
alors la phyfique expérimentale avant Boyle, on
fera étonné du génie ôc de la force de tête de
cet homme extraordinaire, & des progrès qu’il
ayoit faits par le feul effor de fon efprit dans les
Spéculations de la phyfioue la plus relevée 8c
la plus fublime. C'en dans fon traité intitulé
Complsxionum , atque mixtionum elementalium fig-
mentum 3 qu’il a raflemblé toutes fes idées fur
les propriétés du ga% fylvefire3 qui eft manifefte-
ment l’acide carbonique ; il les a préfentées auffl
dans fes difîertations originales , de fiadbus, de
lithiafi 3 tumulus pefiis. Il y a de plus recherché
la nature de cette émanation, & il en a fait fervir
la théorie à l'explication de plufieurs phénomènes
de l’économie animale , c’efl là qu’il
combat l’opinion de Paracelfe, qui croÿoit que le
Jpiritus fylvefire étoit l’air que nous rëfpirons,
réduit à fes molécules élémentaires & combiné
dans les corps j il allure que c’ell une fubftance
totalement différente de l'air que nous connoif-
fons. On-diroit, en lifant cette partie de fes ouvrages
, être tranfporté dans les temps modernes,
où les premiers phyficiens qui ont rélifté aux idées
de Black 8c de Prieftley, & qui ne les ont pas
adoptées, parce qu’ils ne les ont . jamais bien entendues
> vouloient abfolument prouver que les
gaz n’étoient que de l’air tenant diverfes fubf-
tances en diffolution. Il eft vrai qu’en détruifant
le faux fyftême de Paracelfe , dont Vanhelmont
fe difoit cependant l’élève 8c \è foutien, il n’a
pas adopté une opinion plus vraie fur la nature
du gaz dont il s’occupoit ; il le regardoit comme
uneefpèce de vapeur de l'eau , parce qu’il "étoit
très- perfuadé , avec Thalès de Milet, que l’eau
étoit l'élément primitif & général de la composition
de tous les corps. Un peu plus bas, il laiffe
entrevoir que le gu%fylvefire pourroit bien être
une combinaifon d'un acide fubtil avec l'alcali
volatil. Quoi qu’il en foit, il a donné quelques
idées heureufes fur les effets ou l'influence de
ce gaz dans leconomie animale. C ’eft, fuivant
lui, a la corruption des ali mens & au gaz qui s'y
développe qu’il faut attribuer les rapports & les
vents qui accompagnent la digeftion ; c’eft à fon
développement qu’i l ‘ attribue l ’emphysème de
uelques parties du corps , ainfi que l’enflure
es cadavres qui ont féjourné dans l'eau 5 il penfe
que c ’eft le ga^ fylvefire infe&éde quelques vapeurs
, qui propage les maladies épidémiques.
On trouve dans les ouvrages cités de ce phyficien
flamand, & dans plufieurs autres de fes differn-
tions, une foule aidées & d’énoncés femblables
à ceux que nous en avons extraits, 8c dont plufieurs
ont été confirmés par les expériences modernes
5 on eft même frappé d’étonnement, en'
le lifant, d’y reconnoître, au moins-en appçrçus,
prefque toutes les vérités découvertes depuis
lu i, & on refte convaincu que fi Vanhelmont
avoit eu les premiers iaftrmnens, les premiers
appareils qui ont été imaginés près d’un fiècle 8c
demi après lu i, il auroit fait toutes les découvertes
qui font dues aux modernes, & il fe fe-
roit facilement élevé à la théorie qu’elles ont fait
naître.
Pendant que Vanhelmont femoit dans fes écrits
les grands apperçus dont on vient d’expofér les
baies principales, il s’agitoit en France parmi les
favans, qui tenoient déjà des conférences, 8c
fpécialement chez le père Merfenne , une quef-
tion qui eft devenue depuis les nouvelles découvertes
un des "points les plus importans , en
même-temps que des mieux prouvés de la doctrine
moderne ; c’étoit fur la caufe de l'auguien-
- tation de poids des métaux pendant la calcination.
