
Ville Chrétienne ruinée auprès de Deyr Abou-Hennys, Grottes et Environs.
A u sud et à trois ou quatre cents mètres d’Antinoé est un espace couvert de
ruines, presque aussi grand que la ville Romaine ellë-même : il est"bordé, d’un
côté,par le Nil et par quelques dattiers, et des trois autres côtés, soit par une enceinte,
soit par les sables. Aucun bâtiment ne s’y rencontre, si ce n’ést les ruines
d une église vers le nord ; mais les décombres sont remplis de maisons de briques
ruinéeS, de voûtes et de murailles, et aussi d’une multitude de tombeaux. A la
construction des murs et à l’espèce des matériaux, on reconnoît bientôt l'ouvrage
des Chrétiens. La façon des briques et l’épaisseur des murs sont les mêmes que
dans les églises Chrétiennes de la montagne ; ces briques sont régulièrement
arrangées. La ville paroît ruinée depuis quatre ou cinq siècles. Les Qobtes rapportent
qu’elle fut construite après la ruine d’Antinoé.
Le village qui subsiste encore auprès, sous le nom de Deyr Abou-Hennys [ou monastère
de Saint-Jean], est le reste de l’ancienne population Chrétienne qui a habité
cette ancienne ville : il est bâti sur une éminence de sable. Sa population est
uniquement composée de Chrétiens très-pauvres. L ’église actuelle est vers le sud-
ouest. Ppur y entrer, on traverse une cour qui renferme une grande pierre creusée,
appelée lwd : l’entrée est étroite et obscure. L ’église est composée de plusieurs
salles mal construites, et encore plus mal réparées : on me dit que la partie intérieure
étoit d’ouvrage Grec ; elle est, en effet, bâtie par assises réglées, tandis que
le reste est en moellons et plâtre. Quelques piliers sont décorés de chapiteaux
Corinthiens, tirés d’Antinoé. A u seuil d’une porte, je vis deux morceaux de beau
granit rouge, dont l’un est bien poli sur toutes ses faces. La disposition des salles
est confuse. Au fond de l’autel est un tableau dont l’exécution, quoique fort mau
vaise, fixa mes regards, à cause de la rareté des ouvrages de peinture en Égypte. Il
y a deux sujets. L ’un représente le saint qui a donné son nom à l’église et au village,
el-Kaddys Abou-Hennys (i) : il est debout et revêtu d’une chape; le dessin
est incorrect, et la couleur plate. Le peintre y a mis son nom en arabe, et la date
de l’ouvrage, qui est récent (du treizième siècle de l’hégire). l/autre sujet représente
1 archange Michel, avec cette inscription : eiMelek Mykhâyl (2). Il est à pied,
tient un sabre dans la main gauche ; de la droite, il porte un très-petit buste, dont
on ne voit rien que la tête et les épaules. Le prêtre que j’interrogeai, ne put
absolument me dire ce que c’étoit que cette sorte d’idole. Il me raconta que le
roi d Antinoé s’appeloit Arianos. Hasan-bey et ses mamlouks, me dit-il, avoient
pillé, brisé et brûlé l’église quelques années auparavant.
Cet homme , dont la science étoit d’ailleurs fort suspecte, m’assura que le nom de
la ville etoit Enselé, quoique je lui parlasse à’Enséné, d’après tous les voyageurs
mais il se trompoit certainement. Pour être compris dans le pays, il faut, quand
on prononce le nom d'Enselé (3), accentuer la première syllabe et glisser sur les
autres; j ai éprouvé qu’autrement on couroit le risque de n’être pas entendu.
(0 j-divClî (2) J jU l . csLUî {3) C’est le nom reçu à Cheykh A ’bâdeh.
Désirant connoître les grottes sépulcrales Égyptiennes qu’on me disoit être
dans une gorge de la montagne, située derrière Deyr Abou-Hennys, je pris des
guides au village. La montagne est très-élevée dans cet endroit : je montai péniblement
jusqu’au sommet par des chemins très-escarpés, à la hauteur de quatre
cents pieds environ ; mais, après beaucoup de fatigue, je n’y trouvai que des
carrières. L ’une d’elles est décorée du nom de kenyset, église : c’est une excavation
fort ancienne, dont les Chrétiens se sont emparés. Ils en ont blanchi à la
chaux les parois informes, sans se donner la peine de dresser les faces et de
rendre les angles droits : par-dessus les faces du rocher, ils ont peint de méchantes
figures de la Vierge et des Saints; les couleurs sont aussi mauvaises que le dessin
est grossier : au plafond, ils ont tracé quelques vagues ornemens de fleurs et de
feuillages. Les murailles et le plafond portent des inscriptions tracées en rouge
et écrites en qobte : je regrette que le temps m’ait manqué pour les copier.
Je vis dans la montagne beaucoup d’autres excavations transformées par les
Chrétiens en églises ou en cellules; mais aucune n’étoit revêtue de sculptures
ou de peintures Égyptiennes ; toutes sont d’une petite étendue. Malgré leurs
salles informes et le mauvais goût des ornemens, ces grottes sont admirées par les
Chrétiens, qui vont les visiter constamment, après avoir enterré leurs morts dans
les tombeaux de Deyr Abou-Hennys. A u rapport de mon guide, vieillard de
soixante-dix ans, qui gravissoit ces rochers comme une chèvre et presque en
dansant, il y a parmi les excavations une grotte très-profonde, où l’on entend
un bruit semblable à celui d’une roue de moulin qui tourne. Je ne puis donner
aucune explication de ce fait, que je n’ai pas vérifié, et qui n’est probablement
qu’un conte populaire.
§. X V .
Remarques sur Antinous, et Conclusion,
Au rapport d’Ammien Marcellin, la ville d’Antinoé étoit une des trois plus
florissantes de la Thébaïde, qui en comptoit tant de célèbres (t). S’il falloit en
croire cet auteur, ce seroit en l’honneur de son favori qu’Adrien auroit fondé
cette ville. Toujours est-il certain qu’il lui éleva des statues et des monumens,
comme une marque de son affection. Ce prince avoit multiplié presque à l’infini
les images d’Antinoiis en Égypte et en Italie ; il paroît qu’à Antinoé même il
y en avoit une, prodigieuse quantité (2) : voilà des preuves incontestables des
regrets que l’empereur donna à la mort d’Antinoüs. On raconte diversement la
mort de ce jeune Bithynien, qui eut lieu l’an 132 ( 3 ) de J. C. Les uns pré-
(1) Thebais , multas ínter urbes, clariores aliis Herrno-
polim habet, et Copton, et Antinoû, quant Hadrianus in
honorem Antinoi condidit sui. (Amm. Marcell. Rer. gest.
p. 3 4o tin-jS)
(2) Outre cette multitude de statues et de bustes que
on connoit, il y a des pierres gravées où Antinous* est
représenté. II existe en ce genre un beau camée de sar-
doine dont M. Millin a donné l’explication. Voyez Alo-
■numens antiques inédits, tom. I I , pag. 153.
(3) M. C.d Levezow fait remonter cette époque à
l’an i z i ; j’ignore d’après quelle autorité. Voye^ la note 1,
pag. 41,