La tunique dont il s’agit est à manches courtes : elle est ouverte, comme nos
chemises, dans le haut et dans le bas; mais elle est de forme carrée. La largeur et
la hauteur avoient om,95. Il ne manque rien à la longueur qu’une petite
partie en bas et d’un côté seulement; mais, quand on l’a trouvée, elle étoit raccourcie
par un double pli transversal de om, i o qui réduisoit sa hauteur à om,7<. Les
manches sont longues de ora,4 o. L ’ouverture pour passer la tête a om,3; mars
elle pouvoit se resserrer par des liens qui existent encore. L ’étoffe a été tissue au
métier ; elle est de teinte jaune, et les broderies sont de couleur brune. Des chimistes
ont pensé que le fond ainsi que le fil brun des broderies étoient de matière
animale, tandis que le fil jaune ou le canevas des mêmes broderies étoit de
matière végétale: mais on n’a pas prononcé si le premier appartenoit à la brebis,
à la chèvre ou au chameau; le second, au chanvre, au lin ou au coton (i). L’analogie
pourroit aider à rétrécir le champ de l’incertitude. En effet, parmi la multitude
d’étofîès végétales qu’on a trouvées dans les tombeaux de Thèbes,on distingue I
aisément et presque toujours le coton à son fil très-fin, très-doux et velouté. I
L e chanvre et le lin doivent être extrêmement rares ; on les auroit reconnus I
à un fil plus ferme et moins ténu. Quant au fil de laine, il est plus difficile de se I
décider entre la chèvre, la brebis, le chameau et d’autres quadrupèdes; je me bor- I
nerai à dire que j’ai rapporté de Thèbes un fragment d’étoffe tissue de fil animal, I
dont le toucher, l’aspect et toutes les qualités se rapportent parfaitement au poil I
de la chèvre de Cachemire, outre que le tissu est entièrement comparable à celui I
que de temps immémorial on fabrique dans l’Orient (2).
Ce qui sans doute est le plus digne de remarque dans cette pièce d’antiquité, I
ce sont les ornemens. Sur le corps de la tunique, sur les épaulettes et sur les I
manches, on a ajouté des broderies qui paroissent avoir été faites au petit point I
et à fils comptés, comme la broderie au canevas. Il y a sur le devant et sur le I
derrière du bas de la tunique, sur les épaules et autour des manches, dix parties I
brodées, de forme rectangulaire; et, entre les épaulettes et le col, deux autres I
broderies en longs rubans, analogues à des bretelles : celles-ci ont om,27 de long I
et g™,9 de large; elles ont été appliquées et cousues sur la tunique. Il en est de I
même de celles qu’on voit sur les manches, et qui ont om,45 de large, tandis I
que les carrés brodés du bas de la tunique et des épaules ont été substitués I
au fo n d , enlevé à l’avance ; ceux-ci ont om,09 sur om,9. En examinant avec I
beaucoup d’attention les ornemens dont les broderies sont composées, on n’y I
voit que des ornemens de caprice, des entrelacs et des enroulemens, et aucun I
signe de l’écriture ni de la décoration Egyptiennes : cependant on ne pourroit pas I
en conclure que cette pièce est Grecque, attendu que nous avons trouvé dans I
les plus anciens monumens, notamment parmi les peintures des tombeaux des rois, I
des décorations qu’on appelle des méandres, des grecques et des étrusques, et que I
les Grecs ont empruntées évidemment et employées à une époque postérieure. I
(1) Ces détails sont extraits d’un rapport fait à l’Institut national le 26 brumaire an 11 [17 novembre 1802], par I
M. Mongez, au nom d’une commission formée des membres des trois classes.
(2) Voye^ la Description des hypogées de la ville de Thèbes, pag.j/fi.
