
pour exprimer ces fenfations, ayant défigné l'une
par le mot froid , il faut bien qu'on exprime
l'autre par le mot chaleur.
Je pourrois rapporter encore beaucoup d’exem-
pies qui prouveroienf , que le jugement que nous
portons fur l intenfite de chaque fenjation , dépend, de
la comparai fort que nous établirons fans cejfe , entre
les différent degrés de la meme fenjation qui fe fuirent
immédiatement j mais, comme ces exemples
font faciles à failir , js me contenterai d'en citer
encore quelques-uns.
Si l’on refte quelque tems dans une température
de 4 ou f degrés au-deffus du çero ihermométriqué,
on ne fe plaint plus d’avoir froide mais fi Ton va
chauffer à un feu v if, & qu’on revienne en-
fuite dans cette température de j ou 6 degrés, on
éprouve, pour l’inftant, une fenfation de froid
affez confidérable. C’eft ainfi qu’on a;froid en for-
tant d un bain chaud , & qu’on a chaud en fortant
d'un bain froid.
L’ eau-de-vie mife fur une bleffure, y produit
une grande irritation > mais , lorfque fon aélion
eft ceflee , l’air environnant n’agiflant fur la plaie
que comme un ftimulus bien plus foible, la dou- \
leur n’eft pas à beaucoup près aufli vive , &
nous difons alors que nous fournies foulages.
Si une perfonne va en., plein jour dans un en-x
droit obfcur où il n’ entre que peu de rayons lumineux
, elle ne diftingue d’abord aucun objet ,
parce qu’il y a une trop grande différence entre la
fenfation qu’elle éprouvoit. précédemment , &
celle dont elle eft alors affe&ée : mais fi elle y refte
quelque tems , la comparaifon qu’elle établiffoit
entre ces deux fenfations s’efface infenfiblement,
& bientôt le rapport qui s établit entre l’organe
de fa vue & le peu de rayons lumineux qui entre
dans l ’endroit obfcur, le rapprochant dé celui
qui exiftoit entre ce même organe & tous les
rayons lumineux qui frappoient fes yeux lorfqu’elle
étoit en plein jour , elle commence à diftinguer
les objets.
On obferve un effet inverfe lorfqu’on pâlie
promptement d’un endroit obfcur dans un . lieu
très-éclairé , avec" cette différence , que dans ce
cas la fenfation efl beaucoup plus vive. Eh général,
on eft prefque toujours douloureufcment affect épar le
paffage rapide d‘une fenfation a une autre fenfation du
meme genre , lorfque leur intenfité eft très-différente.
Cette fenfation douloureufe produit même pour
l ’inifcant, foit directement, foit indirectement,
un changement général dans tout le fyftême. Je
dois à ce fujet vous rapporter une obfervation
importante fur laquelle je reviendrai dans une
autre circonftance. Je faifoit'des expériences fur
le fommeil ; & Gillan & moi, nous tâtions plu-
fieurs fois dans la nuit le pouls d’une troifieme
perfonne, Une nuit entr’autres 3 vers les cinq
heures du matin , le nombre des puîfations de U
perfonne fur laquelle nous opérions, étoit de 68
par minute} mais comme, pour être plus fûts de
notre fa i t , nous comptions ordinairement avec
une bonne montre à fécondés, pendant deux ou
trois minutes, elle fe réveilla fubitement, & ,
en ouvrant les yeux elle reçut l’imprefiion de la
lumière qui les lui fit refermer très- promptement.
Au même inftant nous trouvâmes que le nombre de
fes puîfations étoit de 120 par minute $ c’eft-à-
dire prefque double de celui que nous avions observé
avant fon réveil ( i ). La preuve que cette
augmentation de puîfations provenoit de l’aCtion
de la lumière , c’eft qu’à iept heures du matin ,
pendant le fommeil de la même perfonne, fes pul-
fatîons étoient de 72 par minute , & qu’après fon
réveil, elles étoient de même de 72 par minute.
