dans la plaine sablonneuse qui sépare Antinoé de la montagne Arabique (i). La
plaine renferme beaucoup d’autres tombeaux , les uns recouverts de dômes, les
autres d’une simple pierre ; c’est là que les habitans de la rive gauche viennent
enterrer leurs morts.
C ’est une remarque générale, que les Égyptiens enterrent leurs morts dans les
sables, soit vers la Libye, soit vers l’Arabie ; ils vont pour cela jusqu’au désert, à
quelque distance que ce soit. La raison la plus naturelle qu’on puisse apporter de
cette coutume, c’est la crainte que la culture n’aille troubler les cendres des morts.
L ’inondation est encore aussi à redouter que la charrue. Enfin peut-être est-ce le
désir d’en conserver les restes ; car le sol du désert est, par sa sécheresse, très-
propre à la conservation des cadavres : on a trouvé plus d’une fois sur* le sable
des momies naturelles dans une dessiccation parfaite.
Les habitans actuels de Cheykh A ’bâdeh sont de race :Arabe'. La chose est
évidente pour le voyageur qui a comparé les Arabes cultivateurs avec le fellâh
Égyptien. Sur presque toute la rivéjdroite du Nil, des tribus Arabes ayant renoncé
à la vie pastorale, se sont établies dans des villages; Cheykh A ’bâdeh est un de
ces points. Les Arabes y ont conservé le caractère natif et tous les traits, „qui les
distinguent (2). Ainsi que dans tous lès autres villages de la même origine Jr'on
cultive avec succès et en abondance la càhti'è’à sucre; de beaux champs‘dè cette
espèce occupent Je terrain qui touche aux ruines d’Antinoé, du côté du nord-ouest.
Les Arabes errans entretiennent des relations avec les Arabes de ce village,
comme il arrive dans toute l’Égypte. Ennemis du fellâh, ils vivent en paix avec
les cultivateurs de leur race, bien qu’ils aient du dédain pour ceux qui ont abandonné
la tente et pris des habitations fixes. Aussi avons-nous aperçu quantité de
Bédouins aux environs des ruines : ne soupçonnant pas qu’il y eût aucun danger
dans nos excursions, nous allions fréquemment, sans escorte et sans armes, à une
grande distance du fleuve où nos barques stationnoient ; plusieurs fois des cavaliers
Arabes troublèrent nos opérations, et ce n’est pas sans péril que nous vînmes
à bout de les terminer. Un jour quelques-uns de mes compagnons de voyage, se
promenant dans l’hippodrome, virent arriver trois Bédouins au galop; sans armes
et sans aucune défense , ils furent obligés de se retirer précipitamment sur le
Nil. Une autre fois, un voyageur (3) occupé à mesurer les dehors de la ville entendit
le hennissement d’un cheval : en se relevant, il vit à quatre pas deux cavaliers
Arabes embusqués. Son domestique tenoit un tromblon ; le voyageur s’en saisit,
et dit aux Arabes, avec une heureuse présence d’esprit, que, s’ils étoient amis, ils
pouvoient passer sans rien craindre. Surpris de sa contenance, les Arabes délibèrent
un moment, puis tournent la bride, et se sauvent dans la montagne.
La chaîne Arabique a plusieurs vallons qui ont plus ou moins de profondeur.
On mavoit rapporté qu’il existoit dans le désert un chemin taillé dans le roc,
large de quinze mètres, et conduisant à Antinoé. J’ai pris beaucoup d’informations
(1) Voyez pl. 54, f i g. 2, au point 3.
(2) Voyei, sur ce sujet, les Observations sur les Arabes de I’Égypte moyenne, È. M . tout. /, pag. çak.
(3) M. Corabceuf.
sur ce chemin ; tous m’ont assuré qu’ils n’en avoient aucune notion. MM. Raffeneau
et Bert avoient cependant remarqué une route pareille dans leur reconnoissance(i)
entre le Nil et la mer Rouge, et leurs guides les avoient assurés qu’elle se dirigeoit
sur les ruines d’Antinoé.
§. IV.
Portique et Théâtre.
J’ai dit que le portique est situé à l’extrémité sud-ouest et dans l’axe même
de la rue longitudinale.' Ce magnifique bâtiment formoit ainsi le point de vue de
cette grande ligne* longue de i 308" jj, jusqu’au monument du nord-ouest. Son axe
fait un angle d'environ 38° a I ouest avec le méridien magnétique. Il y a quelque
incertitude sur le point jusqu’auquel setendoit l’édifice sur les parties latérales, et le
plan général e’st difficile à restaurer d’une manière satisfaisante. Je me bornerai
donc à décrire les restes actuels, et à proposer une conjecture sur l’ensemble
des ruines du portique, et de celles de la partie postérieure.
Le monument se distingue de loin aux chapiteaux Corinthiens de ses piliers
et îigses colonnes, dont les angles sont tfès-avancés et lui ont fait donner par les
Arafifes le surnom d’A lo u ’lqeroun ou comti (2); c’est à quoi l’on distingue Antinoé,
quand on navigue sur le Nil : ces chapiteaux élevés et saillans se découvrent à
travers le bois épais de dattiers qui garnit les rives du fleuve.
Le portique étoit composé de quatre colonnes en avant, avec un entre-colonne-
ment plus large au milieu ; de deux piliers en retraite, avec un massif où sont percées
trois portes ; enfin, de deux colonnes et deux piliers postérieurs conduisant
sans doute dans d’autres distributions qui ont disparu sous les décombres. Les deux
colonnes antérieures du cote du Nil sont debout et entièrement conservées dans
toute la hauteur; il en est de même des deux piliers qui sont en avant des portes :
la troisième colonne de devant est à moitié debout, et la quatrième est rasée. Les
deux colonnes de la partie postérieure sont en partie debout (3); il reste peu de
chose des deux piliers qui les accompagnoient à droite et à gauche.
Le massif où .sont percées les trois portes, est détruit dans sa partie supérieure
: il subsiste encore jusqu’à la hauteur de la porte du milieu. Les portes
latérales sont conservées entièrement, ainsi que deux fenêtres à fronton dont
elles étoient surmontées.
Tout autour sont des tronçons de colonnes et des fragmens de chapiteaux.
Le sol est jonche de débris qui annoncent que d’autres constructions, dont je
parlerai tout-à-l’heure, se rattachoient au portique à droite et à gauche. L ’encombrement
de l’édifice est peu considérable.
La façade a 16”,4 de longueur ; l’entre-colonnement du milieu , mesuré entre
les socles des colonnes, est de 4”j36 ; et l’entre-colonnement latéral, de 2",44.
(0 Voyez la pl. ,00, fio. , , Ê, M . pu avancer que les quatre colonnes de derrière étoient
(2) Littéralement, le pire aux cornes. Voyez la pl. $6. rasées.
(3) On ne comprend pas comment le P. Sicard a