
bientôt ses avantages, sous le rapport de la position et de la richesse territoriale.
Cette contrée, qui a considérablement souffert par l’irruption des sables et par la
réduction de l’étendue des terres cultivables, est encore, en effet, la plus productive
d’un pays qui lui-même passe pour être un des plus fertiles du monde. Sans
parler de ses cultures en froment, en riz , en trèfles et en légumes, ni de ses grands
bois de dattiers, le Fayoum renferme de superbes champs de lin, des campagnes
de roses et des oliviers. Il possède encore de l’indigo, du henneh, du carthame,
du coton, du sucre et du tabac : on y voit des espèces de bois de figuiers et
des haies dopuntias; beaucoup de pêchers, de pruniers, d’abricotiers et d’arbres
a fruit dans les jardins ; enfin, ce qui n’existe point ailleurs, des vignobles ( i ).
La fécondité de son territoire a de tout temps attiré l’attention des maîtres de
1 Egypte. Strabon, qui rapporte les. traditions les plus anciennes et qui décrit l’ctat
des choses de son temps, s’exprime sur le nome Arsinoïte comme s’il n’eût point
changé de temps immémorial. Pour trouver un état différent, il faudroit remonter
à une époque où il étoit entièrement privé du bienfait dès eaux du N il, c’est-à-
dire, à un temps excessivement reculé, et qui appartient au domaine de la géologie
plutôt qu’à celui de l’histoire : les réflexions des auteurs Arabes, et celles de Strabon
lui-même, sur l’état primitif du sol de cette province, doivent être reléguéès sans
doute parmi les conjectures plus ou moins hasardées ; aussi n’è'ri ferai-jè ici aucune
mention.
Laissant donc de côté tout ce qui tient à la géographie physique du Fayoum,
je ne traiterai de cette province que sous les rapports géographiques et historiques.
Son existence date du moment où les eaux du Nil y furent introduites, Il
falloit d’abord s’assurer que les eaux dérivées du fleuve, à un point supérieur de la
vallée et parvenues jusqu’à l’ouverture de la gorge, y avoient une pente suffisante;
qu’elles pouvoient de là pénétrer dans l’intérieur, et se répandre dans toutes les
parties du bassin : c’est ce qu’on reconnut sans doute par des nivellemens ; et il est
impossible d’en douter, quand on considère l’opération qui fut exécutée et quia
laissé des traces très-visibles. Le canal appelé aujourd’hui Bahr-Youscf, dans la
partie comprise entre la plaine d’Egypte et Arsinoé, est la dérivation même qui
fut pratiquée pour cette destination. Quand on en suit les bords, à partir du
coude qu’il fait pour entrer dans le Fayoum, on voit qu’il coule entre deux montagnes,
que son lit a été tracé sur la convexité du terrain qui est au fond de cette
gorge, et l’on reconnoît clairement que le rocher a été exploité et taillé dans ce
dessein. Du temps des.eaux basses-, on aperçoit plus distinctement encore,les vestiges
de ce- travail antique, dans toutes les parties dressées et aplanies ; travail qui
confirme bien les idées qu’on doit se faire sur les ouvrages d’art exécutés par les
anciens Égyptiens, pour faciliter l’irrigation du territoire et la navigation inté-
( l ) " II n’y a point au monde de pays plus fertile de la richesse de cette province ; par exemple r ceux qui
» que le F.ioum, plus coupé de canaux ée plus abondant attestent'qu’eüe rapporta, l’an 356, plus de six cent vingt
33 en toute sorte de production^ utiles», selon Ibn ai- mille dynârs, et en 585, six cent cinquante-deux mille
Kendy, cité par M. Et. Quatremère [ Mé/n. géogr. et sept cent trois dynârs. « Il est notoire, dit Al-Jîelrj',
hist. sur l'Egypte, c. pag; 109, tom. I.er ). Le mente » que le revenu journalier du Fioum s’élève à deux cents
auteur cite beaucoup d’autres témoignages qui- déposent » mithkals d’or. »
riéuçe. Il n est guere permis de croire qu un ouvrage aussi pénible que l’abaissement
du roc jusqu’à un niveau donné, eût été effectué ou même entrepris, à moins d’un
nivellement préalable. Quels que soient le prince qui ait exécuté cette grande
opération, et le temps où elle a été faite, on ne peut la méconnoître aujourd’hui,
et l’état actuel des lieux est un monument qui parle au défaut de Fhistoiré.