Nous avons vu ci-defîus opx ayant confédéré
comme un point fixe , la fenfation que nous éprouvons
lorfque nous communiquons une quantité de calorique
quelconque , nous exprimons par le mot chaleur , la
fenfation que nous éprouvons lorfque nous en communiquons
moins , & par le mot froid la fenfation
que nous éprouvons lorfque nous en communiquons davantage
} mais , les quantités de calorique que nous
communiquons à des corps hétérogènes qui ont la
même température , étant très-variables , il en
réfulte que des corps qui ont la même température ,
nous communiquent fouvent des fenfations iout-a-fait
differentes. Si , par exemple , la température de
1 atmofphère étant à fept ou huit degrés au-deffus
du [ero thermométrique , nous plongeons notre
„main dans de l’eau qui eft à la même température ,
nous éprouvons aufli- tôt une fenfation différente ,
que nous exprimons en difant que nous avons
froid. Cette différence de fenfation dans des fubftances
qui ont cependant la même température ,
proviennes quatre caufes que nous allons énoncer
i mais plus particulièrement de la différence
plus ou moins grande des capacités qui , ainfi que
j’ai eu l’honneur de vous l’expliquer dans un autre
mémoire , fie font que l'cxprejfion de la quantité comparative
de calorique qùil faut communiquer a des
poids égaux de fubftances hétérogènes , pour élever
leur température du meme nombre de degrés.Ainfi ,
lorfque la capacité d’un corps eft moins grande que
celle d’un autre corps ,il faut communiquer au premier
moinsde calorique qu’au fecond;pour produire
dans l’un & dans l’autre le même changement de
température. Nous devons donc , en lestouchant,
éprouver des fenfations différentes , parce que ,
dans le premier cas, nous fourniffons.moins de
calorique que dans le fécond ; d’où nous pouvons
conclure que les différences qui éxiftent entre les
fenfations que nous éprouvons, lorfque nous touchons
des corps hétérogènes qui font cependant à
(1) Quelques médecins penfént qu’un réveil fubit
dans un endroit obfcur proauiroic un effet à peu-près
fçmblable.
U
la même température proviennent en grande partie,
différences qui exiftent entre les capacités- de ces
corps. Mais, dira-t on peut être, les expériences
du doéfceur Crawford paroiffent démontrer que la
capacité de l’eau étant repréfentée par le nombre
100 , celle de l’air atmofphériqiie eft repréfentée
par le nombre 179 } d'où il fuit que ces
deux fubftances étant à la même température, la
première devroit plutôt nous procurer la fenfation
de chaleur que la fécondé. Si l'or\ y^ réfléchit cependant
attentivement , on reconnoîtra que cette
objection n’eft que fpécieufe. Les expériences du
doéteur Crav/ford indiquent bien que la capacité
de l ’eau eft à celle de l ’air atmofpherique comme
100 eft à 179 , mais c’eft à égalité de poids, &
non a égalité de volume. Lors donc que l’une de
nos mains fe trouve dans l’air atmofphérique, fon
contaét avec çe fluide n’eft pas plus grand que celui
qui exifte entre l’eau & la main que nous
plongeons dans ce liquide > mais comme la pefan-
teur fpécifique de l’eau eft à celle de l’air atmofphérique
comme 8co eft à 1 à peu-près, il en réfulte
que la nulle de Tçaü qui touche notre main
dans la première circonftance, eft bien plus con sidérable
que celle de l ’air qui , dans la fécondé ,
eft en contait avec cette même partie de notre
fyftême. Mais, obje&era-t-on peut-être encore ,
fi ce raifonnement étoit vrai, on devroit perdre
cinq ou fix cent fois plus de calorique , lorfqu’on
çft plongé dansj’eau que lorfqu’on eft plongé dans
l ’air} cette objection feroit fondée, fi une foule
de caufes n’influoit pas très-fenfiblement fur ces
dégagémens comparatifs de calorique dans, des
temps égaux. Les deux principales font, i° . cette
propriété fingulière dont j.eijiift'ent certains corps
qu’on a nommés pour çette raifon , mauvais conducteurs
