
de la certitude. On peut dire que le phyficien
de Dublin a fait faire un grand pas à la doctrine
de l’air fixe , & qu’ elle eft fortie de fes mains
& de fon livre plus étendue & plus claire que
Black ne l’avoit vue en traitant de la magne fie, de
la chaux & des alcalis. Si les applications que
Maçbride en fit à l’économie animale, ont été
prématurées & en partie renverfees enfuite par
les découvertes qui ont fuccédé, il n’en eft pas
moins vrai qu’elles ont eu l’avantage de faire
marcher de front les progrès de l’art de guérir
& de la chimie , qu’elles ont fait naître plufîeurs
ouvrages nouveaux fur l’influence réciproque de
ces deux fciences., & qu’elles ont donné une
forte de mouvement plus rapide que celui qui
exiftoit jufques-là à ia marche de l’une & de
l’autre. Audi l’ouvrage de Maçbride fut-il traduit
dans plufieurs langues , & devirit-il, fur - tout en
France St en Allemagne, un nouveaufujet de’ recherches
, d’expériences & de difcufliqns fa-
vantes, qui fe multiplièrent bientôt parmi les
phyficiens & les. médecins.
Bientôt les do&eurs Hamilton & Brownrigg
publièrent dans le volume LV e des Tranfa&ions
philofophiques quelques expériences confirmatives
dé celles de Black 8t de Maçbride. Brown-
rigg fur-tout entreprit fous le même point-de-
vue1 une nouvelle ar.alyfe des eaux de Pyrmont,
& fit voir qu’elles contenoient de l’air fixe en
grande quantité. Il redreffa donc Yénel, qui,
quinze ans auparavant , avoit bien trouvé un
fluide élaftique dans les eaux de Seltz analogues
a celles dé Pyrmont , mais qui croyoit que ce,
fluide étoit de l’air ordinaire diffous dans l’eau.
Brov/nrigg fit voir que la préfence de l’air fixe
étoit là caufe du piquant, du grater de l’eau de
Pyrmont, de fon goût acidulé ., de fon odeur
particulière, & fur-tout de fes propriétés médicinales.
Peu de temps après, M. Caveodish, dont le
nom eft attaché à plufieurs époques importantes
de la doéirine moderne, comme omle verra dans,
la fuite dé çét article, donna dans lesTranfaéjions
philofophiques, vol. LVI & LVII, annéesj.y-66
& 1767, des expériences intérefïantes fur l’air
fixe , qui contribuèrent fingulièrement, à faire
connoïtre fes propriétés cara&ériftiques, en confirmant
d’ailleurs la do&rine -de Black. On y
trouve les premiers germes de l’exadfitude rigou-
reufe qui fut apportée quelques années après
dans les expériences chimiques, & la finette des
vues & des apperçus qui ont cara&érifé toutes
les découvertes de M. Cavendish. Ce phyficien
trouva, i p. que la quantité d’air fixe contenu dans
l’alcàii fixe végétal , lorfqu’il en eft entièrement fa-
turé, eft de jV-de fon poids, qu’ elle n’eft que
de jV dans l’alcali volatil ; que cette grande proportion
d’air fixe eft la caufe de la légère effervefcence
qui fe manifefte lors de la précipitation
de la terre calcaire dittoute dans l’acide du nitre
par l'alcali fixe, parce que le précipitant four-
nifiant plus d’air fixe que le précipité ne peut
en aBforber, cette portion excédents reprend fa
forme élaftique $ 2,?. que l’ air fixe a une pefan-
teur fpécifique une fois & demie plus grande
ue l'air commun , & que l’air inflammable eft
ix fois plus léger ; $°. que l’eàù.peut abforber
8e diffoudre un volume d’air plus grand que le
fîen ; que cette proportion d’abforption eft d’autant
plus confidérable que l’eau eft plus froide',
& qu’elle eft comprimée par une atmofphère plus
pefante 5 40. que l’eau imprégnée d’air fixe à une
faveur acidulé non défagréâble ; j° . que cette
di Ablution a la propriété de diffoudre la terre
calcaire & la terre magnéfienne, en forte que fi,
en .précipitant de ï’eau de chaux par l’air fixe ,
on ajoute plus de ce fluide élaftique qu’ il n’en
faut pour opérer cette précipitation, la terre fe
redittout, & l’eau redevient tranfparente ; 6°. que
l’air fixe eft abforbable par Tëfprit-de-vin & par
l’huile exprimée, fans altérer les propriétés de
ces liqueurs ; 70. que le charbon diminue notablement
le volume de l’air en brûlant, & qu’il
fe produit pendant cette combuftiôn de l’air fixe
fufceptible d’être absorbé' par la leflive des_ fa-
voniers j 8°. enfin, qu’én diffolvant du cuivre
dans l ’acide du fel marin, au lieu d’air inflammable
comme en fourniffent le fer & le zinc par
leur diffolution dans le même atide, om obtient
une efpécè particulière d’air qui perd fon élaftî-
cité par le contadl de l’eau qui ï’abforbe. Ces
recherches de Cavendish font remplies de fagacité ;
elles ont avancé & confoüdé d’une manière'bien
remarquable la théorie de Black ; elles^ y ont ajouté
quelques confiôiffances affez exaétes fur la nature
de l’air fixe ; elles ont commencé à le faire entrer
dans la datte des acides. On y trouve aufli
quelques notions fur l’air inflammable , & la première
découverte de l’air ou gaz acide muriatique.
