
soumis à leur domination et de produire par-tout le grand et le beau , les a
distingués des autres nations de la terre ; faut-il s’étonner de ce qu’ils ont fait en
Egypte, puisqu’ils ont couvert tous lespays conquis de villes, de ponts, déroutes,
d’aqueducs et de chaussées admirables î Rien n’atteste aujourd’hui leur grandeur
comme toutes ces constructions ; et il est vrai de dire que de si nombreux et de
si beaux ouvrages ont fait autant pour la gloire de Rome que sa valeur guerrière
e t le génie de ses écrivains. Ce peuple étoit persuadé des grands souvenirs que
laissent les monuitiens ; car sous les rois, sous la république, sous les empereurs, il
a toujours eu, si l’on peut dire ainsi, la même passion pour bâtir.
Adrien venoit après des princes qui avoient élevé les édifices les plus somptueux.
Il avoit hérité de leur goût pour les arts, et il ne s’én montra pas indigne. Aucun
n’a fait,sous ce rapport, de plus grandes choses, et construit plus de monumens dans
toutes les parties de l’Empire. L ’histoire a conservé le souvenir de son voyage en
Égypte : il fut frappé des moeurs de ce peuple si dégénéré, dont il ne restoit plus rien
en quelque sorte que son architecture. Les Grecs l’avoient presque fait oublier, et
Rome effaçoit alors tout ce qui avoit existé avant elle. Les sciences, le génie de
l’Égypte, avoient péri avec son existence politique : dénaturée, asservie, elle n’of-
froit plus à ses nouveaux conquérans que des ruines muettes et sans éloquence.
Mais, eussent-ils été aussi éclairés, aussi passionnés pour les sciences qu’ils l’étoient
peu, les Romains n’auroierit pas appliqué leur génie à deviner celui des vaincus;
il leur coûtoit moins de faire aux descendans de ces mêmes Egyptiens le présent
d’une ville nouvelle, que d’étudier les ruines, que de chercher à comprendre les
ouvrages des plus anciens artistes et le système dans lequel ils avoient travaillé.
Cette nation , qui a tant fait pour vivre dans la postérité, ne s’occupoit point des
intérêts d’une gloire étrangère ; l’équité pour les peuples vaincus n’étoit point une
vertu dont se piquassent les Romains; et ils n’ont fait aucun effort pour recommander
au souvenir des hommes les nations les plus justement célèbres. Heureux
les peuples qu’ils ont soumis , si leurs vainqueurs n’eussent pas violé les lois de
la justice dans des occasions plus graves, et n’eussent offensé d’autres intérêts
que ceux de la gloire acquise par de grands monumens !
Il ne paroît pas qu’Adrien ait connu mieux que ses compatriotes, les travaux de
l’Égypte savante, et apprécié son antique civilisation, source première de celle de
la Grèce et de l’Italie ; mais il fut sensible aux beautés de son architecture, au style
mâle et majestueux qui brille dans ses monumens. Il visita Thèbes; il fut frappé de
ses restes encore aujourd’hui si augustes, et qui, de son temps, étoient moins des
ruines et des débris qu’ils ne devoient ressembler à la capitale du monde, ébranlée
seulement par quelque catastrophe et récemment abandonnée par ses habitans. En
voyageur curieux, il laissa sur les monumens des traces de son passage, et permit
que son nom y fût gravé pour attester son voyage aux bords du Nil. Une multitude
de médailles furent frappées, en l’honneur du prince, dans toutes les préfectures
ou sous leur nom. A l’exemple de Germanicus, il admiroit la splendeur de Thèbes;
et je ne doute point que l’aspect de ces grands ouvrages n’ait élevé encore son goût,
naturellement porté vers le beau ; peut-être doit-on au séjour d’Adrien en Egypte
quelques-uns de ces gigantesques monumens qui signalèrent son règne (1). Il n’imita
pas l’architecture Égyptienne, mais il se pénétra de ces principes qui ont présidé-
aux ouvrages de I Egypte; la solidité dans la construction, la proportion des matériaux,
l’élévation du style, la majesté dans l’ordonnance, la symétrie des grande?
lignes, en un mot l’unité des parties et l’harmonie des masses. Les monumens qu’il
éleva dans Athènes,empreints de la pureté du goût et de l'élégance Attiques, semblent
aussi respirer le génie Égyptien dans leurs grandes proportions, élément non moins
nécessaire de la beauté en architecture.
C’est à cette cause première que- j’attribue la fondation d’Antinoé, bien plus
qu’au besoin d’honorer là mémoire d’un favori, et de laisser une cité entière pour
monument d’un goût effréné. Je n’entreprends pas ici de disculper Adrien de l’accusation
dont on a flétri sa mémoire; car plus il y a de magnificence dans Antinoé,
et plus la gloire de son fondateur devroit en être ternie. Mais, quelque passion qu’on
suppose à ce prince pour le jeune Antinous, il n’est pas croyable qu’il ait créé
une ville en son honneur, et comme pour-perpétuer le souvenir d’une illustre
infamie. D ’autres causes ont présidé à l’origine d’Antinoé. Selon moi, les édifices
de Thèbes suggérèrent à Adrien l’idée de bâtir une cité somptueuse, et dont les
rues en colonnades devoient rivaliser avec les célèbres avenues de statues colossales.
Il étoit aussi devenu nécessaire d’avoir une capitale nouvelle qui remplaçât
l’ancienne. L ’administration du haut pays exigeoit un grand établissement, placé
au centre de 1 Egypte : Alexandrie ne pouvoit suffire qu’aux besoins maritimes ;
Abydus, Memphis, étoient en ruines: Hermopol'ismagna, qui jouissoit de l’avantage
d’être au coeur de l’Egypte, se détruisoit de jour en jour; elle étoit d’ailleurs médi-
terranée, et non sur le Nil. Alexandre avoit fondé une grande ville en Égypte; les
Grecs avoient eu dans laThébaïde une ville toute Grecque, Ptolémaïs: c’étoitun
motif pour Adrien d’avoir une ville toute Romaine. Enfin le siège que choisit
Adrien, étoit lui-même une ancienne position. Auprès de là étoient les restes
de Besa, ville Égyptienne, consacrée à un dieu de même nom , qu’on honoroit
aussi à Abydus (2).
Tels furent, sans doute, les motifs qui firent établir dans ce quartier de l’Égypte,
au centre de toute la contrée, en face même d'Hermopolis, une cité nouvelle, remplissant
l’espace entier que laissent entre eux le fleuve et la montagne d’Arabie.
Ces raisons politiques me paroissent avoir déterminé Adrien, bien plus que sa
passion pour Antinous. Au reste, les statues qu’il lui érigea et dont il orna sa ville,
le nom qui fut imposé à celle-ci, l’espèce d’apothéose qui fut décernée à ce favori,
sont d’assez éclatans témoignages de l’affection du prince ( 3 ).
L ’empereur ne se borna pas à fonder une ville en Égypte ; il créa en même
temps une province, et Antinoé fut la capitale de ce nome nouveau. C’est lè
géographe Ptolémée qui nous a conservé ce fait assez extraordinaire ; mais aucune
médaille ne porte le nom du nome Antinoïte.
(1) .Voye^ ci-dessous, S- XV. -.qu’Adrien lui fit bâtir un temple magnifique à Mantinée
, (2) Voye^ Ammien Marcellin, et la Description d’Aby- en Arcadie , et qu’il établit en son honneur des jeux
dus, A. D. chap. X L solennels.
(3) Le Nain de Tillemont, d’après Spartien, rapporte
A. D . A 2