
Ainsi lès avantages et les inconvéniens réciproques de ces deux ports ont subi
un. changement tout-à-fait inverse. Le port vieux est aussi le plus propre à la
construction de nos vaisseaux et à notre manière de les lancer à la mer; on ne
trouvoit cependant, à notre arrivée, aucun des établissemens nécessaires a la
marine. Les ingénieurs des ponts et chaussées avoient été chargés de les projeter;
et c’est autour de cette belle courbe que nous examinons quils les auroient
placés , si les événemens avoient permis de prendre une assiette solide dans le
pays. En attendant, les Français avoient réuni dans le port d’Eunoste tous leurs
établissemens provisoires, tels que les chantiers de construction et les magasins
de la marine indiqués sur les planches.
[12] En conséquence de cet abri parfait, de cette profondeur d’eau, et des
autres avantages du port vieux, le gouvernement T urc, dans son aveugle partialité
contre les étrangers (qu’il auroit dû au contraire chercher à attirer, puisque
son commerce a besoin d’eux, et qu’il ne peut prétendre, comme nos nations
civilisées, à l’exclusion de l’industrie foraine ), contraignoit les Européens non
musulmans à relâcher dans le port neuf, qui n étoit pas tenaille. Lors meme qu un
de leurs navires étoit forcé par quelque accident à pénétrer dans le port vieux,
il devoit, aussitôt que cela devenoit possible, passer dans le port neuf, affecte aux
bâtimens chrétiens. Nous savons maintenant que ceux-ci sont reçus, comme les
vaisseaux des Mahométans, dans le port vieux; réforme heureuse, qui est un beau
reste de l’influence de l’expédition Française sur les usages de 1 Egypte.
[ 13 ] C’est bien l’entrée du port d’Eunoste que Strabon veut désigner, lorsqu il
dit occiduum etiam ostium (traduction Latine), &c., et non la passe occidentale du
grand port, entre le Diamant et le phare; car il vient de parler de ce grand port,
comme du havre par excellence, ou du double port formé par la position de l’île
P/iaros : ancipitem ad eam portum faciens. Il décrit 1 entrée étroite du levant, et
ensuite celle du couchant, occiduum.
Les djermes sont de petits bateaux à quille et à voiles latines, non pontés, qui
viennent par mer des bouches du Nil. Cependant elles entrent rarement dans le
port vieux.
On peut remarquer, pour la détermination de la forme et de letendue du
port d’Eunoste, que Strabon ajoute, dans sa description, que ce porterait place
avant, ou devant, le port fermé et creusé de main d’homme; c’est-à-dire, le port
Kibotos, que nous verrons ensuite. Il dit devant, parce qu il vient de parler de
l’île Pharos, qui est au nord ; car il insiste ailleurs de cette manière ; « En par-
» tant de l ’Heptastadium, ce qui signifie, du côté du grand port, ri trouve le port
» d’Eunoste, et au-dessus de celui-ci est le port creusé, appelé aussi Cibotus. »
Puisque ce dernier étoit creusé (dans les terres, sans aucun doute), et qu il est
tantôt au-dessous, tantôt au derrière du premier, il est évident que lEunoste etoit
borné de ce côté par la saillie que forme encore 1 enceinte Arabe actuelle, et
par quelque môle ou autre construction qui fermoit le petit port liibotos. Si
l’Eunoste lui-même eût été directement fermé par quelque grand ouvrage de ce
genre, Strabon n’auroit pas manqué de le dire, comme il le fait pour le Kibotos,
dont le mole étoit bien moins considérable. Ces remarques concourront en
même temps à déterminer l’emplacement de ce second bassin.
Je ne m attacherai point ic i , non plus que dans le reste de ce Mémoire, à rélever
les erreurs de topographie, ou de toute autre espèce, des écrivains ou voyageurs
'fui se sont occupés d’Alexandrie ; il suffira de faire remarquer ces erreurs ët
d’indiquer les principaux argumens qui les détruisent, lorsqu’elles auront formé
une autorité de quelque importance.
[14 ] Pour se faire une idée de la rapidité des retours d’Europe dans le port
d’Eunoste, il.suffira de dire que nous avons vu, pendant l’été, des brigs venir
des côtes de la Provence en quinze, douze et même neuf jours de traversée.
PORT K.IÔOTOS.
[15] l-es Arabes, en resserrant l’enceinte qui, avant eux, renfermoit le port
Kibotos, ont pu continuer de s’en servir pèndant quelque temps, et profiter des
commodités que cet établissement leur offrait ; aussi ont-ils retourné en ce point
la direction de cette enceinte vers le sud-est, en formant encore de ce côté une
espèce de croissant qui embrassoit ce petit port ; aussi y a-t-il là une issue principale
de la ville Sarrasine, qu’on a nommée porte des Catacombes.
[ 16] Les vents et les courans régnans tendent toujours à combler les anses par
l’effet des remous qui s’y rencontrent.
[17] Strabon, en disant que le Kibotos étoit fermé, indique qu’il l’étoit vraisemblablement
par art, ou parce qu’on avoit eu soin de laisser subsister dans les
fouilles du rocher, au bord de la mer, une arête servant de noyau à la digue de
clôture. C ’est pour cela que j’ai supposé une jetée ou môle qui avoit quelque étendue,
quoique j’aie appelé étroite l’ouverture de la petjte vallée du Kibotos dans la
mer. C e môle étoit donc indispensable pour fermer hermétiquement ce bassin et
le garantir des vagues de la haute mer qui y frappent directement.
[18] Léon d’Afrique écrivoitau commencement du x v i.' siècle; ce qui ferait
supposer que l’abandon total du port Kibotos, que j’ai expliqué dans le texte, n’a
eu lieu que depuis l’invasion des Turcs en Egypte. Cette supposition est aussi
d’accord avec la formation de la ville moderne et la désertion de l’enceinte Arabe.
■¡19} Je parlerai ailleurs de l’embouchure du canal navigable de Kibotos dans
celui du Nil et dans le lac Mareotis, et du grand commerce qui se fàisoit par cette
communication.
[20] On trouve, dans les observations que nous avons faites pour la'déter-'
mination du port d’Eunoste, et dans l’emplacement que j’adopterai pour l’origine
de l’Heptastadium qu’on voit sur XAlexandrin restituta, plusieurs raisonnemens qui,
sans former pétition de principes, concourent encore à confirmer le choix que
j’ai fait de la position du port Kibotos. Ainsi, cette origine du môle de sept stades
étant plus enfoncée dans les terres, suivant la direction sud-ouest, que le croissant
des murailles Arabes, et Strabon disant, Deinde à Septemstadio est Eunosti portas,
et supra hune Cibotus, celui-ci, qui étoit creusé dans ces terres, ne peut guère l’avoir
été dans le roc vers Rhacotis. Cependant je ne puis dissimuler qu’un petit nombre