
Antinoé ne fut pas un établissement uniquement Romain ; une colonie Grecque
s’y établit. C ’est ce que nous apprennent les inscriptions tracées sur les colonnes
triomphales que l’on consacra dans la suite à Alexandre-Sévère. Il paroît que des
pratiques et des rites particuliers y furent introduits , et que les nouveaux Grecs 11 )
se gouvernoient par des lois qui leur étoient propres (2). Je termine ici ces considérations
générales sur l’origine d’Antinoé, et je passe à des détails plus précis sur
l’histoire de cette ville.
§. II.
Remarques historiques et géograpluqiies.
J ’ai fait connoître, dans le paragraphe précédent, ce qu'il y a de plus vraisemblable
sur l’origine d’Antinoé; mais je n’ai pas cité les circonstances-qui accompagnèrent
la fondation de cette ville. Adrien avoit quitté l’Italie . i ’anîde Rome 886,
et de notre ère 130, pour entreprendre son grand voyage d’Orient. En 132,
x v .' année de son règne, il visita l’Egypte , dont il étoit curieux d etudier les
moeurs, le climat et les monumens. Arrivé à Péluse, il fit reconstruire le tombeau
de Pompée. Il paroît que les habitans ne plurent pas à ce prince : sa lettre si connue
à Servien, son beau-frère, où il loue l’adresse et la sagacité des Égyptiens dans les
arts et leur goût pour le travail, fait voir que l’humeur légère et turbulente des
habitans avoit laissé dans son esprit des impressions fâcheuses ; il appelle cette nation
genus hofninum seditiosissimum, vanissimum, injuriosissimum ( 3 ). A la vérité, il n’igno-
roit pas combien elle étoit dégénérée depuis la conquête des Grecs et bien auparavant.
Il chercha à leur inspirer des sentimens plus favorables à la métropole, qu’ils
n’en avoient montré depuis Jules-César ; il rendit aux Alexandrins des privilèges
qu’on leur avoit enlevés, et leur accorda de nouveaux bienfaits. II visita le musée et
distribua des faveurs aux savans. Versé lui-même dans les arts et les sciences,
il s’entretenoit souvent avec les hommes de lettres et les gens les plus instruits (4).
On sait qu’il étoit accompagné dans son voyage par le jeune Antinoüs, qu’il
aimoit tendrement. Ce jeune homme périt malheureusement dans le Nil : les uns
disent que sa mort fut volontaire et l’effet de son dévouement pour l’empereur;
les autres, qu’il se noya par accident. Quoi qu’il en soit de ces traditions opposées,
Adrien ressentit de cette perte une extrême douleur. Dans l’endroit où Antinoüs
avoit péri, le prince laissa des monumens en son honneur ; et la ville qu’il
avoit résolu de bâtir dans ce même lieu, prit le nom de son'favori. Tous les
établissemens accordés aux colonies Romaines furent réunis dans Antinoé ; trois
à quatre années, dit-on, suffirent à l’érection de la ville entière, et elle devint
promptement florissante.
(1) Nto< EMnrif. il parcourut toute la Thébaïde avec le plus grand soin,
(2) Voyez plus bas le S- V I , et mon Mémoire sur et ne laissa rien échapper des choses les plus secrètes:
les inscriptions anciennes. on dit qu’il rira des temples les livres qu’il put y trouver,
(3) Vopisc. Vit. Satum. p. 245. Voye%ci-dessous, $.xv. et les enferma dans le tombeau d’Alexandre.
(4) Comme César, il honora les cendres de Pompée ;
Antinoé s’appeloit aussi Antinoopolis ; c’est le nom que lui donne Ptolémée :
elle porte le nom d'Anlinou dans l’Itinéraire d’Antonin; d” Afnv« dans la Notice
d’Hieroclès, et d’Antinoüs dans S. Jérôme; enfin d”A*Ttvo£ia. dans d’autres auteurs.