Chaque année, comme on voit, depuis la
publication du premier travail de Black, procu-
foit des additions à fa découverte, & un aggran-
d ffementà fa théorie ; l’une devenoit plus pré-
,cife & plus exaéte, l’autre plus fortement
prouvée & plus générale.
L/année 1769 vit encore ajouter quelques faits
remarquables fur l’hiftoire & les propriétés de
l’air fixe. M. Lane découvrit que l’eau chargée
d’air fixe avoit la propriété d’agir fur les métaux ,
& dittolvoit entr’autres le fer avec une grande
facilité. Il fut prouvé qu’il ne falloit que très-
peu de fubftances métalliques pour donner une
faveur très- remarquable à l’eau par ce nouveau
procédé ; &■ , commeja découverte de Cavendish
avoit fait deviner un des fecrets de la nature fur
îa diffoliuiçn des terres, calcaires dans l’eau, 2c
fur les dépôts crétacés , celle de Lane fit de
même découvrir la caufe des eaux minérales fer
rugineufes fans acide , & celle des dépôts d’ochre
au fond des balïins & fur les bords des ruiffeaux
formés par ces eaux.
A peine les expériences fur l’air fixe & la
théorie que Black en avoit tirée, commençoient-
elles à répandre quelque éclat, à peine l'attention
des favans fe porta-t-elle fur ce nouveau produit,
for l'air & fur divers fluides qui lui reffemblent
par leurs propriétés extérieures , qu’il arriva a
cette découverte ce qui eft conftamment arrivé
à chaque pas que fait la rai fon humaine. A toutes
les époques des grandes découvertes, il Ce trouve
des hommes que l’habitude d’une autre théorie,
la défiance extrême prife par eux pour fagefte, la
crainte des idées nouvelles, portent à s’opposer à
l'admiflîon de ces découvertes. Par malheur même
plufieurs fe laiffent entraîner à des fentimens plus
fâcheux pour la nature humaine , & ne^ lavent
poipt réfifter aux pa fiions de jaioufie , d’amour-
propre , d’intérêt perfonnel, qui les afi.égent.
Il lemble que les premiers voudroient voir reculer
la raifon humaine, &c que les leconds re-
fufent d’en admettre les progrès , lorfque ce n’eft
point à eux -qu’ils font dus. Quelques - uns font
mus par un autre fentiment ; fans être ennemis
déclarés de tout ce qui eftr pouveau dans .les
fciences & dans les arts | mais trop froids & trop
indifférens pour s’en faifir & pour en provoquer
la prompte admiflion , ils attendent que des ex-'
périences nombreufes l’appuient, & que des effais
longs & répétés le confirment. Les conquêtes flirta
nature font pour ces diverfes dattes d’hommes
ou des envahiffemens coupables, ou des innovations
hardies, ou des prétentions exagérées, ou des opinions
indifcrettes. Tous, quoique foutenus par des
intérêts diffirens, réunifient leurs efforts pour repouffer
les découvertes, pour les combattre
comme autant d’ennemis, fur-tout fi ces découvertes
menacent d'être adoptées, fi elles em-
brafîbnt un fyftême complet, fi elles font ca
pabies de faire difparoître par leur éclat & leur
.généralité les théories anciennes. Les troupes
d’antagonifies , d’oppofans , d’adverfaires ,• de
combattâns, de contradideurs fe forment & fe
recrutent de toutes parts, & attaquent l’invention
par tous les moyens qui font en leur pouvoir.
