
6o d e s c r i p t i o n d e s a n t i q u i t é s
M. Visconti conclut que les opinions des Grecs n’étoient pas étrangères à l’Egypte:
mais il nous semble que c’est précisément la conséquence contraire que l’on devroit
tirer ; il faudrait dire, suivant nous, que les opinions des Egyptiens étoient connues
des Grecs. En effet, il est assez bien établi par les témoignages des historiens et
des philosophes Grecs qui ont parcouru l’Egypte, et par tous les documens de
l’histoire, que si les Grecs ont quelque chose de commun avec les anciens habitans
de cette contrée, cela ne peut être que le résultat des emprunts qu’ils leur ont
faits ; c’est une vérité que les travaux publiés dans la Description de l ’Egypte mettent
dans tout son jour : mais d’ailleurs ceux qui voudront se donner la peine de faire
une étude particulière du style de 1 architecture Égyptienne, le retrouveront dans
les édifices de Denderah, pur et sans mélange, mais seulement très-perfectionné.
On n’y remarque rien d’essentiel dont les plus anciens monumens n’offrent des
exemples ; et de ce que l’on y voit des espèces de palmettes (i) qui paraissent d’un
goût plus moderne, ce n’est point une raison suffisante pour en conclure que ces
édifices ont été bâtis sous l’influence des Grecs ou des Romains. A la vérité,
M. Denon a publié dans son ouvrage le dessin d’un petit temple à fronton (z),
renfermant Harpocrate : c’est une offrande qu’un prêtre fait aux dieux dans l’un de
ces nombreux bas-reliefs dont le grand temple de Denderah est couvert. Les édifices
n’ayant point de toit en Egypte, où il ne pleut presque jamais, il en résulte
qu’il n’y a point de fronton dans l’architecture ancienne de ce pays. On peut donc,
au premier abord, trouver fort étrange la représentation d’un édifice avec un
fronton dans les sculptures Égyptiennes; mais ce fait isolé, quand bien même il
serait parfaitement constaté, ne peut être une preuve péremptoire en faveur de
l’opinion tendant à attribuer aux Grecs ou aux Romains 1 érection des édifices de
Denderah. Quelles conséquences peut-on tirer d’un dessin qui très-probablement
n’a pu être tracé d’une manière fidèle! C’est une offrande faite à un dieu Égyptien;
et l’on sait que les objets de cette nature qui se trouvent dans les mains des prêtres,
sont, en général, d’une très-petite dimension. Lorsqu’ils sont placés à une certaine
hauteur, il est tout-à-fait impossible d’en apercevoir les détails. Il faut remarquer
que les parties du temple votif, telles que la porte, les colonnes, la frise
et la corniche, sont absolument dans le style de l’architecture Égyptienne; il nv
a que le fronton dont l’entablement est surmonté, qui s’en éloigne entièrement.
En admettant ce fronton dont l’existence, au reste, nous- paraît très-douteuse, et
qui pourrait n’être autre chose qu’un pyramidion semblable à ceux qui surmontent
les monolithes Égyptiens, la chose s’expliquerait encore d’une manière assez naturelle.
Pourquoi cette offrande n’auroit-elle pas pour objet de rappeler le souvenir
d’un temple qui aurait été érigé par un conquérant Égyptien, dans un pays éloigne
où le climat exigeoit l’emploi du fronton pour la conservation de l’édifice ! I l n’y
pouvons nous empêcher de rappeler ici qu'il nous paroît (i) Voyeç particulièrement les planches de bas-relief
parfaitement établi que le zodiaque, tel que les Grecs de Denderah, A . vol. I V , ou les trônes des divinités sont
nous l’ont transmis, est d’origine Egyptienne. Les preuves décorés de cet ornement.
de cette assertion sont développées dans notre Mémoire (2) Voyez la planche 127 du Voyage dans la haute et
ayant pour titre, Recherches sur les bas - reliefs astrono- basse Egypte,^', /y.
iniques des Egyptiens. Voyez A . Al.pag. 427.
DE DENDER A H . CHAP. X.
aurcfit même rien d’extraordinaire à ce que l’on eût employé dans les symboles
Égyptiens la représentation d’un temple tout-à-fait Grec, puisqu’avant Cambyse les
Grecs étoient admis en Égypte, et que rien ne s’oppose à ce que les Égyptiens
aient pu connoître une fórme d’édifice généralement adoptée en Grèce.
Les Grecs ont, ainsi que les Romains, laissé des ouvrages en Égypte; ils y ont
même bâti des villes tout entières; au moins les noms d’Arsinoé, de Cléopatris et
d'Alexandrie, sont parvenus jusqu’à nous : mais tous ces faits n’ont aucun rapport
avec les édifices de Denderah. Les villes que nous venons de citer, n’offrent plus
que quelques fragmens assez précieux toutefois, puisqu’ils indiquent ou tout-à-fait
le style Grec , ou bien un style mélangé, que l’on ne peut confondre dans aucun
cas avec le style Égyptien. La ville de Tentyris présente un résultat bien différent;
ses monumens ont traversé, pour ainsi dire intacts, les siècles qui se sont écoulés
depuis leur érection : cette circonstance seule suffirait pour indiquer leur origine
tout-à-fait Égyptienne; car, si, comme nous l’avons déjà fait observer, JesPtoié-
mées en étoient les auteurs, ils n’auroient probablement point manqué d’y inscrire
leurs noms. De ce que ces noms ne figurent point dans les inscriptions existantes,
on ne peut nullement en conclure que, sous le règne des princes Grecs, les temples
de Denderah n’étoient point bâtis : car alors on serait forcé d’en reporter l’érection
sous la domination Romaine; et nous avons prouvé que cette opinion ne peut être
soutenue. D ’ailleurs la conséquence à laquelle on seroit conduit dans cette hypothèse,
présenteroit encore beaucoup d’autres difficultés. En effet, on trouve en
Égypte nombre de monumens où les Ptolémées n’ont point inscrit leurs noms,:
nulle part à Thèbes on ne les aperçoit. Serait-ce une raison suffisante pour placer à
une époque postérieure à ces princes l’érection des nombreux édifices qui attestent
encore aujourd’hui la splendeur de la première capitale de l’Égypte !
Nous terminerons cette discussion en faisant remarquer que l’inscription Grecque
du grand temple est tracée en caractères maigres, qui sont extrêmement difficiles à
lire maintenant. Il est certain que si elle avoit été placée là par les auteurs mêmes
du temple, ils n’auroient point manqué de la rendre aussi visible et sur tout aussi
durable que les autres sculptures qui ornent l’édifice. Peut-on croire d’ailleurs qu’ils
eussent mis cette inscription sur un listel qui, dans le système de l’architecture
de l’édifice, devoit rester constamment lisse! et pense-t-on que les fondateurs d’un
monument aussi somptueux que celui de Denderah aient été assez peu soigneux
de leur gloire, pour négliger ce qui pouvoit le plus sûrement en transmettre le
souvenir !
Si donc les monumens de Denderah ne peuvent avoir été bâtis, ni sous le
regne des princes Grecs, ni sous la domination Romaine, comme personne ne
supposera que ces édifices doivent leur existence aux Perses, à ces destructeurs
des temples et des palais de 1 Égypte , à ces ennemis invétérés de la religion Égyptienne
, il faut nécessairement qu ils aient été élevés à une époque antérieure où
le pays etoit gouverne par des souverains indigènes. C’est à ces conséquences que
nous sommes forcés de nous arrêter. S’il s’agissoit maintenant de fixer à quelle
époque du gouvernement Égyptien les édifices de Denderah ont été construits,