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ancien de tous fut celui de Vulcain ; c’est à lui que le fondateur de Memphis
éleva un temple, et c’est ce temple que tous les souverains s’attachèrent
à étendre, à orner de leurs dons et de leurs plus grands ouvrages. Cette
constance à enrichir le même édifice persévéra sans interruption ; elle dura
presque autant que Memphis même, du moins jusqu’à la conquête des Perses.
Dans l’origine, le dieu Phtha ou Phthas, le Vulcain des Egyptiens, n étoit pas,
Selon le sentiment de Jablonski ( t ) , de Cudworth, de Pauw, et de plusieurs sa-
vans mythologues, le symbole du feu matériel; c’étoit celui du feu divin, de l’esprit
infini, qui préside l’univers et coordonne toutes choses. Le mot <p9a.ç, en
qobte (dit La Croze), veut dire ordinator, sive constitutor. Si j en juge par
un monument assez curieux d’antiquité, dont je possède l’empreinte, on peut lui
attribuer un sens encore plus étendu, c’est-à-dire, quiyidet, qui audit omnia. C’est
une jolie pierre gravée, un lapis lazuli, dans laquelle le mot<B0A est placé entre
un oeil et une oreille très-finement sculptée; de l’autre côté est un scarabée. Phtha
étoit le dieu suprême, celui auquel tous les autres obéissoient. Jablonski voit dans
ce dieu le ô'eo'«l-yxir/Aïoi, et le principe hermaphrodite d’Horapollon (2), l’esprit
divin qui seul avoit tout créé, selon Thalès (3) ; doctrine qui avoit été empruntée
aux Égyptiens par ce philosophe (4 ), et par Orphée avant lui. La différence que
présente le témoignage d’Eusèbe, c’est que Phtha étoit seulement né du Cneyli
des Égyptiens, l’architecte de l’univers (y ) ; mais Jamblique dit positivement que
les Égyptiens appellent Plitlia l’esprit auteur de toutes choses (6). Enfin Herma-
pion, dans Ammien Marcellin, appelle Vulcain le père’ des dieux (7). Ce fut aussi
le premier des rois en Égypte (ainsi parle Diodore de Sicile (8), d’après le rapport
des prêtres), et il ouvre en effet la première dynastie de Manéthon; mais
il s’agit du règne des dieux, c’est-à-dire, de règnes fabuleux, et Manéthon l’explique
en disant : I l ny a point de temps pour Vulcain, sa lumière est de tous les lus-
tans [il éclaire jour et nuit} : 'H<pa.iir%v yyjwç oux. idliv ’ <Ttà to vuicro'ç ny} i/J-tçyi tttrrov
<pa.tven (9)-
Selon Diodore, Vulcain avoit découvert le feu, et ce bienfait le plaça sur le
trône d’Égypte (10) : la fable qu’il rapporte étoit évidemment une invention des
temps récens, qui ne prouve qu’une chose, c’est que l’ancienne doctrine dégénéra
avec le temps, et que Phtha ne fut plus que le symbole du feu matériel, d’où est
venu le dieu Vulcain de lamythologie Grecque, et c’est en ce sens seulement qu’ona
pu dire que Phtha étoit le Vulcain des Égyptiens. On n’en doit pas moins conclure
qu’à une époque très-ancienne, et peut-être les premiers sur la terre, les Égyptiens
( 1 ) Pantheon Ægypt'tac. i . re partie, pages 38 et suivantes.
J’emprunte à cet auteur les citations suivantes,'
et je les rapproche seulement pour en rendre la conséquence
plus sensible.
(2) Lib. 1 , cap. x ill .
(3) Deuin autem eam mentent quce ex aqua cuncta
Jingeret ( Cic. De natura deorum, lib. I , cap. x ).
(4 ) Simplicius in Aristotel. de Coelo, lib. II. Je passe
sous silence le mythe de Yoeuf mystérieux d’où l’univers
entier est sorti, selon la doctrine Egyptienne et
Orphique ; ce n’est pas ici une dissertation sur Phtha.
(5) Lib. n i , cap. 11. Mais ces mots de Julius Fir-
micus rétablissent la concordance : Tu omnium pattr
pari ter ac mater : lu tibi pater ac filins ( præf. ad lib. V
Mathes. ).
