fi fenfibles dans les diflolutions des matières non
cauftiques & effervescentes , devroient en occa-
fionner une bien plus grande que les combinai -
fons des matières cauftiques, qui fe font en apparence
avec la plus parfaite tranquillité? Cependant
c’eft tout le contraire ; tous ces grands
mouvemens d’effervefcence ne font accompagnés
ou fuivis que d’une chaleur à peine .fenfible,
tandis qu’on ne peut éprouver fans furprife
i’efpèce d’ardeur bru Van te qui réfulte de la difi- j
folution paifible 8e fikntieufê des cauftiques. Cela
prouve bien aufli que les collifions, Jes plus grands
effets de chaleur aans les combinaifons des agêns
chimiques, ne font point celles des parties fen-
fiblts des corps ; mais ne fe dont qu’entre des
particules élémentaires , d’une petitene inconcevable
dont les mouvemens, quoique très-violens,
font abfblument infenfiblés à nos yeux : c’eft une
aéiion & réaction des plus, puifîantes , mais qui
font fourdes à notre égard , & nous.préfentent
fous l’afpeét. trompeur d’une liqueur "homogène
& tranquille , une multitude infinie d’atomes que
nous verrions dans une agitation incroyable, s’il
n’ éroit pas refufé à nos yeux, anême aidés du
fe cours de l ’art, de contempler ces grandes mer-"
veilles de la nature.
• Une fécondé confîdération que je crois devoir
ajouter ic i , reh fiveinent à la caufticité 3 a pour
objet l’impreffion que font fur l’organe de notre
goût les fubftances qu’on nomme favourufes. 11
paroît certain que cette impreffion ne diffère pas
effisntiellement de la caufticité > mais feulement
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par le dégré de fon énergie > car nous voyons
que les matières les plus cauftiques font auffi celles
dont la faveur eft la plus forte , & que celles
qui font abfolument privées de la caufticité ,
manquent auffi totalement de faveur. La caufticité
8e la faveur ne font donc point deux qualités ^différentes
, mais une feule & même propriété ,
plus ou moins forte, & marquée dans fes effets
comme je l’ai déjà dit dans cet article^ ; fi cela
eft, & qu'il n’y ait point à’autre caufticité que celle
qui réfulte de l’aétion propre & immédiate des
particules * du feu , il s'enfuit neceflairement
qu’il n’y a point d’autre matière eflentiellement
iavoureufe que le feu ; & que toutes celles qui
ont de la faveur , doivent cette qualité à Laètion
particulière du feu qu’elles contiennent, par la
même raifon que les cauftiques lui doivent leur
caufticité. C ’eft là une conféquence néceflaire
& très-jufte de ce fyftême ; cependant autant que
je fâche , aucun de fes partifans n’en a tiré
: cette conféquence ; , excepté Baume, qui l'a
fort bien feritie , & qui raifonnant très-jufte d a-
près l ’idée qu’il avoir adoptée fur la caufticité ,
; n’a pas balancé de déclarer ( chimie expérim. &
raifon ) , que le feu eft la feule fubfhnce de la
nature qui ait eflentiellenunt de la faveur ; que
c’eft le corps fàvoureux par excellence, le feul
principe prochain de toute faveur. Comme l’im-
preffion fimple que le feu abfolument pur fait
fur notre toucher 8e fur notre goût, n’eft que
la chaleur & la brûlure ; il fuit de cette dernière
fuppofition , que la faveur la plus (impie de toutes
, celle q u i, s’il eft permis de s’exprimer ainfi ,
eft l’élément de toute faveur, n'eft elle-même-
que la chaleur ou la brûlure, & lorfque nous
favourons un corps quelconque , notre langue
& notre palais ne font eflentiellement qu’échauffes
& brûlés. La diverfité des faveurs ne fait aucune
difficulté dans ce fyftême, parce qu'en
admettant que le feu fe trouve dans les compofés M
dans une infinité d’érats différons, comme le dit
; M. Baumé 3 cette diverfité fi multipliée des faveurs
s’expliquera très-aifément, par la diverfité toute
auffi grande des états que le feu peut avoir dans les
differens corps fàvoureux.
Cela va très-bien de cette manière. Mais l’ef-
pèce defenfation, dire&ement oppofée à celle de
la chaleur , celle qui lui eft tellement Contraire ,
que cela en fait deux impreffions deftruétives l’une
de l'autre , & qu’on ne peut éprouver en même-
tems de la part du même fujet, la fenfation du.
froid, en un mot, qu’en fera-t-on dans ce fyf-
iême? Cette difficulté, qui n’a pas été prévue,
me paroît des p[us embarraflantes. Car fi l’impref-
fion du chaud a le droit d’être regardée comme
une faveur fimple, 8e principe des autres, pourquoi
! celle du froid, qui eft toute auffi fimple, toute
j auffi réelle, qui affe&e l’organe de notre goût
1 d’une manière toute aufli fenfible, n’auroit - elle P 2.