Or cette manière de lire Homère n’est-elle pas aussi une explication de l’exactitude
de son passage! Ne peut-on pas entendre, en effet, que le Delta formoit la
terre- d’Egypte proprement dite, et que le territoire d’Alexandrie, qui en étoit
séparé par des déserts (et même par la mer ou de vastes lacs), et qui étoit d’une
nature toute différente, ne faisoit pas essentiellement partie de ce pays cultivé!
Quand je traiterai de l’origine du lac Mareotis et du sol qui l’environnoit au
loin, on verra qu’ils ont pu être formés par la même loi générale que le Delta
et le reste de l’Egypte; par conséquent, la distance d’Homère ou de Pline, si on
veut l’entendre par rapport au continent Égyptien en général, pouvoit, dans
un temps très-reculé, se prendre directement en face de l’île Pharos jusqu’au-delà
du fond sud-est actuel du lac Mareotis ( 1 ).
[28] On peut comparer la forme ancienne de l’île avec celle de la presqu’île
actuelle dans les trois planches que nous suivons continuellement, 84, j i et /¡.2.
Il faut bien que le prolongement naturel de cette île vers la tour du phare par
une chaîne de rochers ait existé, et que le prolongement artificiel qu’on voit aujourd’hui
ait été un médiocre ouvrage dans l’antiquité ( si toutefois il y en avoît
alors un de cette espèce), puisque les auteurs n’en parlent pas, ce qu’ils n’auroient
pas manqué de faire, si c’eût été une grande construction; puisque, d’un autre
côté, l’on sait que la tour antique du phare étoit sur un rocher île, et que tous
les auteurs indiquent que le môle de \Heptastadmm, que nous verrons bientôt,
aboudssoit du continent au corps de la grande île Pharos proprement dite.
[ 2 9 ] Diodore écrivoit à Rome sous Auguste, et il a vécu sous Jules César. Il
dit lui-même qu'ilétoit en Egypte du vivant de Ptolémée-Aulètes. Son témoignage
sera donc d’un très-grand poids dans tout ce Mémoire, et particulièrement dans
la recherche qui nous occupe : ca r, quoique cet auteur aime beaucoup les récits
fabuleux, on remarquera qu’il n’est point question ici de détails de cette nature;
il s’agit seulement du sens que doit avoir donné à ses expressions un homme qui
avoit vu le port d’Alexandrie. Sous ce rapport et sous celui des temps, je rangerai
toujours Diodore avec Jules César, Hirtius et Strabon. D ép lu s , cet historien a
l’avantage, relativement aux faits plus anciens, d’avoir joint à ses propres observations
des renseignemens puisés dans Hécatée de Milet, qui avoit voyagé en
Egypte sous le règne de Darius fils d’Hystaspe, peu après Cambyse et bien avant
Hérodote.
Nous verrons encore par la citation des paroles mêmes d’Hirtius, « que l’île
» du Phare opposée à Alexandrie forme le port» ( c’est-à-dire, le port'par excellence,
ou le port neuf actuel ) ; que, de quelque manière qu’on dirige la digue qui
la séparoit de l’Eunoste ( \Heptastadium ), il falloit, pour que cette expression
forme i\it juste, que le corps de l’île eût au moins un prolongement étroit tel que
je le suppose.
[30] La mer a gagné de tous côtés sur l’île Pharos, excepté celui du midi,
vers le fort Turc. Les restes de maçonnerie qu’elle couvre maintenant dans
tout le pourtour de l’île, prouvent la destruction continuelle de la côte.
(i) Voye% la carte hydrographique, vol. I , pl. 10.
On peut parcourir dans toute son étendue J’écueil à fleur d’eau qui borde, à
vingt-cinq ou trente pas de distance, le contour du cap des Figuiers. Cet écueil
est élevé de quelques pieds au-dessus de l’eau. C ’est un rocher de grès calcaire
précisément de la même nature que ceux qui forment le noyau de l’île : sa partie
la plus tendre ayant été réduite en sable par l’action des eaux, il ne reste que le
squelette, en quelque sorte, de la portion de l’île qui s’avançoit jusque là, et
peut-être encore plus loin. La preuve que ce banc servoit autrefois de base à
une partie de l’île, sur laquelle il èxistoit même des habitations, se tire aisément
des restes de citernes taillées dans le roc, que l’on y trouve encore revêtues de
leur enduit. Nous avons vu qu’il y avoit aussi de ces citernes sur le côté occidental
de l’île.
On voit aussi, dans la petite anse sablonneuse des pirates Pharites, beaucoup
de végétaux marins-desséches, et qui marquent par un gros bourrelet la laisse de
la mer; ce qui prouve encore que les courans et les vents régnans qui longent
cette côte à peu près de l’ouest à l’est, et même les vagues qui usent les récifs
placés en avant, parce qu’ils leur présentent de la résistance, tendent sans cesse à
combler dans cette partie les enfoncemens de la côte. Cette tendance concourra
p nous expliquer comment ce dernier espace reculé, entre le prolongement de
1 île et le sol de la ville antique, s’est facilement-rempli. On a pu même y établir
un grand cimetière Turc et beaucoup de maisons.
Il y a encore un moulin à vent sur la plage basse et sablonneuse de la petite
anse. Un établissement de cette espèce en Egypte est une chose remarquable,
mais moins à Alexandrie, qui est une ville plus. Européenne que les autres. Les
Français en ont établi un seul dans l’île de Roudah, près du Kaire. Celui
d’Alexandrie a huit ailes , qui forment une espèce de plan circulaire offert
presque tout entier à l’action du vent, dont une moindre, partie se trouve ainsi
perdue.
Tout Je sol de l’île, son extrémité rocailleuse et aujourd’hui couverte de décombres,
et celle qui se lie à la ville moderne, ont donc toujours formé une plage
basse, blanchâtre, couverte d’une petite quantité de sable très-peu fertile, mais
rendu productif à force d’art par les anciens Alexandrins. Maintenant même ce
terrain, presque entièrement abandonné, paroît très-bien convenir, par la réverbération
qui s’y opère de la chaleur du soleil, à la culture de quelques figuiers
que nous y trouvâmes. Leur végétation étoit très-active. On les enveloppoit d’une
palissade de joncs et de branches de palmier, qui les préservoit des vents de mer,
des coups de soleil et du pillage : ils recevoient par le haut les pluies et les rosées
abondantes de l’été. Quelques voyageurs ont vu même semer une petite quantité
de blé sur le peu de terre végétale qu’on trouve dans cette partie. Les figuiers
ont été détruits dans les dernières guerres; mais il sera aisé de juger du parti que
les anciens avoient tiré de la végétation pour l’embellissement de leurs maisons
de Pharos par ce qu’ils avoient fait autour d’Alexandrie.
C ’est immédiatement sous cette couche meuble que se trouve la roche tendre,
calcaire, et semblable à celle de la côte. On remarque pendant l’hiver, dans une
A. D . * B .