(6) De rnyster. Ægypt. sect. I l l , cap. v in .
(7) Lib. x v i l , traduction de l’obélisque d’Hermapion.
(8) Lib. i r cap. x ill.
(9) Apud Synceli. pag. 51.
(10) Lib. 1, cap. x ill.
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eurent I idée d’une ame universelle, d’un feu immatériel et divin, esprit créateur
et infini, ordonnant et gouvernant toutes choses.
Mais, pendant qu’à Thèbes le culte du grand'dieu Ammon avoit une forme
sensible sous limage du beher, Memphis adoroit le grand dieu Phtha sans
aucun symbole matériel; éu moins aucune histoire, aucun témoignage ne nous
en a conservé le souvenir. Les rois embeliissoient son temple, ils élevoient
des propylées, et ils érigeôient au-devant des statues; mais ces figures n’étoient
point celles des dieux. Ce sont celles de Sésostris, de sa femme et de ses enfans
qui etoient devant les propylées du midi : ceux du nord étoient ornés des figures'
de ¿Eté et de l ’Hiver. Ce qui prouve que les statues élevées par les princes
n etoient point consacrées à un dieu, c’est que Darius voulut faire élever la sienne
et que les prêtres eurent le courage de s’y opposer, parce qu’il n’avoit point
surpasse le grand Sésostris. On ignore donc absolument quel fût le symbole
sensible et visible du culte adressé à Phtha par les habitans de Memphis.
L histoire des monumens qu’ils élevèrent aux dieux confirme l’antériorité et la
prééminence constante du culte de Phtha. En effet, on ne voit paraître le monument
du dieu Apis, ou du moins le péristyle qui lui étoit consacré, que sous
Psammetique ( i ). C ’étoit, ditStrabon, Je même dieu qu’Osiris (2 ) , et son temple
etoit attenant a celui de Vulcain ; on y révéroit le boeuf ou plutôt le taureau sacré.
Sans doute sous Amasis ce culte étoit dans toute sa splendeur ; cependant on voit
ce prince élever encore trois statues devant le temple de Phtha, et même une
qui étoit presque double en dimension de celles de Sésostris. Il éleva aussi à Isis
un temple magnifique. Ainsi nous devons regarder, malgré toute sa célébrité, le
culte d Apis comme étant d’une origine plus moderne et d’une importance beaucoup
moindre pour les Memphites que celui de Phtha. Ce qui a contribué, selon
nous, à sa renommée extraordinaire, ce sont ses pompes, ses fêtes, ses oracles,
la coïncidence de l’époque où il fïorissoit avec la présence des Hébreux en Égypte!
lesiviolences de Cambyse, les superstitions absurdes dont il fut accompagné par la
suite des temps, et que les écrivains Romains, et depuis les Pères de l’Église, ont
signalées avec tant de force, comme une des plus honteuses aberrations de l’esprit
humain; enfin les séditions qui éclatoient à son occasion, et l’empressement des
empereurs pour aller à Memphis visiter le taureau sacré. Ce n’est pas que je pense
que de pareilles erreurs aient présidé à l’établissement même du culte d’Apis- ce
fct l’ouvrage du temps et l’effet de la destruction des principes de la philosophie
Egyptienne, alors que l’ambition des conquêtes eut relâché les liens de l’ancienne
discipline, et que l’introduction des étrangers eut sapé les lois et les institutions
On ne peut admettre avec Jablonski que toute l’Égypte révéroit le dieu Apis-
¡assertion de Pomponius Mêla ne peut servir à le prouver, ni même les passages
ien et de Lucien où ce qui est dit des Égyptiens s’applique particulièrement
aux habitans de Memphis. Quoi qu'il en soit, il étoit le même qu’Osiris, selon
le témoignage des prêtres, rapporté par Diodore de Sicile (3) et Strabon (4),
( 1 ) Herod. Hist. lib. n , cap. C L i i i .
(2) Lib. x v n , pag. 807.
A. D.
( 3 ) Lib. 1, cap. xxi.
(4) Lib. x v n , pag. 807.
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