Comme il ne s’y trouvoit pas de poste Romain, du moins dans le temps de la
Notice de l’Empire, son nom ne se rencontre point dans cette Notice.
Alexandre-Sévère parcourut l’Egypte en 202. Ami des arts, il ajouta aussi quelques
monumens à la ville Romaine (1).
S. Jérôme (2), S. Athanase (3), Origène (4), et la Chronique d’Alexandrie (5),
prétendent qu’Antinoüs étoit honoré comme un dieu , dans un temple fondé
par Adrien avec des prophètes pour l’exercice du culte , et qu’on céiébroit en
son honneur des jeux gymniques. S. Épiphane compare le temple d’Antinoüs
et les mystères qu’on y céiébroit, aux temples et aux orgies de Memphis, d’Hélio-
polis, de Sais, de Péluse, de Bubaste, d’Abydus, de Pharbætus, &c. (6). Il paroît
qu’Antinoé continua de fleurir jusqu’à la conversion des habitans au christianisme;
et même, à ceftè-époque, elle devint un évêché dépendant de Thèbes. A la fin
du troisième siècle, suivant Eusèbé, les Antinoïtes étoient en relation avec
l’évêque de Jérusalem. Un siècle après, dit Palladius, il y avoit dans ce lieu une
quantité considérable de monastères chrétiens.
Pour suivre dans i’histohe la trace de l’existence d’Antinoé après la domination
Romaine, il faut lire le géographe de Nubie. El-Edrysynous apprend opxEnseué
( c’est ainsi que les Arabes appelèrent Antinoé, par corruption ) étoit une ville
ancienne, enrichie de monumens, de jardins et d’endroits agréables, où l’on jouis-
soit de promenades délicieuses ; qutHe pays étoit abondant en grains et en fruits
et d’une grande fertilité; et que cette ville étoit appelée la ville des Mages (7). Il
ajoute que Pharaon fit venir de ce lieu les Mages qui devoient lutter avec Moïse;
tradition bizarre, qui pourroit bien se rapporter à l’existence de Besa, ancienne
ville Egyptienne placée dans le voisinage j et dont je parlerai plus bas (8).
Abou-l-fedâ s’exprime absolument comme le géographe de Nubie, et rapporte
la même tradition : il est donc vraisemblable que la ville qui a existé dans cet
endroit avant les Romains, étoit une des plus importantes d’Egypte. Abou-l-fedâ
donne aussi le nom d’Ensené à Antinoé : les monumens commençoient déjà à
tomber en ruine de son temps.
Le même géographe place Antinoé à 27° 39' de latitude (9); Ptolémée donne
seulement, selon lui, 27°. Si l’on consulte la nouvelle carte d’Egypte, on trouve
une latitude de 27° 48’ 15"; mais il ne faut pas fixer la position de la ville par
les observations défectueuses de Ptolémée et d’Abou-l-fedâ. Il n’est pas non plus
facile de faire usage ici des distances de l’Itinéraire d’Antonin, parce qu’elles ae
rapportent à des lieux peu considérables et où il n’existe pas de monumens
(1) Aurelius Victor, Epitom.
(2) Ut sciremus quelles deos semper Ægyptus recepisset,
nuperab Hcidnani arnasio urbs eorum Antinoüs appellata
est. ( Hieronym, Contra Jovianum, epist. x. )
(3) Athanas. Contraintes, pag. 8. -
(4) Origenes, Contra Celsum, lib. n i , pag. 136, & c .
(5) Chronic. Alexandrin, pag. 508.
(6) S. Epiphan. tom. I I , Adversiis heereses, Iib. m ,
pag. 1093.
(7) Geogr. Nub. ex ar. in lat. vers. Paris, 1619, pag. 4*
(8) Au §. x i i i .
(9) Latitud. 27® 39', canon. ( Aboulf. Descr. Aigypt.
arab. et lat. ed. Michaelis. Gott. 1776 , pag. 20.)