D E SC R IP T IO N DES LIEUX.
A P E R Ç U D E S R U IN E S .
P o u r se faire une idée générale d’Alexandrie antique, de ses environs, et de
l’aspect que présentent ses ruines, il faut jeter les yeux sur la carte où l’on voit
ses côtes, ses rades, ses ports, ses anciennes limites et ses dehors ( i ). Le voyageur
qui vient d’Europe par mer, arrive ordinairement par l’extrémité occidentale
de ce plan. La forme excessivement aplatie et monotone d’une côte parfaitement
blanche lui permet à peine de reconnoître le sol de l’Egypte, lorsqu’il
en est déjà fort près. Un des premiers objets qu’il découvre cependant, celui qui
sert utilement à diriger les marins, est la tour dite des Arabes (2), élevée sur un
emplacement vraisemblablement dépendant de l’ancienne Taposiris, et qui avoit
peut-être la même destination qu’elle a aujourd’hui, de servir de guide aux
vaisseaux; on la retrouvera dans la description particulière de cette dernière ville.
Bientôt on aperçoit cette colonne remarquable au loin par sa hauteur colossale
et son isolement (quoiqu’elle soit derrière la ville), et qu’on appelle vulgairement
Colonne de Pompée. Enfin on double le cap de l’ancienne Cliersonesus, nommée
aujourd’hui le Marabou, et l’on pénètre, par l’une des passes assez difficiles
pour les vaisseaux modernes, dans l’immense rade et bientôt dans le port d’Eu-
noste de l’antique Alexandrie.
Vers le fond de la courbe qu’il forme, s’élève la colline de Rhacotis. Le port
d’Eunoste est fermé au sud - est par l’emplacement du petit port Kibôtos, et au
nord-ouest par la presqu’île de Pharos. Le prolongement de cette langue de
terre, et quelques récifs liés entre eux par la nature et par l’art, forment, de
l’autre côté, le grand port, dont le promontoire de Lochias achevoit autrefois
de resserrer et ne couvre aujourd’hui qu’imparfaitement l’entrée. A peu près
au milieu du contour de ce second bassin, on distingue de loin le grand obélisque,
qui est encore debout. Ces deux ports principaux étoient séparés par des
ouvrages d’art; ils le sont encore aujourd’hui par un atterrissement qui a recouvert
ces constructions, et sur lequel est assise la ville moderne.
Derrière celle-ci se trouvoit la ville d’Alexandre et des Ptolémées, dont une partie,
comprise dans l’enceinte Arabe, est dessinée par un double rang de murailles munies
détours nombreuses. En arrière encore de cette enceinte, s’étendent, vers
le sud-est, les décombres de la ville antique : on les retrouve aussi au nord-est, en
suivant la côte, après le cap Loclùas. Bientôt ces monticules s’arrêtent brusquement
dans la plaine, et la ligne qui les borne se retourne directement au midi. Une
autre ligne à peu près parallèle à celle-ci, et tirée des environs de l’emplacement
du port Kibôtos , limite, au couchant, les ruines de l’ancienne cité.
{ 1 ) Voyez A . vol. V, pl. j t . (2) Elle est hors et à l’ouest du plan n.° 31.
En parcourant ses environs, et commençant par la partie orientale, on découvre
1 emplacement de l’antique Nicopolis, qui se lioit avec Alexandrie par une
chaîne continue d habitations, dont les traces sont sur - tout remarquables sur
I espece de crete qui longe la mer. Vers le sud-est de Nicopolis, se trouvent les
hauteurs de l’ancien bourg d’Éleusine ( i ). Ensuite, sur une ligne parallèle à la
côte de la mer, et qui se dirige de cette extrémité de la carte vers le point
d’où nous sommes partis, on rencontre d’abord le lac M a’dyeh, reste de l’ancienne
bouche Canopique du Nil, et précédemment séparé du Mareotis par
une digue qui supportoit ,1e canal amenant les eaux du N il à Alexandrie.
En suivant toujours cette ligne, on voit le lac Mareotis, aujourd’hui rempli
d’eau de la mer par une coupure. Le canal qui suit les contours de ce lac et
de l’espèce de plateau que forme le terrain, embrasse les monticules de ruines
qui se trouvent vis-à-vis de la ville moderne et de l’enceinte des Arabes, et qui
indiquent eux-mêmes le périmètre de la ville antique dans cette partie.
On se rapproche ensuite de la grande colonne placée sur une de ces collines
de décombres. En côtoyant le lac Mareotis jusqu’à l’extrémité gauche du plan, on
remarque quelques petites anses, des ruines de môles, et une côte calcaire percée de
carrières et de catacombes, dont une partie formoit Necropolis, ou la ville des
Morts. Cet isthme étroit est coupé vers le milieu de sa longueur par un canal transversal,
et présente, sur son promontoire septentrional le Marabou, et plus loin la
tour des Arabes, premier objet que nous ayons aperçu en approchant d’Alexandrie.
Quelques routes peu nombreuses, partant des issues principales de la ville,
communiquoient avec l’extérieur et les pays environnans.
Toute la contrée que nous venons d’explorer est d’une nudité, d’une blancheur
et d’une aridité extrêmes. Le sol est par-tout pierreux, salin, et soutenu
par une roche calcaire. en décomposition et peu élevée. Les parties moins
solides de ce terrain ne sont que poussière, sable et décombres. On n’y voit que
quelques bouquets épars de palmiers, une grande quantité de lézards errant sur
les pierres, peu de débris de monument qui soient conservés ou passablement
reconnoissables ; et 1 on a d abord quelque peine à se figurer comment des jardins
si délicieux, que l’antiquité nous a décrits, ont pu exister sur un sol aussi ingrat:
mais quelques enclos où l’on entretient encore parmi les décombres, à l’aide
dun peu d arrosement, une misérable végétation, et l’existence des restes des ouvrages
qui avoient été faits pour amener des eaux douces à Alexandrie, expliquent
ces récits des auteurs anciens.
Malheureusement tous nos dessins, ainsi que le sol lui-même, nous montrent
par-tout des ruines plutôt que des monumens. Otez cette immense colonne et
cet obélisque si entier, il ne restera plus que des décombres. Mais leur ensemble
ne devient-il pas lui-même un monument important, puisqu’il atteste la caducité,
1 inévitable anéantissement des plus puissans empires, et qu’il peut servir à nous
en faire découvrir et méditer les causes !
(l) Dans un plan d’Alexandrie restituée, j’ai placé ce bourg, A. vol. V , plus loin vers l’orient qu’il ne l’est dans la
planche 3 1, que nous parcourons ici.
A . D . B l