
plus haut : peut-être aussi est-ce l’effet du violent incendie qui, allumé par les
ordres de Camhyse, ravagea Héliopolis, et endommagea beaucoup les obélisques
au dire de Strabon.
Ces monumens étoient' en grand nombre à Héliopolis ( i ) : plusieurs furent
transportés à Rome, sous les empereurs, et ils ornent encore aujourd’hui l’ancienne
capitale du monde ; les autres, à l’exception de celui que nous venons de décrire
disparurent successivement. Le dernier qui fut renversé, le fut, dans le sixième
siècle de l’hégire, par les Arabes, qu’excitoit sans doute l’espoir de trouver sous sa
base des trésors enfouis, espoir qui est encore aujourd’hui la cause la plus active
de la destruction des anciens monumens. Nous sommes portés à croire qu’après
avoir renversé cet obélisque, les Arabes virent leur avarice entièrement trompée.
L ’on supposeroit même, d’après quelques auteurs de leur nation (2), qu’il fut
trouvé sous sa base deux cents qantâr [ quatre-vingt-neuf kilogrammes] d’airain,
ce n’est certainement pas là les trésors que les dévastateurs espéroient: Quant
à ces statues d’hommes dont les mêmes écrivains prétendent quetoient surmontés
les obélisques d Héliopolis, statues d’où découloit constamment un filet d’eau qui
natteignoit jamais la terre, on reconnoît bien là cette facilité des Orientaux à
admèttre sans examen les contes populaires les moins croyables.
M. de Hammer, cité par M. de Sacy dans sa traduction d’Abd-Allatif, prétend,
à la vérité, avoir vu dé l’eau suinter de l’obélisque d’Héliopolis à environ un
tiers de sa hauteur; mais on remarquera qu’il étoit à quarante pas de ce monument,
dont le pied se trouvoit alors au milieu d’une mare formée par l’inondation du
Nil, et que des reflets de lumière sur la surface brillante et colorée du granit, ou
quelque erreur d’optique occasionnée par la raréfaction de l’a ir, auront pu le
tromper : peut-être aussi étoit-il persuadé d’avance, par la lecture des auteurs
Arabes, que cette source existoit; et quand l’esprit est prévenu, les yeux se trompent
facilement.
L obélisque que nous avons vu à Héliopolis, porte les marques des tentatives
que l’on a faites pour le renverser. Un des angles solides de la partie qui est
enterree, a ete brisé et enlevé, de sorte que l’obélisque pose sur une surface
moindre que celle que détermine l’inclinaison de ses faces. Plusieurs autres
cassures qui existent également dans la partie inférièüre de ce monument, font
craindre qu’il ne soit bien près du moment de sa chute ; alors il ne réstera plus
rien de cette ville célèbre : mais les sciences, mais les lettres, qui y brillèrent d’un
si vif éclat, en conserveront le souvenir.
Les habitans d’Héliopolis passoient pour les plus instruits de l’Égypte (3) ; c’est
dans le collège de leurs prêtres que d’illustres étrangers,Eudoxe, Platon, Hérodote,
vinrent étudier l’astronomie, là philosophie, l’histoire, toute cette sagesse des
Egyptiens si vantée dans l’antiquité et jusque dans nos livres sacrés. Ce collège,
et ceux de Thèbes et de Memphis, étoient les seuls qui députassent de leurs
(1) Plin. Hist. nat. Iib. x x x v i , cap. 8 et 9.
(2) EI-Maqryzy, Ebn-Khordadyeh, Mohammed-ebn-al-rahym, A ’bd-el-Rachyd-el-Bakouy, &c.
(3) Herodot. Hist. Iib. i l , §. 3. *
membres à Thèbes, pour y former le tribunal des Trente , cour suprême de
justice que l’on peut comparer, dit Diodore, à l’aréopage d’Athènes ou au sénat
de Lacédémone.
C’est en vain cependant que nous essaierions de tracer l'histoire d’Héliopolis,
d’en donner même une esquisse succincte ; nous pouvons seulement, à travers les’
ténèbres de l’antiquité, en recueillir^quelques traits épars.
Le Soleil avoit à Héliojfolis un. temple remarquable, où, chaque année, l’on
célébroit en son honneur une fêté quî étoit la quatrième dans l’ordre des Vêtes
religieuses de l’Egypte (i ). On y nourrissoit le boeuf Mnevis, symbole du Soleil,
et il y étoit, comme le boeuf Apis à Memphis, l’objet d’un culte particulier.
C est aussi dans ce temple qu’au dire des Égyptiens j le phénix, prenant son vol
de 1 Orient après une vie de 14 61 ans, venoit mourir sur un bûcher de myrrhe
et d encens, et renaître de ses cendres (2); fable ingénieuse, qui nous indique
les n-avaux des prêtres astronomes d’Héliopolis, pour concilier le calcul du temps
avec la marche du soleil, ainsi que la période de 1460 ans, nommée année de T/iot
m période sothique, au bout de laquelle i’année vague des Égyptiens de 365 jours,
en sacccudant avec leur annee astronomique de 36y jours 6 heures, devoit
ramener les mêmes saisons (3). Cette manière allégorique de parler des phénomènes
celestes fut la source de la plupart des superstitions Égyptiennes : le
peuple croyoit aveuglément tout ce que disoient les prêtres; et les sermens les
plus redoutables empêchoient les personnes initiées aux mystères d’en dévoiler
la moindre chose. On ne doit donc point être* surpris, si des étrangers ont
souvent admis comme des faits incontestables des fables répétées avec tout l’accent
de la vérité : aussi plusieurs Pères de l’Église crurent-ils à la résurrection du
phénix, au point de la citer comme une preuve de la résurrection des corps
humains.
Des les premiers temps de la monarchie Égyptienne, Héliopolis figure parmi
ses villes les plus importantes. Si nous en croyons le Pentateuque, Joseph fils
de Jacob auroit épousé Aseneth, fille de Putiphar, prêtre du Soleil à Héliopolis;
et il est à remarquer que ce nom de Putiphar ou Phoubfera signifioit en
égyptien, grand prêtre du Soleil. Ce n’est pas, au surplus, la seule fois que les
Hébreux, en employant des mots étrangers à leur langue, ont pris des titres pour
des noms propres.
Dans la traduction de la Bible par les Septante, il est dit qu’Héliopolis fut
bâtie par les Hébreux au temps de leur captivité. Eusèbe observe avec raison
que cela n est point exact, puisque cette ville existoit déjà lorsque Jacob passa en
Egypte ; mais, comme cette objection pourroit être faite à l’auteur même du texte
Hebreu, relativement a la ville de Ramessès, peut-être que par bâtir l’on ne doit
entendre ici que fortifier, élever de grands monumens, toutes choses qui changent
(1) Herodot. Hist. Iib. I l , §. 59. 6 heures ou de 365 jours mais de 365 jours 242245
(2) Herodot, Hist. Iib. il. — Tacit. Annal, Iib. VI.— millionièmes d’heure, la période sothique ne ramenoit
in. Hist. nat. Iib. x. pas exactement les mêmes saisons : Terreur étoit en
(3) L’année n’étant point précisément de 365 jours moins d’environ onze jours.