Je ne répéterai pas ici ce que j’ai dit du Fayoum, dans un précédent mémoire sur
le lac de Moerrs (i); je rapporterai seulement un passage de Strabon qu’on pour-
roit presque donner pour une description récente du pays, ce Cette préfecture,
» dit-il, surpasse toutes les autres par son aspect, sa fertilité et sa culture; c’est la
» seule qui produise de bonnes olives; et avec du soin, l’on y recueille de l’huile
» excellente : elle fournit aussi beaucoup de vin , de bons fruits, dé blé, de légumes
» et de grains de toute espèce (2). » Je ne décrirai pas non plus la position géographique,
de cette province ; on sait qu’elle est située à environ quatre lieues
et demie àil’ouest-sud-ouest de Beny-Soueyf: sa distance du Kaireà Tâmyeh, point
qui est le plus au nord , est d’environ quinze lieues et demie.
Cette ligne se rapproche d’une route qu’on a coutume de suivre quand on veut
prendre le chemin le plus direct. A moitié chemin de Gyzeh et de Beny-Soueyf,
on se dirige vers la Libye ; et au lieu appelé Ateimnch, l’on entre dans le désert,
après avoir traversé sur un pont le canal occidental : on laisse à gauche les deux
pyramides de Metânyeh ; de là, l’on marche au sud-ouest, et, après cinq lieues et
demie, on arrive à Tâmyeh, à l’extrémité orientale du lac appelé Birket el-Qcroun.
Ce lac occupe tout le nord -de la province ; il baigne le pied de la montagne
Libyque, se dirige de l’est à l’ouest et ensuite à l’ouest-sud-ouest, dans une longueur
de onze lieues; en face du Qasr-Qeroun, temple Égyptien, il se porte encore
à l’occident. Vers le midi, la limite actuelle du lac est à peu près parallèle à son
contour septentrional. Sa circonférence est aujourd’hui d’environ vingt-cinq lieùes;
mais il a considérablement perdu de sa profondeur depuis que le canal de Joseph
n apporte plus que très-peu d’eau dans le Fayoum, comparativement à ce qu’il en
amenoit autrefois. Or, en baissant de hauteur, le lac a encore plus diminué de superficie.
Autrefois il s'étendoit à deux lieues plus au midi; il y a même peu de temps que
sa rive est aussi reculée vers le nord. En effet, en 1673, Vansleb s’embarqua sur le
lac, au village de Senhour : ce- village est aujourd’hui fort élevé au-dessus de tout le
terrain environnant. Il en est de même de ceux de Terseh, Abou-Keseh et Abchouây
el-Roummân.- Etant placé à Senhour sur une élévation, et regardant vers le nord,
jembrassois de l’oeil un espace considérable entre lé village et la limite actuelle
du lac ; et tout cet espace sembloit, en quelque sorte, abandonné par les eaux
depuis une -époque récente. II est entièrement inculte , couvert de sable, de lagunes,
de croûtes salines, ou de quelques arbustes d’une végétation sans force (3).
Aucune habitation n’y est établie, et il seroit impossible d’y pratiquer une seule
çulture avantageuse. Il n’y a donc pas le moindre doute que les bords du lac ne
fussent autrefois beaucoup plus avancés vers le midi. La ligne qu’ils suivoient est
< (O /Oyez Antiq. Mém. tom. / , pag. 80 et suiv. (3) La plupart sont des tamariscs.
(2) Scrab. Geogr. lib. x v i i , pag. 809.