nous les avons vus; il laisse les atterrissemens les plus plats et les plus larges se
former dans ce port et à leur place reconnue. Cet axe enfile ces buttes qui présentent
sur une même ligne les emplacemens du fort, des culées et des têtes de
pont, du côté de l’île Pharos ; il se rattache au roc de Rhacotis, noyau de l’ancienne
ville, autrefois baigné immédiatement par la mer, sur l’ancien rivage de
laquelle on a dû relever et entretenir constamment l’enceinte antique; il part
d’un point de cette enceinte près duquel se trouve une porte dont on a vraisemblablement
toujours conservé l’usage ; il tombe évidemment sur l’ancien sol de l’île
Pharos; enfin il est perpendiculaire au grand axe de cette île, et mesure réellement
sa distance par rapport au continent [y4]-
En avant de l’enceinte Arabe, il y a, dans la ville moderne, une citerne remarquable
par sa position peu éloignée de l’ancien Heptastadium : mais, n’ayant
pas de certitude sur son antiquité, je n’ai pas cru devoir la considérer dans le
choix de l’emplacement de l’Heptastadium. Elle est trop en avant pour avoir pu
appartenir, dans les temps antiques, au continent, qui probablement n’avançoit
pas jusque là ; et, à partir de son emplacement, la longueur de sept stades franchi-
roit l’île Pharos tout entière. En partant des murailles et traversant la citerne dans
la direction des trois buttes, l’Heptastade ne satisferoit pas complètement aux
conditions précédentes, ni à la première de toutes, celle de tendre vers la partie
occidentale de l’île. L ’examen du genre de construction de cette citerne, qu’on
Croit pourtant assez ancienne, pourroit jeter du jour sur l’époque où 1 on a abandonné
l’usage de la digue de sept stades pour la communication avec l’île Pharos,
et où l’on a achevé de défigurer les ports antiques par d’autres constructions [ y 5 ].
Ammien Marcellin, qui attribue faussement à une Cléopatre la construction
du phare, ajoute que la même reine fit bâtir XHeptastadium « avec une célérité
» aussi étonnante que la grandeur de l’ouvrage. » L e récit qu’il arrange là-dessus a
bien l’apparence du merveilleux, que cet historien paroît aimer beaucoup, à en
juger par son style recherché. L e fait est qu’on ne connoît pas positivement le
Ptolémée auteur de la construction de l’Heptastadium; mais tout annonce que ce
monument existoit bien avant Cléopatre II , et vraisemblablement sous les premiers
Ptolémées, ou même dès le temps d’Alexandre. Un ouvrage aussi utile a
dû être fait au moins aussitôt qu’on a commencé à perfectionner les établissemens
maritimes de ce grand fondateur [ y 6 ].
On ne peut faire que des conjectures sur ce qu’est devenu successivement
l’Heptastade, et sur l’époque où il a disparu entièrement. La position de cette
masse entre les deux ports a toujours tendu à arrêter le mouvement alternatif de
la mer derrière l’île Pharos, et à faire combler le grand port vers l'angle à droite
de l'origine du môle contre la ville. C e môle lui-même s’est donc ensablé naturellement,
lorsque, sous les gouvernemens négligens, on a cessé d’en curer le pied
et d’entretenir les deux passages navigables qui le traversoient ; notamment au
x v i .' siècle, et lors de la conquête des Turcs, qui se rapporte à nos dernières
périodes chronologiques, la ville des Arabes fut peu à peu délaissée, et la moderne
successivement accrue. Vraisemblablement on démolit alors les parties supérieures
du mole, qui devenoient inutiles et pouvoient servir à de nouvelles constructions;
car nous n en avons vu aucun vestige, et nous n’avons pas ouï dire que personne
en ait découvert. Lar t a peut-etre aussi aidé la nature dans cet élargissement | 1 )
d un chemin étroit qui est devenu l’emplacement d’une ville. On peut donc
attribuer 1 abandon successif de XHeptastadium aux Arabes, et sur-tout à leurs
successeurs, et enfin sa disparition complète aux Turcs [y 7].
, Dans le voisinage de l’emplacement de cet ancien môle, il y a encore aujourd’hui
des antiquités ; entre autres, un grand nombre de colonnes couchées,
qui feront l’objet de l’article suivant : il y en a aussi quelques-unes en granit,
employées debout et à la manière des Arabes dans les bâtimens modernes.
Voila tous les restes de l’ancienne Alexandrie dont la nouvelle s’est ornée, et de
quelle manière! Voilà donc aussi la ville qui a succédé à l’immense et magnifique
cité d’Alexandre, des Ptolémées et des Romains. Ce n’est plus aujourd’hui
quune grande bourgade, assez misérable, médiocrement bâtie et avec peu d’ordre;
dépourvue de places publiques; n’ayant que des rues étroites, malpropres et sans
pavé; contenant environ huit mille habitans (2); mais encore commerçante parla
seule cause de la bonté et de la position avantageuse de son port, unique sur toute
cette côte de la Méditerranée, et communiquant avec la mer des Indes [ y 8].
M A S S I F S D E C O L O N N E S A N T I Q U E S S O U S L E Q U A R T I E R
D E S C O N S U L A T S .
On rencontre encore beaucoup d’antiquités du même genre que celles de la
digue du phare, entre le quartier des consulats et la douane (3). Ces bâtimens
sont élevés, du côté du port neuf, sur le bord de l’eau. On les a fondés sur
une multitude de troncs de colonnes en granit de toutes les couleurs, et dont
la grosseur s’élève souvent jusqu’à trois et quatre pieds de diamètre. Ces enro-
chemens offrent le même aspect et font naître les mêmes observations générales
que les premiers massifs de colonnes que nous avons déjà vus; mais on a particulièrement
remarqué, parmi celles que nous examinons ici, deux fragmens de
fût qui ont la forme de ces colonnes de Louqsor à grosses côtes arrondies, et
dont la tige est resserrée par le bas. Nous avons trouvé encore un de ces chapiteaux
qui appartiennent ordinairement à ce genre de colonne : c’est une espèce
d ellipsoïde tronqué et formé d’un faisceau de nervures semblables aussi à des
côtes de melon. 11 faut enfin se rappeler et ranger dans la même catégorie le
chapiteau a bouton de lotus trouvé à la digue du phare. Tous ces fragmens
paroissent bien être l’ouvrage des anciens Égyptiens : ils portent des hiéroglyphes;
et lun de ces tronçons, qui est l’exuémité inférieure d’un fût, est décoré avec
des espèces de chevrons brisés, ainsi que cela se rencontre dans presque toutes
les colonnes en pierre calcaire ou grès de la haute Égypte. A cette vue, on
seroit tenté de sortir d’un doute que nous n’avons pu lever jusqu’à présent. Il
(1) Par tous ces massifs de colonnes en enrochement dont il est question dans l’article 57 de l’Appendice.
(-) La population de la ville moderne est portée à douze mille individus.
(3) Planche 84.