considération de l’intersection des deux rues par leur milieu environ est ici d’une
grande importance pour la détermination de l’emplacement bâti de 1 ancienne
ville, comme elle l’a été pour la fixation de ses limites est et ouest, et de la longueur
de l’autre grande rue : car, dans le sens de la largeur de la ville, la première
■moitié de la rue transversale aboutit bien ait grand port, et la seconde,aux bornes
■dès collines de décombres; et toutes les deux se coupent bien dans- le centre de
la masse bâtie de la cité antique. Le reste de la distance, depuis ces bornes des
monticules jusqu’aux ports-du fleuve, a toujours ete un terrain libre, quoique plus
couvert autrefois par le lac A'tiivcotis, distribue en jardins et parseme peut-etre
de quelques petits faubourgs dont il reste tres-peu de vestiges.
Je remarque à cette occasion que le second aqueduc, en partie découvert, a
dû servir aux Grecs et à ces faubourgs ou parties de la 'ville élargie, sous le Bas-
Empire, pour embarquer les marchandises et communiquer avec l’anse des ports
du fleuve, parce que les dix stades de largeur de la ville proprement dite n’attei-
gnoient pas ces ports. C est effectivement a partir de 1 extrémité de ces dix stades
que le canal commence à être transformé en aqueduc voûté, pour conduire l’eau
du Nil dans Alexandrie.
Phffon nous peint le bel effet de cette rue, lorsqu’il dit, dans ses Discours
contre Flaccus, qu’on rapportoit par le lac les armes saisies dans l’intérieur de
l’Égypte; qu’on les débarquoit aux ports du fleuve; que les chariots et les betes
de somme qui les transportoient formoient de longues files sur une ligne d’environ
dix stades, qui se trouvoient entre les ports du fleuve et l’arsenal, dans
le quartier des palais. Achillès Tatius fait aborder, le héros de son roman à
Alexandrie par le lac Mareotis, et conséquemment aux ports du fleuve. II
lui fait dire : « En entrant dans Alexandrie par la porte du Soleil, mes yeux
» furent agréablement frappés de la beauté de cette ville : car, depuis cette
» porte jusqu’à celle de la Lune, on-voyoit, de p a r t‘et d autre, des rangs-de
■ | colonnes ; et au milieu étoit une place traversée par une longue rue: » Elle étoit
donc plus large que la rue qui la traversoit [109]. On devine aisément le beau
coup-d’ceil que ces deux rues, qui se croisoient, devoient offrir, surtout à leur
intersection, par leur décoration et la perspective de leurs extrémités sur les
ports du lac et de la mer, et sur les portes des longs faubourgs de Nicopolis,
ou, au moins, de Necropolis. De cette intersection résultoit une grande place
que Tatius vient d’agrandir encore, et dont Diodore dit « quelle est dans le
„ milieu de la ville; qu’elle est admirable par sa forme et par sa grandeur : car,
» allant, par la communication de deux rues, d une porte à 1 autre de la ville, elle
» est, en ce cas, de la longueur de quarante stades sur la largeur d un arpent dans
» son milieu [1 10]. Alexandre, en traçant le plan de la ville, ajoute-t-il, eut
» attention que les vents du nord pussent enfiler toutes les rues [1 1 1 ], pour les
» rafraîchir; et, en effet, ces vents, ayant traversé toute la largeur de la Méditer-
» ranée, apportent dans Alexandrie une fraîcheur très-agréable et très-salutaire.
» II- l'enferma de murailles qui netoient pas moins admirables par leur extrême
» solidité que par leur étendue prodigieuse; car, comme elle est bornce au midi
» par le grand lac, et au septentrion par la mer même, les murs des deux autres
» côtés ne laissent en leur milieu qu’une entrée assez étroite, et qu’il est très-aisé de
»défendre. La ville ressemble, de ces deux cô tés,aune cuirasse ( 1 ) dont le bas
» vient aboutir de part et d’autre à une place (2) située dans le milieu [ 1 12 ] .»
Strabon, de qui Diodore a beaucoup emprunté dans ce passage, détaille davantage
sa description : il dit que la ville offre,des commodités de toute espèce; il
peint sa position entre deux nappes d’eau communiquant, pour le commerce,
aux deux continens opposés, l’Afrique et l’Europe; sa surface rafraîchie par les
vents étésiens et ayant la forme d’une chlamyde, &c.
Pline décrit plus spécialement, mais d’une manière encore trop concise et trop
obscure, la fonne de ce manteau appliquée au plan d’Alexandrie. « L’architecte
» lui donna, dit-il, la figure d’une chlamyde Macédonienne, dentelée dans son
v contour, et se prolongeant en pointe à droite et à gauche. » Plutarque vient
ensuite, et s’exprime ainsi : « Les architectes tracèrent une enceinte en forme de
» croissant, dont les deux bras longs et droits renfermoient tout l’espace compris
» dans cette enceinte, en forme d’un manteau à la macédonienne, qui va peu
» à peu en s’étrécissant également ( 3 ). »
■ On reconnoît d’abord à ces deux prolongemens en pointe, ou bras longs et
droits, les deux entrées étroites de Diodore de Sicile et l’extension des cotés, que
Strabon a figurée ci-dessus,/*, y y . Mais j’avoue que je ne vois que cet alongement
qui soit certain, et encore sans que la forme en soit bien déterminée. Le reste du
.contour l’est beaucoup moins. La chlamyde, soit qu’elle fût Grecque ou Macédonienne,
soit qu’elle fût civile ou militaire, étoit un carré long: on ne peut supposer
qu’elle doive être complètement développée ici ; car il faudroit inscrire entièrement
pe parallélogramme déployé dans une ellipse parfaite, pour trouver tous les arrondis-
semens et prolongemens qui sont indiqués par nos quatre auteurs; et alors pourquoi,
le quadrilatère étant ainsi totalement défiguré, auroit-on nommé la chlamyde comme
ayant servi de patron, plutôt qu’une ellipse alongée en pointe! Je crois donc que,
pour entendre ces descriptions, il faut supposer au manteau antique la forme qu’il
a lorsqu’il est posé sur le corps, comme on le voit dans toutes les figures antiques;
c’est-à-dire, agrafé sur la poitrine, les extrémités d’abord retroussées sur les bras et
tombant à terre, puis relevées en les tirant en longueur pour étendre les triangles
qu’elles forment, et appliquer le tout sur un plan. Dans cet état, ce vêtement a
une forme particulière qu’on peut désigner comme type caractéristique et remarquable
d’un objet d’imitation. C’est à peu près suivant cette figure que j’ai fait
-varier les contours de l’enceinte d’Alexandrie, en prenant la longueur et la largeur
de trente et de dix stades donnés pour limites, et m’astreignant à quelques autres
conditions de rigueur, comme de faire partager la ville en quatre parties égales
par ses deux rues principales, de suivre les mouvemens du terrain, et de conserver
dans l’enceinte les lieux importans qui ont dû nécessairement y être renfermés.
(1) L’abbé Terrasson a sans doute employé ce mot, (2) On verra plus tard qu’il faut également entendre
parce que la chlamyde dont il s’agit ici, et qui servoit aux ici une rue.
jeunes gens, aux voyageurs et aux chasseurs, étoit aussi (3) Traduction d’André Dacier.
un- manteau militaire propre à la défense.