de la chaleur, propriété qui , ainfi que
j’aurai l’honneur de vous le démontrer dans une
autre circonftance , provient du concours de différentes
forces} 2°. le renouvellement très - rapide
du contait qui exifte entre nos organes
& l’air atmofphérique,, comparativement
au renouvellement de contait qui exifte entre ces
mêmes organes & l’eau, fur-tout lorfque celle-ci
n’eft pas agitée. Ainfi, la différence qu’on obferve
entre les qualités de calorique que nous communiquons
à l’air & à l ’eau, lorfque nous fommes
dans des circonftances femblables, dépend de la -
réunion de ces différentes caufes , & fuivant-
qu’elles fe combinent plus ou moins favorablement
, la communication du calorique obéit à des
différences très-marquées. Toutes les fois donc que
des corps qui font a la même température , nous font
éprouver des fenfations différentes , nous devons con•
ftdérer leur capacité , leur maffe , le renouvellement
plus ou moins confidérable dç leur contait avec notre
fyftême , & la facilité plus ou moins grande avec laquelle
ils permettent au calorique de fe mettre en équilibre
( facilité qu’on a nommée jufqu’à préfent propriété
conductrice de la chaleur ), Si l’on fuit cette
Chimie. Tome JIL
méthode, on reconnoîtra promptement pourquoi
le marbre , le fer, 8te. nous paroiffent plus foids
que le bois, par exemple , iors meme que ces
fubftances ont la même température , &r qu eLe elt
au-deffous de la nôtre. Cette exp’ication eft m
furplus applicable à toutes les différences qui extf-
tent entre les fenfations de chaleur & de froid eus
nous font éprouver les divers corps de la nature ,
lorfque nous les touchons, & qu'ils ontla meme
température.
C’eft auffi à raifon du concours de ces quatre
forces , que , toutes chofes égales d’ailleurs , la
glace fe fond plus promptement fur certains corps
que fur d’autres.
Toutes ces obfervations prouvent que le thermomètre
ri eft pas une mejure exacte de la chaleur ,•
ainfi quon l'a annoncé pendant long-tejr.s. L ldi: e
qu’on fe formoit, en admettant qu’il joui (foit de
cette propriété, etoit abiolumenc faufîe.
Nous avons vu ci-deffus , r ° . q’jc la fenfation
de chaleur ou de froid que nous éprouvons , dépend ae
la quantité de calorique que nous recevons des corps
environnans, ou que nous leur communiquons;2 . que,
toutes chofes égales d'ailleurs , cetie communication
dépend du renouvellement de contact. Ces deux ventes
vont nous fervir à préfenter l’explication d un fait
particulier qu’on obferve très-fouvent dans 1 été.
Lorfque l’air étant parfaitement calme , fa. température
fe trouve de 20"degrés environ au-ddlus
du téro thermoTné'trique, nous éprouvons une fen-
fatiôn de chaleur y mais , fi le vent s élev’e
quoique fa température foit egalement de 20 degrés,
nous difons que ïè temps eft rafraîchi, parce que ,
communiquant aux corps environnans une plus
grande quantité de calorique,à raifon du renouvellement
du.contaéfc, nous éprouvons une fenfation différente
, quoique le thermomètre foit toujours
au même degre.
L’habitude influe confidurablement dans le même
individu fur L'intenfité de fes fenfations , farce quelle
fait varier fans ccjfe le jugement de comparaifon qu'il
établit entre les différens degrés de la même fenfat ion.
Une perfonne, par exemple , qui n’eft: pas habituée
a boire de l’eau-de-vie , fe plaint de 1 action
vive qu’elle exerce fur fon irritabilité ou fur fa
fenftbilïtê } mais lorfqu’ elle a continué pendant un
certain tems l’ufage de cette liqueur , elle n é-
prouve prefque plus de fenfation en en buvant
d’un peu moins fpiritueufe.
11 en eft de même des différences qu’on obferve
dans les degrés de fenftbilïtê de telle ou telle partie
de notre corps ; tout le monde fait , par
exemple, que notre main peut fupporter des um-
pêratures qui produiroient fur toute autre partie
; de notre fyftême des fenfations extrêmement don-
| loureufes.