Si l’att.aque eft bien faite & bien conduite, les
rôles font comme diftribués d’avance, les poftes
font tous occupés, les avenues garnies. Les uns
nient les expériences ou leurs réfultats ; les autres
eppofer.t de prétendus faits contraires; ceux-ci
ne trouvent rien de nouveau dans l’invention ;
ceux-là propofent adroitement une forte d’ac-,
commodément, une efpèce de trêve - entre les
anciennes & les nouvelles idées; tel; emploie:
l’arme du fyrcafme & du perfiffiage ; tel autre
fe fert même, de la calomnie ; enfin , tous les
moyens font mis en ufage, & fi la découverte
ou la doctrine réfifte à ces attaques, ce n’ctt
jamais que lorfqu’elle eft fondée fur des b a fes
bien folides, lorfque la nature dont elle a faifî
le fecret, prend elle-même fa défenfe & foutient
fa caufe. Pour avoir foutenu un plus grand nombre
de combats , elle n’en fort que plus glorieufe
après la vi&oire, & fa conquête eft plus affurée.
Tel a été le fort de la découverte de l’attraéti.on,
du fyftême folaire, de la circulation du fang j
telle a été autti la condition de la théorie de 1 air
fixe , même avant qu’elle eût été etendue & appliquée
à un plus grand enfemble de faits. En
fortantl des mains de fon premier créateur, de
Black, elle fut affaillie par un grand nombre
d’ôppofans. La plupart fe contentèrent de tout
rapporter aux idées anciennes., de regarder l’air
fixe comme de l’air ordinaire chargé de vapeurs
étrangères, ou comme une matière non^ exif-
tante dans les alcalis & les terres, Sc formée par
les acides ou le feu qu’on employoit pour 1 obtenir.
On vit fur-tout paroître dès le. commencement
un âdverfaire redoutable en Allemagne ,
pendant même qu’elle s’établiffoit dans 1 Angleterre
où elle .étoit née. Frédéric Meyer ,
apothicaire d’Ofnabruck , publioit à-peu-près
dans le même temps que l’ouvrage de Mac-
bride paroittoit à Dublin, de nouveaux ejfais
de chimie fur la ckaux vive, la matière elaftique
& électrique , le feu & Vacide uniycrfel primitif.
Celui-ci n’étoit point un antagoniste ordinaire,
un frondeur de nouveautés, un ennemi déclaré
de la nouvelle doctrine, il étoit bien plus dangereux
que les contradicteurs en titre , que les
oppofans direéts , que les incrédules ou les
Amples indifférens. Il n’attaquoit point la découverte
de Black e» elle-même , ne contredi-
fôit pas les expériences; il ne patloit pas même
de la nouvelle do&rine anglaife-, mais il prenoit
une route diamétralement oppofée ; c’et oit une
doctrine toute entière & entièrement differente
qu’il propofoit fur les mêmes matières & fur
les mêmes faits ; il déçrivoit un grand nombre
d’expériences qui paroittoient bien faites ; pîu-
fieurs fembioient copcluaiit.es autant que nouvelles
; elles étoient toutes liées par une idee
générale , & fe préfentoient avec un jappareil
impofant de raifonnemens & de conféquences
bien d’accord avec la marche qu’on avoit tenue
jufques - là en chimie. Peu de livres offrcienc
plus de génie • & un enfemble mieux ordonne
que celui de Meyer , & quoique la doctrine
de ce phyficiefi n’ait fait que paraître & brilier
un moment en Allemagne, quoiqu’elle ait été
bientôt diffipée comme une vapeur légère par-
l’éclat & la folidité de celle de Black a me-
fure que celle-ci a été connue , & que les expériences
qui la fondoient ont été répétées * il
eft bon de faire connoïtre ici les bâfes de cette
théorie qui a eu fes défendeurs , afin qu’on
puiffe juger de l’importance de la victoire rem