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L expression de géant convient d’autant mieux à Antee, que les dynes sablonneuses
et mobiles qui parcourent le désert, sont souvent gigantesques; s’élèvent
et s abaissent, et forment subitement des montagnes, qui, se déplaçant au grc des
vents, vont.porter par-tout la stérilité et la mort.
« Antée tuoit les ^voyageurs dans le désert, et il avoit fait voeu de bâtir un
» témple à son père avec'des ossemens humains. » On sait assez à quels fléaux
sont exposés;ceux qui traversent les déserts de la Libye, et combien de victimes
ont du périr, avant 1 usage des caravanes, dans ces périlleux voyages aussi meurtriers
que la peste et les combats.
" Hercule combattit ce géant et le terrassa plusieurs fois ; mais la Terre, sa
» mere, lui rendoit des forces nouvelles; il fallut que le héros soulevât son ennemi
» en l’air, et le fit périr en letouffant (i):» Hercule, dit Macrobe, est le symbole du
soleil : Sed nec Hercules à substantiel solis altenus est; et reverá Hèrculem soient esse
vel ex nomine claret. Veritm sacralissimâ et angüstisshnâ Ægyptii cuín religione veneran-
tur ;'iiltra que memoriam, quoe apud illos retro longissima est, ut carentem initio colunl.
Ipse crcditur et gigantes interemisse (2). Le dieu, selon Macrobe (3), étoit l’image
de la force de cet astre. Nous ne voyons pas quelle influence pouvoit exercer le
soleil contre la marche progressive des sables ; mais considérons qu’Osiris étoit
toujours le symbole commun du soleil et du Nil. Or nous avons vu que l’Hercule
ancien ou Egyptien étoit un, dés ministres d’Osiris : par ce mot, je comprends les
branqhes et les dérivations du fleuve, qui par-tout font sentir son influence et parvenir
ses bienfaits; et je m’appuie sur ce passage de Cicéron qui, pariant de l’Hercule
Égyptien, l’appelle Nilogenitus (4 ).
mesure que je m’éloignois du rivage et que j’entrois dans
les eaux, attirait chaque fois mon attention, et souvent je
restois une heure entière à considérer, dans son origine et
dans sa mar,che, le phénomène de la formation des sables.
Sans doute, sur cette rive d’exil où je me voyois captif,
'mon imagination ne s’arrêtoit pas à une contemplation
monotone ; et l’aspect de la mer, celui des vaisseaux- que
je voyois au loin la sillonner librement, me reportoient
sans cesse vers l’ idée de la patrie, dont je me croyois séparé
pou r toujours : mais cette idée m’attachoit encore
plus au spe ctacle du rivage; il m’a tellement frappé, que
peu d’images mesont demeurées plus présentes. Je voyois
la vague se briser à mes pieds et apporter une^petite ligne
à peine sensible d’un sable très-fin ; une autre vague reveno
» chSi£ée comme la précédente, et cette nouvelle
ligne desable repoussoit un peu la première. Celle-ci, une
fois hors de l’atteinte de l’eau, frappée par un soleil ardent,
étoit bientôt séchée erdonnoit prise au vent, qui aussitôt
s’en emparoit et la charioit dans Tair. Les parties de gravier,
moins légères, n’arrivoient pas aussi loin; mais, sou-,
mises au même mouvement alternatif, elles s’ usoient de
plus en plus et se transformoient peu à peu en sable fin,
tandis que les cailloux ro u lé s , et ensuite les fragmens anguleux
et de toute forme, é to ie n t portés par la vague
jusqu’à une distance plus ou moins grande, en raison
inverse de leur pesanteur. J’avois souvent cherché la cause
de cette énorme quantité de sables qui pénètre dans le
Delta et qui va en croissant : en e ffe t, le Delta n’a aucune
communication avec la Libye ni l’Arabie, dont le Nil le
sépare ; les sables ne peuvent pas traverser ses larges
branches.’En étudiant le phénomène que je viens de décrire,
je reconnus que telle est l’origine des sables du
Delta, c’est-à-dire que la mer, et la terre qu’elle baigne,
contribuent à les former, de la même manière que' les
•sables eux-mêmes de la Libye.
(1) Apollodor. Bibl. lib. i l . Hygin. x x x i , & c :
(—) Saturn. lib. I , pag. 244-*
> (3) Macrobe fait dériver Héraclès de et xas'of, c’est
à-djre, gloire de l'air. Sans traduire ce mot comme lui par
. solis illuminatio, on peut remarquer que, dans sa lutte avec
Antee, c’est'au' milieu de Y air qu’Hercule signale sa force.
Ce pouvoir qu’Hercule exerce sur l’air, semble avoir aussi
un emblème dans,la salutaire influence de la crue du Nil
pour purger l’atmosphère des exhalaisons pernicieuses.
