ouvrage une belle description d’Alexandrie telle qu’elle étoit de son temps. Ce
sont les renseignemens les plus détaillés et les plus complets que nous ait laissés
l’antiquité suç les édifices de cette magnifique ville. Ils reviendront fréquemment
dans ce Mémoire, et c’est précisément au tableau qu’ils présentent d’Alexandrie
que se rapporte la restauration que j’ai faite dans le dessin A’Alexandrie restituée. Je
suivrai, dans les citations que je donnerai quelquefois sans les traduire en français,
l’interprète Latin de Strabon.
[ 6 ] Ce qui prouve l’ancienne élévation de Rhacotis au-dessus du sol, qui est
presque aussi plat que la mer, ce sont les expressions immincns navalibtts dont se
sert ici cet interprète. î \
Les anciens rois d’Égypte dont parle Strabon, et qui avoient horreur de la navigation,
sont ceux que j’ai désignés sous la dénomination générale de Pharaons,
et qui régnèrent pendant la i ." période. Dans ces temps-là, les Égyptiens regar-
doient comme infâmes ceux qui se livroient à cette profession. On v o it , au
reste, que la position d’Alexandrie avoit de tout temps paru très-propre à servir
d’abri aux navigateurs, puisqu’on y tenoit une garnison pour les empêcher d’approcher.
Cette opinion sur les avantages de cet emplacement a dû contribuer à
le faire choisir par Alexandre pour y fonder sa ville. Les Français ont construit,
sur la hauteur que nous examinons, un fort appelé Caffarelli, du nom d un illustre
général qui commandoit le génie militaire et qui fut tué au siège d’Acre. Ainsi,
après tant de siècles, l’emplacement du hameau de Rhacotis a repris sa première
destination de forteresse, de même que le reste du sol environnant, jadis si magnifiquement
orné, a repris sa nudité primitive. ,
[7 ] Il n’y avoit pas plus de prairies qu’à présent aux environs de Rhacotis,
et les pâtres, que l’interprète de Strabon appelle bucoli ( id est, lubulci) , étoient
nécessairement nomades comme les Arabes actuels. Suivant Héliodore, le terrain
qui étoit autour de Rhacotis se nommoit Boujc-oAiü, et Capitolinus appelle bucolici
milites les soldats en garnison dans les endroits de l’Égypte nommés bucolies. On
voit donc que le désert d’Alexandrie n’étoit pas si inconnu aux anciens rois
d’Égypte qu’on l’a prétendu. II y eut même, suivant Hérodote ( 1 ), une bataille
décisive entre Apriès et Amasis, peu avant la conquête de Cambyse, à Momem-
phis, sur le bord du lac Mareotis, et près de Rhacotis. Diodore de Sicile dit que
ce combat se livra vers le village de Mareia, qui est encore plus loin à 1 occident.
Apriès fut fait prisonnier et étranglé ensuite.
A cette époque, les Pharaons avoient aussi renoncé depuis long-temps à leur
aversion pour les navigateurs et les Grecs.
[8] Philon, Juif, étoit né à Alexandrie. Les renseignemens qu’on tire de ses
écrits sur l’état de cette ville et des Juifs qui l’habitoient, sont précieux. Il étoit
né d’une famille illustre et sacerdotale; il fut mis à la tête de la députation
que ses coreligionnaires d’Alexandrie envoyèrent, contre les Grecs de la même
ville, auprès de Caligula, vers l’an 4 o. Il a laissé des mémoires à ce sujet, ou
Discours contre Flaccus (et plusieurs autres ouvrages, presque tous sur l’Écriture
U ) Hist. lit». 1 1 , s . 1Û 3.
sainte). Il ne fut point écouté favorablement par Caïus, irrité de ce que les Juifs
d’Alexandrie, toujours récalcitrans, comme le reste des habitans de cette puissante
ville, avoient refusé de placer ses statues et ses images dans leurs synagogues.
Ces mémoires prouvent qu’il déploya dans cette mission beaucoup de
dévouement, de sagesse, de fermeté et de talent : mais il faut, en se servant
des renseignemens qu’ils contiennent sur l’état des Juifs d’Alexandrie, user de
beaucoup de circonspection , par rapport à ses préventions naturelles et aux
circonstances dans lesquelles il écrivoit.
Josèphe, Juif de Jérusalem, vivoit sous Néron et mourut sous Domitien, en 93.
Outre son Histoire et ses Antiquités Judaiques, il écrivit deux livres contre Apion,
grammairien d’Alexandrie, grand ennemi des Juifs, et que nous verrons figurer
parmi les savans de cette ville. Josèphe et Philon sont les deux seuls auteurs qui
nous fassent connoître Je nombre des quartiers d’Alexandrie.
p o r t d ’ e u n o s t e .
[9] L ’aiguade actuelle se trouve au tiers de la longueur de l’espèce de croissant
existant entre les deux angles des murs avancés dans l’eau (1). Elle reçoit les eaux
du Nil, après le remplissage des citernes de la ville Arabe. C ’est une construction
peu considérable ; elle ne paroît pas antique, et peut avoir été faite par les
Sarrasins lors de la réduction de l’enceinte. Il est vraisemblable que c’est seulement
un reste d’une des anciennes issues de ces branches du canal du Nil qui,
dans tous les temps, ont distribué les eaux jusque dans les parties les plus reculées
de la ville. Aujourd’hui, ces eaux ne peuvent couler dans l’aiguade qu’au dernier
moment de la crue du fleuve.
[10] Ce courant principal de l’ouest à l’est, et les vents régnans du nord-
ouest, ont encore plus détruit les bords de la rade voisine de Necropolis et des
catacombes qui se trouvent à la suite. On sait que les vents soufflent dans cette
direction pendant la plus grande partie de l’été, et font que cette saison est
celle des arrivages d’Europe, qui ont lieu souvent en moins de quinze jours. II
faut encore joindre a ces causes de la disparition des constructions dans le port
dEunoste, 1 habitude funeste quont les Turcs, depuis plus de deux cents ans,
d’y jeter le lest des navires.
[ 1 1 ] Comme l'entrée principale de Strabon n’est qu’une des passes fréquentées
par les vaisseaux modernes, je parlerai ailleurs de tous ces passages ensemble, et
des sondes que les ingénieurs des ponts et chaussées ont faites pour les déterminer.
Il suffit de voir maintenant que l’entrée de l’Eunoste avoit assez de profondeur
pour les navires anciens.
Ces avantages dont parle Strabon, sont bien plus sensibles aujourd’hui, à cause
du tirant deau de nos vaisseaux modernes, qui trouvent un fond suffisant dans
le port vieux, malgré le comblement journalier opéré par les Turcs; tandis que
le port neuf, grâce à ce qu’il étoit bien fermé autrefois, offroit un mouillage convenable
aux anciens, et qu’il ne peut plus recevoir un grand navire moderne.
fi) Voyez È. M . pl. 84.