Strabon appelle cette digue ou levée une espèce de pont qui se dirigcoit du
continent vers la partie occidentale de I île Pharos. Quelques auteurs recomman-
dables, et notamment le judicieux d’Anville, ont pensé qu’il y avoit erreur dans
ce passage, et que Strabon auroit dû dire que XHeptastadium joignoit l’île à l’occident
de la tour du phare, et non pas à l ’extrémité occidentale de l’île. Mais ce
n’est point ce que dit Strabon. Dirigé vers la partie occidentale, ne signifie pas
que le môle touchait cette extrémité. A u reste, la position du bourg du Phare et des
autres monticules plus rapprochés de la ville (monticules qui prouvent que lîle
formoit, de ce côté, un crochet ou pointe occidentale par rapport au cap oriental
de la tour) permettroit encore de supposer, comme d’Anville, que l’Heptastadium
joignoit l’île en ce point auquel nous rattacherons effectivement ce môle. Mais,
dans tous les cas, on ne pourra jamais supposer à cette digue une direction contraire
à celle que j’ai adoptée. Toutes les autorités que nous avons vues et celles
que je citerai encore concernant les deux principaux ports d’Alexandrie, l’île
Pharos et leurs alentours, enfin la description de XHeptastadium lui-même, seront
d’accord pour confirmer cette direction [ 48 ].
L e même Strabon dit, en parlant de ces deux ports : « Ifs se prolongent chacun
» dans l’enfoncement /ormé par l’Heptastadium, chaussée de sept stades de lon-
gueur, crui les sépare [49]* 33 H explique le sens de la dénomination de pont
qu’il a donnée à la digue, en ajoutant « qu elle laissoit seulement deux entrées
r> navigables du grand port dans l’Eunoste. « On voit, par les détails de la guerre
de César, que ces deux passages étoient, l’un, à une extrémité du môle, près de
la ville d’Alexandrie, et l’autre, à l’extrémité opposée, près de l’île Pharos. Cette
communication avoit l’avantage de permettre aux vaisseaux l'entrée et la sortie
d’Alexandrie presque en tout temps, vu la différence des vents propres aux passages
des deux ports principaux. Remarquez cependant que Strabon ne définit ces
deux ouvertures que comme donnant principalement entrée dans le port d’Eu-
noste. C e s t parce que le grand port étoit alors le plus important, le port par excellence,
et que l’Eunoste n’étoit considéré que comme une de ses dépendances. Il
paroît encore, d’après cela, qu’on entroit ordinairement dans le port d’Eunoste en
passant d’abord par le grand port, à cause de la difficulté des passes du premier,
dont Strabon nous a avertis. Ces deux canaux navigables, contmue-t-il, étoient
joints par un pont; c’est-à-dire qu’on avoit jeté sur ces ouvertures, pratiquées
dans toute la largeur de la base du môle, et, par conséquent, aussi longues que
cette largeur, une voûte plus étroite que le corps de la digue, ou même que son
dessus, puisqu’il regarde cette espèce de pont comme un ouvrage distinct du môle.
D ’autres auteurs de l’antiquité appellent aussi XHeptastadium un pont. Effectivement,
les massifs du milieu et des extrémités de cette digue poùvoient être considérés,
l’un, comme une très-large pile intermédiaire, et les autres, comme des
culées [50].
Nous verrons, dans la Guerre d ‘Alexandrie, que Jules César fit fortifier une espece
de château qui étoit à la tête du pont le plus proche de l’île Pharos. Hirtius ajoute
que la tête de l’autre pont, près de la ville, étoit mieux fortifiée, et quil y aVoit
un chateau dont les Alexandrins augmentèrent, pendant la guerre, les fortifications
et les machines. Ce mot près détermine assez bien la position de l’arche et
du fort voisin de la ville; elles deux autres doivent naturellement se placer avec
symetrie a 1 autre bout de 1 Heptastade. On reconnoîtra donc que les ruines de ce
fort, du côté de l’île, coïncident avec le principal des deux ou trois monticules
qui sont à l’ouest de celui qui marque l’emplacement du bourg de Pharos. A u
reste, on ne voit plus d’autres vestiges de ces châteaux, ni, à plus forte raison, de
ces ponts : il y a seulement un fort Turc aux environs, et sur le bord du port
vieux, pour remplacer sans doute les anciennes défenses.
« La masse entière de XHeptastadium, ajoute Strabon dans sa description,
» étoit non-seulement un pont de communication avec l’île Pharos, mais un
« aqueduc, lorsque cette île étoit habitée. » Voilà donc un nouvel objet d’utilité
de ce grand ouvrage, et l’explication qu’il nous restoit à trouver de l’existence
d’une population dans l’île. J’en avois déjà fait remarquer les preuves dans les catacombes,
les citernes et les vestiges de maçonnerie qui la bordent. Au reste, il
paroît, par les expressions de Strabon, que l’aqueduc lui-même de XHeptastadium
souffrit beaucoup de la dévastation opérée par César et de la dépopulation de
l’île , ou fut peut-être complètement ruiné ; mais nous avons vu qu’il devoit avoir
été rétabli du temps de Pline [51].
Les Commentaires de César et d’Hirtius nous donnent peu d’éclaircissemens sur
le genre de construction et le reste de la forme du môle : ils disent seulement,
d’une manière expresse, que sinon sa masse, du moins le chemin pratiqué au-
dessus étoit étroit. Mais ce n’est vraisemblablement pas dans un sens absolu qu’ils
l’entendent, et c’est seulement par rapport à la gêne des évolutions militaires qu’il
s’agissoit de faire sur la crête; car ce chemin devoit être assez large pour faciliter
Je passage très-actif des voitures et des piétons, et il avoit à ses extrémités deux
ponts d’une largeur suffisante pour ce service, et vraisemblablement déjà plus
étroits que le reste de la chaussée. Nous n’avons pas de renseignemens plus précis
sur l’épaisseur de l’Heptastade : on voit seulement qu’elle devoit être fort grande,
et les talus très-inclinés et remplis d’aspérités, puisque les troupes de César et les
Alexandrins les parcouroient si facilement [ y 2 ]. Voyons maintenant la fameuse
longueur de cet ouvrage.
Cette mesure, quoique bien définie par le nom même du môle, a fait naître
beaucoup de commentaires qui nous deviennent inutiles. César, de Bello civili, lui
donne neuf cents pas, qui s’accordent parfaitement avec sept stades Olympiques
de quatre-vingt-quinze toises chacun, et aucune objection solide n’exige que nous
cherchions un autre stade [53]. Ayant déterminé à peu près la direction dont
1 Heptastadium ne pouvoit sortir, nous n’aurons plus qu’à fixer son point de départ
et appliquer sa longueur sur le terrain, pour trouver son véritable emplacement.
Je porte donc les sept stades, suivant la ligne nord-ouest, entre le mur d’enceinte
Arabe, à peu près vis-à-vis de la butte de Rhacotis, et les premiers des deux ou
trois gros monticules de 1 île Pharos. Ce parti satisfait à toutes les conditions : il
rend au grand port tout son ancien enfoncement et ses autres avantages tels que