Galien le fa voit déjà pour le plomb j Gebber
avoit dit que l’étain & le plomb devenoient plus
lourds en fe calcinantes Scaliger, Cardan, Cæ-
falpin, Fafch ou Fafchius, Libavius & quelques
autres avoient même effayé de donner une explication
de ce fingulier phénomène. Mais il faut
convenir que cette augmentation de poids des
chaux métalliques n’étoit point encore généralement
reconnut, qu’elle n’étoit point devenue
encore un phénomène commun en quelque forte
à tous les chimiftes, 8c que la plupart même n’y
croyoient point, ou ne l’adoptoient que pour un
très-petit nombre de métaux, 8c la refufoient à
d’autres. Il ne faut pas s’étonner de cet état de
j flu Quation dans l’ opinion s elle dépendoi-t de la
| difficulté de faire des expériences exaQes dans
ces temps où lç$ pratiques de la chimie étoient
encore groflières, & où la phyfique expérimentale
n’étoit pas .née. On concevra que ce
doute devoit exifter au commencement du fiècle
dernier, lorfqu’on faura que depuis vingt ans
encore les chimiftes n’ctoient pas parfaitement
convaincus que tous les métaux font plus pefans
après leur calcination , & qu’ils ont fait même de
ce /oupçon ou de ce préjugé une des objeQions
contre l’établi fieraient de la nouvelle doQrine.
En 1629, un fieur Brun, aporicaire à Bergerac,
fort verfé dans fon art, 6c qui ne l ’exerçoit
pas, fans faire, à ce qu'il paroît, des obfervations
& des expériences, ayant trouvé que deux livres
fix onces d'étain fin d’Angleterre, calciné dans
un vaifieau de fer, 8c conveiti, en fix heures, en
une chaux très-blanche, pefoient alors deux livres
treize onces, fut frappé de cette augmentation
de poids , 6c s’adreffa à Jean Rey, médecin de
fon pays, qui s’occupoit avec fuccès d’expériences
de phyfique 8c de chimie, pour en favoir
la caufe, que plufieurs favans qu’il avoit déjà
confultés ne lui avoient pas pu dire. Jean Rey,
homme.de beaucoup de génie, devina, car il ne
paroît pas avoir fait des recherches expérimentales
fur ce fait, que cette augmentation de poids
provenoit de l’air condeqfé dans le métal 5 8c
il écrivit fur cet objet une aifier tation ayant
pour titre : EJfais fur la recherche de la caufe pour
laquelle l'étain & le plomb augmentent dé poids quand
on les calcine. Cet ouvrage parut à Bazas, chez
Guill. Millanges, imprimeur , en 1630, fous la
forme d’i«-8°. Il eft refté inconnu aux phyficiens
6c'aux chimiftes jufqu’à ce que M. Bayen l’ait
tiré de l’oubli en 1776, 8c qu'il ait été réimprimé
à Paris en 1777, chez Ruault, par les foins 8c
avec des notes 6c des additions iritéreffantes de
Gobet, amateur des fciences très-éclairé, à qui l’on
doit aufli une nouvelle édition in-\° des oeuvres de
Bernard Paliffy, & une colleQion très-utile des
Minéralogiftes. anciens. Jean Rey étoit prefque
inconnu dans la république des lettres, quoiqu’ il \
joignît à fes rares connoiflances 6c aux belles
inventions de fon génie un ftyle piquant, 8c qui
reflemble, comme l'a dit Gobet, à celui de
Michel de Montaigne > fon ouvrage n’étoit pas
écrit en quelque manière pour fon fiècle , c’étoit
-au nôtre qu’il étoit deftiné ; il eft vrai qu’ il l’écrivit
dans un petit village du- Périgord, nommé
le Bugue, loin de toute communication 8c privé
des moyens de_le répandre. Il eft utile pour l’hif-
toire de la fcience de faire connoître avec foin
quelques - uns des faits 8c la théorie exposée
aans cet ouvrage étonnant pour fon fiècle. Jean
Rey a divifé fon ouvrage en vingt-huit effais.
