[160] On célébrait vraisemblablement dans les pièces secrètes du soubassement
du Serapeurn les mystères de Sérapis, dont nous verrons tout-à-l’heure une
exposition.
[ 16 1 ] Vespasien, après avoir fait la guerre aux Juifs, soutenu dans son projet
de s’emparer de l’empire par Tibérius Alexandre, Egyptien d’origine et préfet
d’Egypte, proclamé empereur en premier lieu dans Alexandrie, s’empresse d’occuper
les barrières de l’Egypte, y apprend la défaite de l’armée de son rival à Crémone
et presse sa marche vers Alexandrie, afin de réduire aussi par la famine Rome,
qu’il approvisionne ensuite. Toujours hésitant à accepter l’empire, et Consultant,
dans sa confiance superstitieuse, les astrologues et les devins « pendant les trois ou
» quatre mois qu’il passa à Alexandrie pour attendre lès vents d’été, il s’opéra, dit
»'Tacite (r), plusieurs prodiges en sa faveur. » Vespasien lui-même guérit un
paralytique et un aveugle qui, «inspirés par le dieu Sérapis,. que ce peuple, livré
» aux superstitions, adore préférablement aux autres divinités », supplioien.t l’empereur
dè les toucher.
« Ces prodiges redoublèrent dans Vespasien le désir d’aller visiter la demeure
» de Sérapis pour le consulter au sujet de l'empire. 11 fait éloigner tout le monde
» du temple : à peine entré, comme le dieu occupoit toutes ses pensées, il aper-
» çoit derrière lui un des principaux Egyptiens, nommé Basilide, &c »
Autre miracle,, car on vérifia que cet homme étoit réellement à quatre vingts milles
d’Alexandrie « Vespasien expliqua le nom de Basilide ( 2 ) comme la réponse
» même de l’oracle.
» Jusqu’ici nos auteurs n’ont rien écrit touchant l’origine de ce dieu : voici ce
» que les prêtres Égyptiens en rapportent. Sous le règne de Ptolémée (3), celui
» qui établit le premier en Egypte la monarchie des Macédoniens," comme ce
» prince s’occupoit des embellissemens de la nouvelle ville d’Alexandrie, qu’il
» lui donnoit des remparts, des temples et un culte, il aperçut en songe un
» jeune homme d’une beauté éclatante, et plus grand que nature, qui lui prescrivit
» d’envoyer dans le Pont des hommes de confiance pour y prendre sa statue, ajou-
» tant qu’elle feroit la prospérité du royaume, qu’elle donneroit de la grandeur
» et de l’éclat à la ville qui la posséderait. En même temps il vit le jeune homme
» remonter au ciel dans un tourbillon de feu.
» Ptolémée, frappé de la promesse et du prodige, envoie chercher les prêtres
» Égyptiens qui sont en possession d’expliquer les songes ; il leur fait part du
» sien : mais, comme ces prêtres connoissoient peu le Pont, et, en général, ce
» qui n’est pas leur pays, il s’adresse à Timothée, un Athénien de la race des
» Eumolpides (4 ), qu’il avoit fait venir d’Eleusis (y) pour présider aux mystères
» de Cérès.
» Timothée, ayant questionné des gens qui avoient voyagé dans le Pont , ap-
» prend qu’il y avoit dans cette contrée une ville nommée Sinope, et, non loin de
(1) Au livre iv de ses Histoires. Je me sers de la tra- (4) Prêtres de Cérès, ainsi nommés- parce qu’ils des-
duction de Dureau de Lamaile. cendoient d’EumoIpns, fils de Musée, selon Suidas.
(2) Bcuimdç, roi. (5) Ville fameuse par son temple de Cérès, où sç
(3) Ptolémée-Soter. célébroient les mystères des initiés.
» cette ville, un temple que, suivant une ancienne tradition du pays, on croyoit
» consacré à Jupiter Pluton. En effet, on voyoit auprès de ce dieu la figure d’une
» femme, qu’on jugeoit être assez généralement Proserpine.
» Ptolémée, par cette légéreté naturelle aux princes, non moins prompt à se
» rassurer qu à s’alarmer, et bien plus occupé de ses plaisirs que des dieux, perdit
” de vue insensiblement cet objet, et il se livrait à tout autre soin lorsqu’il revit
” ,e même Ieune homme, mais terrible et plus pressant cette fois, qui le menaça
» de le perdre lui et son royaume s’il n’exécutoit ses ordres : alors il fait partir
» en diligence des députés avec des présens pour Scydrothémis ( c’étoit le sou-
» verain qui régnoit à Sinope). 11 recommande aux bâtimens de relâcher à Dé-
» los, pour y consulter 1 oracle d Apollon Pythien. Leur navigation fut heureuse;
» Apollon, s expliquant sans ambiguité, leur dit de poursuivre leur route, de rap-
» porter la statue de son père, de laisser celle de sa soeur.
» Arrivés à Sinope, ils portent les présens, les prières, les instructions de leur
» roi à Scydrothémis. Celui-ci fut combattu, tantôt par la peur du dieu, tantôt
» par les menaces et l’opposition du peuple : souvent aussi les présens des députés
» et leurs promesses le tentoient.
” 11 se Passa trois ans cette indécision, pendant lesquels Ptolémée ne ra-
» lentit point sa poursuite et ses prières; il augmentoit la pompe de l’ambassade,
» le nombre des vaisseaux, la richesse des présens. Pour lors le jeune homme’
» apparoit tout courroucé a Scydrothémis, et lui commande de ne plus retarder
» la destination d’un dieu. Comme il reculoit encore, les désastres de toute
» espèce, les maladies, I accablèrent, et de jour en jour la colère du ciel s’appe-
» santissoit plus visiblement.
» Ayant assemblé le peuple, il lui expose les ordres du dieu, sa vision, celle
» de Ptolémée, les maux qui les affligent. Le peuple ne vouloit rien entendre :
» il étoit jaloux de l’Egypte; il craignoit pour lui-même, et il ne cessoit d’in-
» vestir le temple. Cest-là ce qui a fort accrédité l’opinion, que la statue s’étoit
» transportée elle-même au rivage pour s’embarquer. Puis, par un autre prodige,
» quoique le trajet fût immense, on ne mit que trois jours pour se rendre à
» Alexandrie.
» Le temple fu t digne de la grandeur de la ville : on le bâtit dans le quartier
» qui se nomme Rhacotis, où il y avoit eu anciennement une chapelle consacrée
» a Sérapis et à Isis. ■
» Telle est, sur l’origine et sur la translation de ce dieu, la tradition la plus
» constante. Je n’ignore pas cependant que quelques-uns le font venir, sous le
» troisième Ptolémée, de Séleucie, ville de Syrie, et d’autres, de Memphis, autre-
» fois si célébré, boulevart de l’ancienne Egypte.
» A 1 égard du dieu lui-même, comme il guérit les malades, plusieurs veulent
” ce s°h Esculape, et quelques-uns, Osiris, la plus ancienne divinité du pays :
» d autres prétendent que cest Jupiter, à cause de la souveraine puissance qu’on
» lui attribue ; mais le plus grand nombre le croit Pluton, sur divers attributs qui
» le désignent plus ou moins clairement. »