Communiquant par le lac Menzajeh avec Péluse, qui étoit anciennement un des
ports Egypte Jes plus fréquentes, Tant s oifroit une station sûre ; et la branche
Tanitique, par sa situation au milieu des terres, garantissoit une navigation paisible
qu’on ne trouvoit point sur la branche Pélusiaque, dont le cours longeoit la
lisière du désert, et sur laquelle on devoit être exposé à tous les dangers qu'entraîne
encore de nos jours le voisinage des Arabes.
Personne n’ignore que l’importance de Péluse s’est soutenue pendant longtemps,
malgré la prospérité toujours croissante du commerce d’Alexandrie; mais,
lorsque le port a été entièrement ensablé, ou plutôt lorsque les eaux du Nil ont
cessé d’abonder et même de couler dans la branche Pélusiaque, Tanis a insensiblement
suivi le sort de Peluse. Il paroît, au reste, que la décadence complète
de Tanis ne remonte pas à une époque bien reculée.
Ptolémée et Pline en font mention comme d’une ville considérable. Strabon
la qualifie par ces expressions: urbs maxima. Au temps des Grecs, elle étoit la
métropole du nome Tanitique; elle a joué le même rôle sous les empereurs
Romains. Après l’établissement de la religion Chrétienne, elle a été le siège d’un
évêché qui dépendoit du patriarche d’Alexandrie. Le P. Le Quien cite douze
éveques parmi ceux qui ont occupé ce siège depuis l’année 362 jusqu’à 1086.
Il rapporte en outre le passage d’une lettre écrite au pape Honorius III par
Jacques de Vitri, sur la prise de Damiette par les croisés le 5 novembre 1219;
passage dont il résulte que les croisés se sont également rendus, maîtres de la
ville de Tanis et de son diocèse, qui est dépendant du métropolitain de Damiette.
Enfin le même écrivain nomme deux évêques de Tanis, l’un vers 1331,
et l’autre vers 1425, parmi ceux qu’on suppose avoir siégé depuis la malheureuse
expédition de S. Louis, c’est-à-dire, depuis 1449 (i).
Je ne discuterai point si l’abandon de Tanis est dû à la seule influence de
l’ensablement du port de Péluse, ou bien si d’autres causes y ont coopéré, telles
que les dévastations occasionnées par les croisades le long de la frontière d’Égypte,
la diminution que les relations de Suez avec Damiette ont éprouvée à mesure
que l’embouchure Phatmétique est devenue moins accessible, la direction nouvelle
que le commerce des Indes a prise a la suite des découvertes du quinzième
siècle, enfin les incursions des Arabes du désert, qui ont cessé d’avoir une
barrière depuis que la branche Pélusiaque est comblée. C e qu’il y a de certain,
c’est que. l’existence d’une grande ville a cessé d’être nécessaire ou possible dans
cette partie du petit Delta, et que, dans l’état actuel des choses, il n’entreroit
probablement dans la pensée d’aucun Gouvernement de relever Tanis de ses
ruines.
II nest pas aussi facile de se rendre compte de l’abandon des campagnesqui
s’étendent à une très-grande distance aux environs de San. L ’ancienne fertilité
de ces campagnes est attestée par les vestiges des nombreux canaux qui les tra-
versoient en tout sens, et par des buttes de décombres assez rapprochées qui
( 1 ) Or'um Chr istianut, vol . I I , pig . 535 -538, et vol . I I I , pag. I 1 4 7 - 1 1 50 .
marquent la place des villages et des hameaux qui ont cessé d’exister. On ne
peut pas dire que ce soit leau du Nil qui manque à cet immense territoire ; car
il est naturellement inondé, pendant une partie de l’année, au moyen du canal
de Moueys. Les bras ne manquent pas davantage, et, à cet égard, on peut
remarquer que 1 industrie agricole ne paroît avoir négligé aucun des points du
petit Delta où il est possible de maintenir la Culture, fût-elle du plus médiocre
produit. C est ainsi qu a el-Malakim, village situé près de l’embouchure du canal
de Moueys, on entretient soigneusement une digue à l’aide de laquelle on rétrécit
le canal lorsque 1 affluence des eaux du fleuve vient à diminuer : on soutient ainsi
leur niveau jusqua 1 époque de la nouvelle crue, et l’on préserve Je petit territoire
qui nourrit les habitans, de l’accès et de l’influence des eaux saumâtres du lac
Menzaleh. Cette influence désastreuse, de quelque manière qu’elle ait pu s’établir
et qu’elle puisse encore s’exercer, paroît jouer un grand rôle dans la stérilité des
campagnes de Tanis. En effet, les empiétemens du lac ne sont que trop directement
piouvés par les buttes de décombres et les traces des anciens ouvrages
d’irrigation qu’on rencontre fréquemment au milieu même des Irgunes permanentes
qui lui servent de ceinture ( t ). Ses eaux d’ailleurs ne se sont point adoucies
; leur salure est entretenue par les vagues qu’il reçoit pendant les tempêtes,
lorsque la mer franchit la langue de sable qui les sépare, et qu’elle force l’entrée
des bouches de Dybeh et d Omm-fareg. Pressé lui-même par les gros temps, ou
balancé par 1 inégale action des vents régnans, il s’étend souvent un peu au-delà
de ses limites habituelles, et semble préluder à de nouveaux envahissemens.
Or il est à observer que l’existence de cet état de choses ne sauroit être le '
résultat de la différence qu’il pourroit y avoir entre le volume des eaux que le
Nil veise actuellement dans le lac et celui qu’il y versoit anciennement. Ici.
comme sur le reste de la côte d Egypte, lorsque l’on entreprend de comparer
letat des lieux avec ce quil etoit il y a seulement deux mille ans, on cherche
vainement une masse d attérissemens proportionnée à l'énorme volume des eaux
du fleuve, qui se répandent encore chaque année sur les terres situées près de
la côte, et q u i, suivant d’autres canaux que ceux de Rosette et de Damiette,
viennent directement déposer leurs sables et leurs troubles dans les lagunes, dans
les lacs et dans la mer. Notre collègue M. Girard a prouvé, par une série d’observations
pleines d intérêt. (2), que le relèvement séculaire du sol de la haute
Egypte, depuis le Kaire juseju a Élephantine, pouvoit être évalué à cent vingt-six
millimètres. Si 1 on compare la quantité d’eau qui produit cet effet sur un point
donné du sol cultivé dans le Sa’yd, avec celle qui arrose naturellement les abords
du canal de Moueys, et celle qui afflue continuellement dans le bassin du lac
Menzaleh, on sera porte a conclure que les dépôts qui ont lieu dans cette partie
(1) L ’existence de ces buttes nombreuses est d'accord ostium sunt lotus tt m a x im a aç continua paluies, i„ mi-
avecje texte^de Strabon, qui dit formellement : Mîto£u bus et pagi m u liï sunt. Geogr . Ub. x v ii.
« 7» XariitKV Xÿ) 7K IïmXk««xS u'ftvai w txn /uyei\ct xsu (2) f f i s t . nat. tom. J I , pag. 343.
KnXtKUfiutç ToMccV î£9kh*. /riter Taniticum Pelusiacumque