t e s , quinze premiers ne font que des théorèmes
préparatoires pour difpofer le leQeur à bien'faifir
& a bien concevoir la théorie qu’il expefe dans
îe feizième ; 8c les douze autres font confacrés à
réfuter les diverfes opinions contraires à la fienne
8c préfentées par les auteurs qui l ’avoient précédé
, ainfi qu’à réfoudre les objections qu'il
prévoit qu’on lui fera. C’eft donc dans le feizième
de ces elîais qu’il faut puifer les détails néceffaires
pour faire connoître avec exaQitude comment
Jean Rey expliquoit l’augmentation de-poids des
métaux parla calcination, 8c le rapport qui exifte
entre fon opinion & celle qui fait une des bâfes
de la doQrine moderne. Après avoir fait voir
dans quelques - uns des effais qui précèdent le
feizième, que l’air eft épaiffï par le feu, épaifiif-
fement qu’il ne conçoit que parce que le feu
écarte les parties les plus volatiles , 8c permet
le raflemblement des plus fixes-', épaifliffement qui
dans ce fens n'eft pas une aufli groflière erreur
qu'elle le paroît au premier coup-d’oe il, fi on le
joint avec l’attraQion exercée fur l’air par les
métaux chauffés, comme il eft aifé de.voir que
Jean Rey l’a foupçonné, 8c prefque dit pofitivenaient
j ce phyficien rend definitivement 8c glo-
>» nues parties \ non autrement que l’eau appe-
»» làntit le labié que vous jettez 8c agitez dans
«• icelle, par i’amoitir 8c adhérer au moindre de
»» fes grains. « Aflurément il eft difficile de s’exprimer
rieufement, comme il le dit lui-même, raifon
des fept onces de poids ajoutées aux deux livres
fix onces d’étain calciné par Brun , en difant
-*• que ce furcroît de poids vient de l’air, qui
" dans le vafe a été efpefli, appefanti, 8c rendu
35 aucunement adhéfif, par la véhémente & Ion- ,
M guement continuée chaleur du fourneau $ lequel :
** air Je mefle avec la chaux, ( à ce aydant l’agir
* tation fréquente ) , 8c s’attache à fes plus me-
plus clairement fur ce point de phyfique ,
què. ne le fait Jean Rey à l’endroit cité i c i , 8c
l'on ne peut, trop s’étonner que les phyficiens
de fon temps n’y aient pas fait toute l'attention
que la chofe fembloit devoir mériter alors, quoique
l’on n’eût que bien peu de moyens pour
avancer les fciences naturelles. Jean Rey termine ,
fon ouvrage par cette conclufion remarquable :
« Voilà maintenant, dit-il., cette vérité dont
« l’èfclat frappe vos yeux, que je viens de tirer
« des plus profonds cachots de l’obfcurité. C’eft
» celle-là de qui l'abord a été jufqu'à préfent
*> inacceflible. C ’eft elle qui a fait fuer d’ahan
*» tout autant de doQe.s hommes qui la voulans
« accointer , fe font efforcez de franchir les dif-
*» ficultez qui la tenoient enceinte. Cardan , Sca-
» liger, Fafchius , Cæfalpin, Libavius l'ont cu-
»» rieufement recherchée , non jamais apperceüe.
» D’autres en peuvent eftre en quelle , mais en
» vain, s'ils ne fuivent le chemin que je leur ay
» tout-premier desfriché & rendu royal : tous
» les autres n’eftans que fentiers efpineux -, 8c
» deftours inextricables , qui ne mènent jamais à
» bout. Le travail a été mien, le profit en foit
» au leQeur, 8c à Dieu feul la gloire. » On voit
par les expreflions de cette conclufion combien
l'auteur avoit été frappé par la grandeur 8c la
force de la vérité qu'il avoit découverte j 8c" il
n'auroit certainement jamais penfé qu’elle eût dû
relier enfouie, inutile , ignorée pendant cent
quarante ans, malgré les progrès que firent les
fciences naturelles 8c les refloürces que l’art expérimental
a acquis long temps après la mort de
l’ingénieux Jean Rey.
Il paroît cependant que plufieurs favans hommes
furent fatisfaits 8c frappés en même-temps de la
\ découverte du médecin du Périgord. Merfenne ,
favant minime , entretint avec lui une correfpon-
dance allez intéreflante fur l'ouvrage qu’il venoit
de publier. U lui fit des objections que Rey parvint
! facilement à réfoudre par les réponfes { 8c il eft
i fingulier que cette favante difcuflion n’ait point
! excité d’autres découvertes analogues , 8c fait
1 faire de grands progrès à la chimie, 8c à cette
époque fur-tout où Merfenne entretenoit des
correfpondances fuivies avec Vanhelmont, qui
lui-même s’occupoit de raflembler une foule de
vues nouvelles fur l’air 8c ce qu’ il nommôic le
gaz. Quoiqu'il en foit, la découverte capitale de
Jean Rey fur l’augmentation de poids des chaux
métalliques, fut comme alfoupie après quelques
années, Sc les phyficiens paroiflent ne s’en
être plus du tout occupés.
Eft-il permis de compter parmi les faits hiftor
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