Là ou I artiste Égyptien n étoit pas astreint à suivre des formes consacrées par la
religion, ou à tracer des emblèmes significatifs, il dessinoit avec plus de liberté des
ornemens de goût et de fantaisie, mais toujours plus ou moins symétriques. C e
qui me fait penser encore que cette étoffe remonte à l’antiquité Égyptienne, c’est
que sa broderie en forme de bretelle se retrouve sur beaucoup de figures des
deux sexes, appartenant au culte Égyptien (i).
Je ferai encore ici mention d’un joli cordonnet qui sert à recouvrir la couture
des deux lés et du bas des manches ; il accompagne aussi les deux bretelles. Dans
un endroit, il y avoit un trou qui a été raccommodé.
Aujourd’hui les fellâh portent des robes appelées biclit, en étoffe de laine
noire, ou 1 on remarque, ainsi que dans notre tunique, des pièces carrées brodées
et qui tranchent également sur le fond; mais le travail en est plus grossier.
Le second fragment de tunique rapporté par le général Reynier est d’un jaune
plus foncé, mais tissu de matière végétale. Sa largeur, égale à sa hauteur, est de
om,4o; la broderie est large de ora,2o.
Ce seroit ici le lieu de comparer les tuniques de Saqqârah avec les costumes que
les peintres et les sculpteurs Égyptiens ont représentés dans les temples et les
hypogées : il ne seroit pas très-difficile de reconnoître dans ces représentations,
quoique dessinées sans perspective, ce qu'étoient les objets eux-mêmes ; comment
ils étoient coupés et disposés pour l’usage, e t , sinon les étoffes qu’on a voulu
exprimer, du moins les broderies, les ornemens et les accessoires dont elles
étoient enrichies; on distingueroit les étoffes rayées, unies, à mouches, transparentes,
plissees, a glands, a franges, et d’un ton ou de plusieurs couleurs, &c. On
peut dire que, sous ces divers rapports, la richesse et la variété sont extrêmes.
Mais ce travail seul exige un mémoire spécial.
En comparant la tunique des harpistes des tombeaux des rois, j’en ai reconnu
la disposition assez singulière, mais très-commode; et je crois être d’autant plus
sur d avoir deviné juste, que j’ai vu depuis un habit entièrement semblable et à
Iusage des habitans actuels (2). Mais cette tunique diffère de celle de Saqqârah.
Dans celle-ci, les côtés sont fermés et le bas est ouvert : c’est le contraire dans
celle des harpistes ; les côtés sont ouverts et le bas est fermé, à l’exception de deux
ouvertures pour passer les jambes. Celle-ci est dépourvue de manches; mais toutes
deux sont carrées, c’est-à-dire, aussi hautes que larges (3).
Il me reste à parler des fragmens d’antiquités qui sont les plus curieux, parmi
ceux que nous avons recueillis dans les catacombes, autour de la pyramide à six
degrés, et dans le voisinage de Saqqârah : on les a gravés principalement dans la
(1) On a découvert dans les hypogées de Thèbes, depuis
l’expédition, des espèces de bretelles semblables,
en nature,faites de maroquin rouge, ornées d’hiéroglyphes
de la plus grande perfection et des beaux temps de l’art.
(2) Voyez pl. S9 , A . vol I I , et pl. L L , È. M . vol II.
(3) Il résulte du rapport à l’Institut dont j ’ai fait
mention plus haut, qu’on n’a que des présomptions sur
époque à laquelle remonte la tunique de Saqqârah et sur
e personnage qui l’a portée. On conjecture, i.® qu’elle a
été tissue entre l’époque de Cambyse et le iv .e siècle de
1 ère vulgaire; 2.® qu’elle n’a point appartenu à un prêtre
ni a une femme; 3.® que celui qui la portoit étoit de la
classe commune des Egyptiens, si c’est à la vétusté qu’il
faut attribuer la couleur de l’étoffe; mais qu’il occupoit
un rang distingue, si la tunique a été ainsi teinte à dessein,
&c. Voyez ailleurs le rapport sur une tunique
Egyptienne, fait a l Institut, au nom d’une commission
formée de membres des trois classes, par M. Mongez.