la marine militaire du grand seigneur, parce qu’il n’étoit pas aussi encombré que
l’autre, les chantiers de construction, l’arsenal et les magasins de la marine.
[66] Les marches, ou espèce d’escalier, dont parle Strabon, ne pouvoient être
répandues tout le long du grand port, à cause des autres établissemens, assez
étrangers à la marine, que nous verrons un peu après Y Heptastadh/m, en allant
vers l’est. Elles ne devoient pas être non plus sur les talus de ce môle lui-même,
ou du moins de sa partie entre les deux ponts, parce que c’étoit un chemin étroit,
qui ne pouvoit être obstrué par l’embarquement et le débarquement des voyageurs
et sur-tout des marchandises.
[67] Les rochers de 1 'Acroloclùas, quoiqu’usés à leur surface supérieure, et
n’arrêtant plus la lame, restent toujours sous l’eau, et l’entrée n’en est pas plus
facile qu’autrefois : au contraire, elle n’est que plus trompeuse par la disparition
de ces écueils; plus difficile pour nos vaisseaux modernes, qui tirent plus d’eau
que ceux des anciens; et l’intérieur du port n’en est que plus agité. Nous avons
vu comment la mer a formé l’atterrissement de l’Heptastadium ; on conçoit aussi
comment les flots, qui s’éteignent sur le rivage aplani et y brisent en même temps
avec force, amoncellent ces sables, qu’ils labourent pourtant sans cesse, et ont
tantôt formé une zone qui rétrécit le pourtour du port, et tantôt corrodé les constructions
résistantes qui le bordoient en quelques endroits. Il n’y a donc presque
pas de profondeur dans le port neuf et dans sa passe ; et les vagues énormes qui y
pénètrent facilement, font frapper les moindres vaisseaux sur le fond, ou les font
s’entre-choquer sur le rivage. Les roches qui s’y trouvent, coupent les câbles pendant
ces tempêtes: aussi les petits bâtimens qui sont obligés de se resserrer contre la
digue du phare, y sont exposés à des avaries terribles. Les navigateurs étrangers se
sont constamment plaints de ce danger. C’est là cependant que le gouvernement
Turc forçoitles bâtimens chrétiens à stationner,leur interdisant, sous un prétexte
superstitieux, l’entrée du port vieux, le seul où il y ait aujourd’hui quelque sûreté
dans les mauvais temps. On assure même que les Turcs, il y a une centaine d’années,
obligeoient les vaisseaux étrangers à mouiller et à décharger leurs marchandises
près du pharillon, sur la mauvaise digue du cap Lochias, et leur défendoient le
mouillage sous le château du phare. Quelle aveugle injustiee ! Quelle grossière
ignorance de leurs propres intérêts !
A présent que le préjugé à cet égard est vaincu, comme je l’ai dit ailleurs, il
reste à surmonter une autre difficulté; c’est l’existence des magasins, de la douane
e t des autres édifices modernes sur les bords du port neuf, qui obligera d assujettir,
jusqu’à un certain point, les navires à fréquenter le port neuf Quoi qu’il
en soit, on sent encore davantage maintenant combien sont grands les vices de
ce port, et que ce sont eux qui nous l’avoient fait abandonner pour le service
de toute notre marine, malgré les établissemens que nous y trouvions tout préparés
pour le commerce.
A R S E N A U X .
[68] L ’existence de quelques galeres ailleurs que dans la Méditerranée, et
meme d une petite flotte composée entièrement de navires de ce genre et entretenue
par la Suede sur la mer Baltique, ne renverse pas l’espèce de règle que
ja i établie, que la galere étoit le vaisseau primitif de la première de ces mers,
ni les conséquences que j en tire pour 1 emplacement des arsenaux et chantiers
d Alexandrie. Du reste, ce que Plutarque et quelques anciens nous disent des
galères à seize et même à quarante rangs de rames, ne détruit pas non plus ce
que j’ai avancé sur la convenance du bas-fond de l’esplanade du grand port pour
la construction des vaisseaux anciens : car Plutarque observe lui-même que cette
galere d Alexandrie a quarante bancs de rameurs ne pouvoit servir ; et l’on sait que
les galères a peu de rangs de rames et tirant peu d’eau étoient seules en usage.
Voyez les dessins de la colonne Trajane, et ce qui est dit des batailles navales
d Alexandrie dans la II.' partie^ Considérations générales et historiques ) .
A P O S T A S E S .
[69] L ’usage des darses ou bassins artificiels formés par des môles de maçonnerie
s est aussi conservé dans tous les ports de la Méditerranée. On y voit
encore des formes dont quelques-unes sont couvertes, pour mettre les ouvriers
et les bois à labri des injures de l’air. L ’esplanade, qui occupe aujourd’hui l’emplacement
des anciens navalia ou apostases, offroit aux Français fixés à Alexandrie
pendant 1 expédition une promenade habituelle et bien nécessaire, mais d’une
humidité extraordinaire et très-dangereuse. Cette rosée du soir étoit occasionnée
par les vents de mer qui régnent tout l’été, et par la chute rapide des vapeurs
abondantes qu’avoit produites le soleil brûlant de ces climats : elle se manifestoit
immédiatement après le coucher de cet astre. A peine avoit-on passé un moment
sur cette place, que tous les vêtemens étoient mouillés comme si l’on venoit
d essuyer une pluie assez forte. A u commencement de l’expédition, en frimaire
an 7 [décembre 1 7 9 8 ] , on y voyoit campée une grande partie de l’armée
Française. Elle s étoit fait de fort jolies tentes avec des feuilles de palmier. A u
fond de cette place est une grande plantation de dattiers, dont les bouquets
produisoient, avec l’ensemble des objets voisins et le camp lui-même, un effet
très-pittoresque ( 1). C ’est sur cette même place que, trois ans après, le général
Menou campa pendant si long-temps, et qu’il fit construire un nouveau front
de fortifications sur le bord de la mer, dans l’emplacement des navalia antiques,
pour couvrir son quartier général du côté du port neuf. A u bord de la mer en
face, la soude croît en grande quantité. On voit beaucoup de lézards et des salamandres
sur les pans des vieux murs environnans.
E M P O R I U M .
[70] Quelques personnes ont remarqué que le mot Emporium signifioit, non
pas un lieu consacré dans une ville à la vente de certains objets, mais une ville
même ou place de commerce. Cela est vrai en général ; mais ici, où Strabon indique
dans Alexandrie, ville qui étoit déjà une place de ce genre par rapport au
(1) Voyez Ê. M . pl. py et 98.
a . d . * D l