A gauche, au-dessus du cintre, est une pierre d’assez grande dimension, couverte
d’hiéroglyphes, parmi lesquels on voit le disque ailé avec les deux serpens
au cou enflé, symbole que les anciens Égyptiens plaçoient sur l’architrave des portes
de leurs temples. Il est probable que cette pierre fut tirée d’un de ces édifices
déjà renversés, à l’époque où les Romains, vainqueurs de l’Égypte, élevoient la
forteresse de Babylone, pour assurer leur conquête. Ce n’est pas la seule fois que
nous avons trouvé en Égypte, au milieu des ruines que nous admirions, des vestiges
de ruines plus anciennes encore. Quoiqu’il ne soit point extraordinaire de
voir des débris de vieux édifices employés dans de nouvelles constructions, l'on
ne remarque cependant jamais sans émotion ces traces, visibles de la marche des
siècles ; et si rien ne distrait des réflexions qu’elles font naître, on tombe bientôt
dans une rêverie profonde : les générations qui ont disparu de la scène du monde
et celles qui doivent s’y montrer un jour, apparoissent confusément; l’on rêve à-la-
fois les temps passés et l’avenir.
A trois cents mètres hors de l’enceinte, vis-à-vis la partie nord-nord-est, qui est
entièrement moderne, on trouve une portion de muraille de construction Romaine
qui appartenoit autrefois à l’ancienne forteresse, bien plus vaste alors qu’elle ne
l’est aujourd’hui. Dans l’une des tours, l’escalier m’a paru de construction Romaine,
ainsi qu’une salle dont le plafond est soutenu par des colonnes.
La seule porte par laquelle on entre dans Qasr-el-Chama’ , est tellement basse,
qu’il faut se courber pour y passer; et les rues sont si étroites, qu’on ne peut les
parcourir qu’à pied. La principale rue est gar nie de boutiques. Les maisons particulières
et les couvens qu’occupent les moines Qobtes et Grecs, ne présentent
aucune trace d’antiquité. Ces couvens sont au nombre de six; l’un d’eux se
nomme encore aujourd’hui Saint-George de Bâblyoun : ils sont entourés de jardins
plantés de palmiers. Dans une des églises Qobtes, les prêtres montrent aux
fidèles une grotte, objet de leur vénération : c’est une espèce de chapelle souterraine,
où ils disent que la Sainte-Vierge se retira avec l’Enfant Jésus, lorsqu’elle
vint chercher en Égypte un asile contre la persécution d’Hérode.
L eau dont se servent les habitans de Qasr-el-Chama’ pour leur usage et l’arrose-
ment de leurs jardins, vient d’un puits assez profond, situé hors de l’enceinte,
en descendant vers le Nil : une roue à chapelet élève l’eau, et un petit aqueduc]
la conduit dans l’intérieur de la forteresse ( i ).
Les décombres qui entourent Qasr-el-Chama’, proviennent probablement, en
grande partie, de la ville de Babylone, dont on peut croire, avec quelque raison,
qu’ils recouvrent l’ancien emplacement.
Le château de Babylone, selon Strabon (2), étoit situé au sud du Delta, sur un
coteau qui descendoit jusqu au Nil, a peu près vis-à-vis les pyramides de Memphis; j
( 1 ) L e s R om a in s em plo y o ien t a peu près les memes TttyixB/itiiy 7tüv (ppa^isyTuy tùv Aïjovfloy pci^*t ‘éiHv cttn w s'iftt~ !
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cent cinquante esclaves etoient occupés continuellement à y faire monter l’eau
du fleuve, au moyen de machines hydrauliques. Or, les débris dont nous avons
parlé, sont de même sur la rive orientale, vis-à-vis les pyramides de Gyzeh; et
l’espace qu’ils occupent va en s’élevant du Nil vers la chaîne Arabique, dont le
rocher calcaire commence, à cinq ou six cents mètres du fleuve, à paroître en
plusieurs endroits au-dessus des collines de décombres. On lit, en outre, dans l’Itinéraire
d’Antonin, qu’il y avoit douze milles de Babylone àHélropoIis; et c’est
àpeu de chose près, la distance de Qasr-el-Chama’ à l’obélisque de Mataryeh (1). ’
La réunion de ces diverses circonstances me paroît suffisante pour établir que le
bâtiment désigné sous le nom de Qasr-el-Chama'| où nous avons trouvé des preuves
non équivoques de l’ancien séjour des Romains, a dû être la forteresse, l’espèce
de camp retranché, quoccupoit celle de leurs légions à laquelle Strabon assigne
la résidence de Babylone.
Selon Ctésias, Diodore et Strabon, la fondation de la Babylone d’Égypte seroit
due aux Babyloniens qui, sous Sémiramis, firent la conquête de l’Égypte, ou aux
prisonniers que Sesostris ramena dans cette contrée, après avoir soumis la Babylonie.
Ces deux opinions me paroissent également invraisemblables; car, outre quelles
reposent sur des faits peu certains, comment expliquer le silence d’Hérodote sur
une ville aussi ancienne, dont l’histoire se fût liée nécessairement à celle de l’Égypte.'
Il me paroît plus vraisemblable que cette ville fut bâtie par les Babyloniens qui
occupèrent l’Égypte après l’invasion de Cambyse (2), et que, lorsqu’Hérodote
parcouroit cette contrée, Babylone n’existoit point encore, ou plutôt n’étoit pas
assez considérable pour fixer son attention ; cette opinion est à peu près celle de
Flavius Joseph (3).
Au surplus, si 1 époque de la fondation de cette ville est incertaine, son origine
ne l’est point; c’est à des Babyloniens que tous les historiens l’attribuent : conquérons
ou esclaves, le souvenir des murs paternels leur fit donner le nom de Babylone
à leur ville naissante. C ’est ainsi que dans tous les temps les hommes ont cherché à
soulager les peines de l’exil, en appelant au sein des terres étrangères la douce
illusion de la patrie.
Les Romains, comme nous l’avons déjà dit, avoientplacé dans Babylone une
des trois légions commises sous Auguste à la garde de l’Égypte. Les empereurs
d Orient continuèrent d’y entretenir une garnison jusqu’au règne d’Héraclius, sous
lequel 1 Égypte fut envahie par les Musulmans. Babylone soutint contre ces guerriers
fanatiques un siège de sept mois; la garnison, composée de Grecs et de Qobtes, se
défendit vaillamment jusqu’au moment où le gouverneur, désespérant de la fortune,
se retira dans 1 île de Roudah. Il y capitula, l’an 18 de l’hégire, avec A ’nirou
Ebn-cl-A As , général de l’armée Arabe. La citadelle, que quelques
Grecs plus courageux eurent la noble audace de défendre encore, fut prise d’assaut
peu de, jours après.
i»coLC,Ctn If ÎS<I“ e • 1 S Í I dî \ , maniérc Ia PIus M j f e Babyloniens et les Perses formoient alors un
incontestable la position d Heliopolis. Voyez la Descrip- seul peuple.
"°n d’H'IiopoJis, A. D. chap. X X L (3) Antiqmt. Jad. Iib. 11, cap.. 5.