(4) Cic. de Nat. Deor. lib. n i . Osiris étoit le double
'•symbole du sbleil et du Nil : mais il avoit beaucoup de
formes et d’attributs pour,les Egyptiens, et les Grecs en
ont encore augmenté lenombre. Jablonski s’est attaché à
les définir. Les influences (diverses d’Osiris-soleil avoient
aussi leurs formes comme celles d’Osiris-fleuve. Hercule
étoit, selon moi, une de ces formes consacrées, et les ramifications
du Nil en étoient le signe sensible et réel. Quand
on raconte qu’Hercule fit rentrer le Nil dans son lit (Drocl.
Bibl, /¡¡st. lib. 1 ), il faut entendre qu’une partie de l’Egypte
ayant étesubmergée par un débordement excessif, on creusa
des canaux, qui délivrèrent le pays des eaux surabondantes.
Lorsque les Égyptiens s'aperçurent de l’empiétement des sables sur la vallée du
Nil, sans doute ils essayèrent différens moyens ipdjur s’en débarrasser. II y en avoit
bien peu d'efficaces contre un si terrible fleau. Il èst possible qu’ils aient tenté d’abattre
dans quelques endroits, ces montagnes de sable que j’ai regardées, comme l’image
d’Antée. Mais c’étoit en vain qu’on renversoit les dunes par les effoj-ts les plus
pénibles, et que l'on terrassoil le géant : le sable rendu à la terre déserte ( ou Antée
venant à toucher sa mère) reprenoit toute sa force, c’est-à-dire qüe les- vents
brûlans de la Libye le reportoient sur le sol de la fertile vallée? Comment; succomba
t-il dans cette lutte' Ce fut, selon moi, par de larges canaux ou bras du
Nil, creusés ou entretenus au pied de la chaîne de Libye. Les efforts des sables
venoient expirer sur la rive. En effet, ils ne pouvoient traverser ces branches larges
et profondes, n’étant plus soutenus comme les dunes le sont à leur pied ; alors
ils cédoient à leur poids et retomboient dans les eaux courantes : c’est donc dans
les airs que périssoit le prétendu géant, saisi et comme étouffe par les bras du héros.
II faut avoir vu la rive gauche du canal de Joseph, pour apprécier la justesse
de ces idées, si en effet elles ont quelque fondement. Un talus élevé, presque
perpendiculaire, formé de sable fin et délié, compose dans maints endroits cette
rive désolée, tandis que la rive droite, tout-à-fait plane, couverte d’un pur limon,
et sans aucun mélange de sable, reçoit les plus riches cultures^ Mais par-tout où
le canal est comblé ou sans eau, les sables ont pu traverser, et ils s’avancent de
plus en plus, jusqu’à menacer les rives elles-mêmes du grand fleuve. Je ne cite pas
ici l’exemple de la rive gauche de la branche de Rosette, parce qu’il est plus connu :
mais il est impossible de. voir les hautes dunes d’Abou-Mandour, celles , où
Rosette elle - mêmeest en partie déjà ensevelie, toute la rive depuis la tête du
canal qui se jette dans le lac Mareotis jusqu’à Ouardân, et de regarder ensuite sur
la rive droite les riantes prairies du Delta, sans se demander si, le Nil venant
à changer de cours, ces montagnes colossales ne se précipiteroient pas* bientôt
sur la rive opposée.*’*
C ’est par cette suite d’inductions, fondées toutefois sur des phénomènes très-
réels, que je me trouve amené à conjecturer que la fable d’Antée .çt d’HercuIe
a son origine dans la lutte des sablés dé Libye contre les eaux du f îilj’ et dans
le triomphe des canaux (peut-être de quelque grand canal, comme celui de la
Bahyreh ou tout autre) sur la marche des dunes sablonneuses. Si le royaume
d’Antée étoit aux extrémités de la Libye, comme le disoient les Grecs, ce n'est
pas seulement parce qu’ils vouloient dissimuler son origine Égyptienne, mais c’est
encore parce que les montagnes sablonneuses sont produites par, la même cause sur
toute la côte septentrionale de l’Afrique, par-tout enfans. de Neptune et de la
Terre. A la vérité, je ne vois que l’Égypte où l’on ait lutté contre elles par des
travaux dignes du nom d’HercuIe. Mais l’Égypte confinoit avec la Libye ; et, pendant
long-temps, la partie orientale de celle-ci fut sous la dépendance de.s maîtrès des
bords du Nil.
Ce n est pas une chose indigne d’examen que les dénominations géographiques
données a plusieurs lieux de l’Égypte, et qui appuient ma conjecture. On appeloit