mais de toute la Thébaïde, étoit ie théâtre de ces combats toujours renaissans,
où l’agriculture devoit perdre plus de terrain quelle n’en gagnoit (i). Un ancien
bras du Nil coulant inégalement le long de la montagne Libyque, à sec peut-être
pendant une partie de l’année, sur-tout pendant le printemps, saison où à-la-fois
les eaux sont le plus basses et les vents de Libye le plus impétueux; une branche
aussi foible arrêtoit mal l’irruption des sables qui débouchoieftt par la gorge du
Fayoum. C ’est alors, je pense, que l’on creusa et que l’on élargit davantage cette
grande dérivation, soit à son embouchure, soit dans tout son cours. Alors l’eau
y coula toute l’année, en toute saison et en abondance, et la profondeur du canal
devintpour les sables un obstacle impossible, à franchir. Ce fut le triomphe d’Her-
cule, et la ville capitale, favorisée par ce grand bienfait, lui éleva des autels. Le
surnom àe grande que porte cette Heracleopolis, et qui la distingue des deux autres,
annonce l’importance des changemens qui survinrent au territoire ; désormais garanties
d’un fléau, et gagnant tous les jours en fertilité, cette immense campagne
. et fa préfecture toute entière ne pouvoient, dans FesprnSlle la religion Égyptienne
, adresser mieux leurs hommages qu’à celui qu’on croyoit l’auteur du bienfait.
Comment les habitans de cette contrée conçurent - ils de l’aversion pour les,
crocodiles, qu’honoroient les Arsinoïtes leurs voisins! Cette aversion s’expliquera
pour le lecteur, s’il veut s’arrêter à l’époque où l’on creusa un canal pour arroser
le nome Arsinoïte. Pendant que les Héracléotes jouissoient du bénéfice de la grande
branche dont je viens de parler, le bassin du Fayoum étoit livré aux sables du désert,
condamné à une stérilité absolue. L’industrie croissante des Égyptiens alloit
toujours faisant de nouvelles conquêtes sur les sables, et le domaine de Typhon
recuioit à mesure que gagnoit le domaine d’Osiris. Un roi, à jamais fameux, imagina
de creuser la gorge du Fayoum jusqu’au niveau de la branche qui la baignoit. Par
un travail gigantesque, on vint à bout d’y introduire les eaux, et elles se répandirent
dans cette région sèche et aride, où l’on ne connoissoit, de temps immémorial,
que les eaux salées qui tomboient de la montagne dans le lac du nord. Maître des
eaux du fleuve, Moeris les partagea entre les parties du sol les plus susceptibles de
la culture, par de vastes branches qui font encore aujourd’hui l’admiration des
voyageurs, et il conduisit l’excédant dans ce grand réceptacle.
C est là que je trouve l’explication des sentimens que les Héracléotes conçurent
contre les Arsinoïtes. Cette copieuse saignée faite à leur canal Herculéen diminua
de beaucoup l’abondance des eaux dans leur préfecture, et le territoire perdit de
sa richesse et de sa fécondité. Le crocodile, honoré par les Arsinoïtes, précisément
comme un symbole des eaux douces qu’ils avoient désormais en leur possession,
devint pour"les premiers un animal odieux : il ne pouvoit entrer dans la préfecture
de son nom (2), sans'apporter avec lui les eaux précieuses que perdoient
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i i i f i f c t r i îM «
en partie les Héracléotes.
(1) La largeur de la vallée entre Beny-Soueyf et el- la cultive'ordinairement en fèves, après la récolte des
Lâhoun est de plus de vingt mille mètres. Quand on céréales. Behneseh est encore plus loin du Nil: ( Fo/rjcipart
de Beny-Soueyf pour le Fayoum, l’horizon cache à dessus, pag. 56, note 8.)
la vue toute cette province et la pyramide elle-meme du (2) Fqyeg la Description des antiquités du nome Arsi-
Fayoum. La plaine est encore aujourd’hui très-fertile. On noîte, chap. X V II, secc. 1 1 , pag. 20,
Enfin
Enfin ceux-ci degraderent le labyrinthe, parce que les dépouilles des crocodiles
sacrés y étoient renfermées. ,
Jai ainsi tente d expliquer toute cette histoire physique autant que mythologique
des qultes d'Heracleopolis et d’Arsinoé : il me reste à dire un mot de l’ich-
neumon „ que la(première de ces villes avoit, selon Strabon, en grande vénération.
Ici, il faut avouer que les moeurs de l’ichneumon ne nous sont pas bien connues ;
mais, s il faut rejeter parmi les fables ce qu en dit le géographe, pourquoi n’admet-
troit-on pas quelque antipathie entre cet animal et le crocodile! Seroit-elle plus
extraordinaire que celle que nous apercevons entre certains animaux, entre des
quadrupèdes et des oiseaux, &c. ! Je n’en veux pas davantage pour concevoir que
[animal antipathique aux crocodiles ait etc honoré par les Héracléotes, par cela
seul que ces reptiles étoient vénérés des Arsinoïtes!
Hercule donc étoit le symbole ancien et sacré de la religion d’Heracleopolis
magna, et l’ichneumon,‘ le signe particulier de leloignement qu’avoit cette ville
pour Crocodilopolis. ,
Sans doute, il seroit précieux de connoftre le nom antique Égyptien de lagrande
Héraclée et sa signification; car les Grecs sont accusés d’avoir imposé aux villes
d’Égypte des noms arbitraires çt tirés de leur culte ou de leur histoire : mâPcç
n’est pas ici du moins qu’ils auront commis cette espèce de fraude, puisque l’Hercule
Égyptien est plus ancien que tous les dieux des Grecs, et sur-tout que le fils
d’AIcmène (t).
§. III.
Cæ n e (aujourd’hui Beny-Soueyf ).
L It i n é r a i r e d Antonin conduit d/sràà Oxyrhynchus, en passant par Cæne. Il
est facile de voir, en examinant la carte, que la première partie de cette route ne
sécarte pas du Nil. Cæne étoit, selon moi, au même point de la rive gauche que
celui où est aujourd hui Beny-Soueyf, ville capitale de la province du même nom.
Il y avoit, selon 11tinéraire, vingt milles d’isin à Cæne[, et autant de Gæne à Tacona.
Ces vingt milles répondent à un peu plus de vingt-neuf mille cinq cents mètres,
et 1 on n en trouve que vingt-huit milles de Zàouy, l’ancienne Isiu, à Beny-Soueyf :
cette différence d environ un mille Romain n’est pas un obstacle pour reconnoître
I identité de Beny-Soueyf et de Cæne. La distance s’accorderoit assez bien en
plaçant la derniere de ces deux villes à Ahnâs; mais c’est là qu’étoit Heracleopolis.
Cæne me paroit une position plus nouvelle, et qui succéda peut-être à la capitale
quand celle-ci tomba en ruine. Cetoit le port d’Heracleopolis ; le port remplaça
la ville, et la fit oublier. Mon opinion est fondée sur l’exemple à’Apollino-
jolis parva sur le Nil, qui remplaça aussi Abydus, trop éloignée du fleuve, et
devint même ensuite la métropole du nome (2). Minyeh n’a-t-il pas succédé de
(0 Le nom Qobtc de la ville ^ îtH C n’a pas encore été expliqué; il faudrait en connoître le sens, pour en
tirer quelque induction sur la nature du culte de cette préfecture.
(2) Voyez *a Description d’Abydus, A . D. chap, X I , pag. / et alibi.
A- D- I