[ i 36] Les escaliers pour communiquer d’un étage à l’autre, dans les grandes
tours de l’enceinte Arabe, sont ordinairement des vis de Saint-Gilles à noyau.
On remarque en général, en visitant ces tours, soit dans la distribution de l’intérieur,
soit dans le raccordement des différentes voûtes, une sorte de régularité
qui suppose dans les constructeurs quelques connoissances de stéréotomie. Les
pénétrations des divers solides sont bien prononcées, et ce qui reste de ces voûtes
est encore assez régulier pour indiquer la loi suivant laquelle elles ont été engendrées.
Ce sont communément des voûtes annulaires, des voûtes en arc de cloître,
des dômes, et particulièrement des portions de voûtes demi-sphériques pénétrées
par des cylindres horizontaux ayant pour diamètre la corde de quatre-vingt-dix
degrés du cercle générateur de la voûte sphérique.
On ne retrouve point le même art ni les mêmes connoissances dans la construction.
Toutes ces voûtes sont, en général, mal appareillées et formées de matériaux
hétérogènes.
[137] Cette pratique des Sarrasins d’introduire du bois dans la maçonnerie,
et même dans ses parties essentielles, toute vicieuse qu’elle est, s’est conservée
jusqu’à présent chez les Turcs, et il est difficile d’en rendre raison. Ils emploient
même des cours entiers de planches de sapin placés horizontalement dans leurs
murs.
[138] L ’emploi de colonnes horizontales dans des murs de fortification ne
prouveroit pas nécessairement qu’ils sont modernes ; sur-tout si, comme quelques
personnes le pensent, les Grecs du Bas-Empire en avoient fait usage, non-seulement
dans l’intention de faire liaison et parpaing dans des murailles très-épaisses,
et d’y former de grands lits de niveau, mais encore de les diviser en pans susceptibles
de tomber séparément, sans entraîner la chute du reste, lorsqu’ils seroient
battus en brèche par le belier et devroient inévitablement céder.
Les deux plus grosses tours sont, comme on le voit, dans cette espèce de fort
carré dont il est question dans le texte, et où se trouve la porte dite Bâb el-Bahr,
ou porte de la Marine. Celle qui s’avance au nord servoit autrefois de douane,
et appartenoit dans les derniers temps à l’aghâ. L ’autre est abandonnée; elle a trois
étages et des citernes au-dessous. On y voit effectivement aboutir un de ces aqueducs
transversaux antiques dont il a été question. L ’existence des citernes vient
encore confirmer l’antiquité, au moins des fondemens, de cette partie de l’enceinte
et de ses tours. Il existe aussi, dans une des tours rondes à deux étages, un puits
entièrement ruiné; et les gens du pays prétendent qu’il y en a encore dans les
autres tours.
[ 139] Outre les portes régulières de la ville Arabe, il y a aussi dans les murs
quelques brèches qui servent de passage, comme celui qui traverse les jardins au
bout de l’esplanade pl. 84.
[ t 4o] C ’est une insouciance assez remarquable, parce qu’elle est caractéristique,
que celle qui empêche les Turcs de se servir de voitures pour leur commodité,
au moins à la ville et dans les grands travaux. Il paroît, d’après la forme des seuils
des portes, et suivant d’autres observations, que les Arabes, fidèles aux anciennes
habitudes Orientales, ne faisoient pas non plus usage de chariots, et n’employoient
que, des bêtes de somme, comme ils font toujours maintenant et- comme faisoient
les patriarches eux-mêmes. Cette constance ou apathie originaire est à
observer ici, puisque les Égyptiens ont fort bien pu connoître dans tous les temps
les avantages que leurs voisins tiroient des voitures, et qu’on trouve même des
chars sculptés sur les murs des palais de Karnak. Les Grecs d’Alexandrie en em-
ployoient certainement : c est donc encore un usage que les Arabes ont fait perdre
à ce pays.
Les vantaux de la porte de Rosette furent hachés par les troupes Françaises
lorsque celles-ci entrèrent de vive force dans l’enceinte Arabe. Ses fortifications
avoient fourni aux Turcs le moyen de leur opposer quelque résistance. On y voyoit
encore toutes les horreurs de la guerre, lorsque je la visitai. On trouve à l’approche
intérieure de cette porte, ainsi que dans le voisinage de Bâb el-Sedr,
quelques maisons modernes formant une espèce de village. Les premières sont
assez neuves, et ont, suivant I usage Turc, les fenêtres de fétage supérieur au-
dessus des trumeaux du rez-de-chaussée. Au-delà de ce faubourg, sont les buttes
ou espèces de dunes de sable sur lesquelles ces troupes étoient campées pendant
le premier hiver.
[ 14 1 ] Je dis que l’enceinte Grecque fut conservée long temps par les Arabes,
c est-a-dire, la partie qui pouvoit en subsister encore et avoir été reconstruite à
neuf par les Romains ou par les Grecs du Bas-Empire, puisque les murailles
d Alexandrie furent abattues sous Aurélien ( vers les trois quarts du ife î siècle),
comme l’atteste Ammien Marcellin.
[ I4 - ] Le siège d’Alexandrie, vers l’année 640, coûta, suivant les auteurs
Arabes, vingt-trois mille hommes a A mrou. L apathique Héraclius n’envoya pas
un seul vaisseau de Byzance y porter du secours; une grande partie de la jeunesse
d’Alexandrie périt courageusement dans ces combats. L ’éloignement du siège du
nouvel empire, placé à Bagdad, ne permit guère aux califes Ommiades ou Abbas-
sides d’encourager les arts et le commerce d’Alexandrie. D ’Anville dit, pag. 63 de
ses Mémoires, qu'Amrou démantela Alexandrie. Je n’ai rien trouvé qui confirme
cette assertion, que l’auteur, au surplus, ne me semble pas énoncer d’une manière
très-positive.
Ce sultan Touloun est un de ces gouverneurs rebelles de l’Égypte dont j’ai parlé
dans 1 Aperçu historique, et qui méditoient dès-lors de se rendre indépendans,
sous le règne du dixième calife Abbasside, le trente-neuvième depuis Mahomet.
Il est célébré dans 1 histoire d Alexandrie et du Kaire, et a laissé une très-belle
mosquée dans cette dernière ville. Les restaurations considérables qui ont pu être
faites depuis son gouvernement aux fortifications d’Alexandrie, ont donné lieu
à 1 opinion de quelques voyageurs modernes qui attribuent le renversement des
murailles antiques et la construction des nouvelles à l’un des successeurs de Sala-
din, c est-à-dire, vers l’an 1212 de notre ère. Mais ce seroit pousser encore
plus loin, et sans doute beaucoup trop, la durée de l’enceinte Grecque, et contrarier,
sans preuves fortes du contraire, le témoignage précis d’Elmacin.