A N T I Q U I T E S D E L A V I L L E D U K A I R E .
de.s ruines, des décombres et des débris de toute espèce. A el-KJiousous, en particulier,
j’ai vu des fragmens de statues colossales et des chapiteaux d’un beau travail,
qui n’ont pu être transportés. L ’un de ces chapiteaux est de fort belle brèche
siliceuse (i) ; sa matière est le beau grès Memnonien, matière dure, que les sculpteurs
ont trouvée peu loin de là, à Gebel el-Abnar, la Montagne Rouge (2). [|
est à côtes au nombre de huit, et rappelle ceux de Louqsor et de plusieurs
autres villes. J’ai trouvé ce beau morceau auprès d’une salle de bain (3). Au
même lieu, j’ai vu une tête colossale, qui devoit avoir 8 décimètres : en proportion
la figure entière avoh environ 6 mètres. Du côté du couchant, je crois que
la ville s’étendoit jusqu’à Moutsourad ou Mytsarad, et peut-être à Behtym; enfin
à l’est, du côté du désert, il y a des ruines de peu d’importance. La plaine est
sablonneuse et très-peu élevée au-dessus du sol cultivable. On peut conclure
qu’Héliopolis avoit du nord au sud environ 5000 mètres, et de l’est à l’ouest au
moins 3000, espace qui supposerait une population de 200000 habitans, en
admettant les deux tiers de celle de Paris. Si l’on faisoit des fouilles dans cet espace,
travail digne d’un gouvernement éclairé, on trouverait, je n’en doute point,
des restes précieux d’une ville qui fut la troisième de l’Egypte ancienne en grandeur
et en célébrité (4).
La Table Théodosienne renferme une position qui m’a long-temps embarrassé
, c’est celle d'Auleu, nom qu’on chercherait vainement ailleurs. Elle a
échappé à d’Anville ; je crois avoir reconnu que ce n’est qu’un seul et même
lieu avec Héliopolis. Il me paraît certain que c’est un nom corrompu venant du
mot Heliu de l’Itinéraire. Il est vrai que, dans la Table, Auleu est à la gauche de
la branche Canopique, mais c’est par suite du système de construction de cette
partie de la carte. Auleu, comme Heliu, étoit à x x iv milles de Memphis; Baby-
lone étoit au milieu, entre ces deux stations. Ce qui paraît d’ailleurs une confirmation
décisive, c’est que d’Auleu à Nicii il faut x x x v i milles, suivant la
Table Théodosienne, et c’est ce qu’on trouve exactement entre Héliopolis et
Menouf, lieu reconnu pour être le même que Nicii, ou le chef-lieu du nome
Prosopites (5).
(1) Le grès dur n’a pas été travaillé en chapiteaux ou
en colonnes dans la haute Egypte. Les premiers sont toujours
en grès tendre ou en pierre calcaire ; on doit penser
que le fut de celui d’el-Khousous étoit aussi en grès-
poudingue.
(2) Voye^ la Description des environs du Kaire, i. IV.
(3) Voyez planche 27, A. vol. V, fig. 2.
(4 ) Je dois renvoyer ici au chapitre X X I , Ant.
Descr., consacré spécialement à la description d’Hélio-
polis, comme je l’ai déjà fait au commencement de
celui-ci.
(5J C ’est ici une nouvelle application de la règle que
j ’ai eu plusieurs fois l’occasion de signaler; savoir, que les
distances des itinéraires, et même celles des anciens auteurs,
sont exactes si on les prend en ligne droite, et ne
sont exactes qu’en ligne droite; d’où j’ai conclu que
toutes, ces distances avoient été relevées d’après une
échelle sur une ancienne carte Egyptienne, mais non
prises sur les contours d’un chemin fréquenté réellement,
et ensuite converties en mesures Grecques et Romaines.
Voyez les volumes d’Antiquitês-Mémoires et d*Antiquités-
Descriptions.
DE S CRI P T IO
D’HÉLIOPOLIS,
P a r MM. L A N C R E T * e t D U B O I S - A Y M É ,
I n g é n i e u r s d e s p o n t s e t c h a u s s é e s , m e m b r e s d e l a C o m m i s s i o n
D E S S C I E N C E S E T D E S A R T S d ’É g Y P T E .
C H A P I T R E X X I .
D E L A R O U T E DU K A IR E A H É L IO P O L I S .
N o u s habitions le Kaire depuis quelques mois, impatiens d’en parcourir les
environs lorsqu’une occasion se présenta de visiter avec sécurité les ruines
dHeiiopohs; nous nous empressâmes d’en profiter, ainsi que plusieurs autres
membres de la Commission des sciences et des arts d’Égypte, parmi lesquels nous
nous plaisons à citer MM. Devilliers et Jollois (i).
Nous sortîmes du Kaire par une porte voisine de la citadelle, et nous nous
trouvâmes bientôt dans un immense cimetière, qui, par la richesse et l’élégante
architecture de ses tombeaux, le nombre de ses mosquées et de ses dômes, ressem-
H h É K mais à une de ces villes décrites dans les contes Arabes, dont la
population entière est plongée dans un sommeil de plusieurs siècles : ici seulement
Ienchantement étoit plus réel, le silence plus effrayant, le réveil moins certain.
Lespace qu’occupe cette ville des morts, est resserré, d’un côté, par la chaîne
blanche et aride du mont Mokatam, et, de l’aune, par une suite de collines grisâtres
formées de 1 amoncellement des décombres du Kaire. Le petit nombre de plantes
qu’un sentiment tendre et religieux fait cultiver près de plusieurs tombeaux, sont les
Mi Lancret est mort avant que ce mémoire,’ que
nous voulons • écrire ensemble, ait pu être commencé :
mais, un extrait de son joiirnal de voyage, et ses dessins
sur-toutf m’ayant été très-utiles pour la description des
ruines d Héliopolis, j’ai pensé qu’il m’étoit permis d’asso-
cier mon nom à celui d’un homme que j’ai mois, et dont
personne n’a senti, la perte plus vivement que moi. Tous
ceux qui l’ont connu, savent qu’à de grands talens il
joignoit les vertus sociales les plus douces,■ lessentimens
Ips plus nobles. D u B o is -A y m é .
(i) Liés' dès notre enfance, sortant tous quatre des
mêmes écoles, le goût de l’étude, peut-être aussi un peu
A. D .
de cet esprit chevaleresque, de cette curiosité inquiète si
naturelle à, l’homme dans sa jeunesse et sa force, nous
firent embrasser avec ardeur l’occasion de parcourir
des. contrées lointaines. Nous ignorions où. Bonaparte
alloit porter ses pas ; mais que nous importoit! Ce
guerrier célèbre.inspirait alors un noble enthousiasme,
une aveugle confiance; des savans distingués, Mbnge,
Berthollet, CafFarelIi, Dolomieu, l’accompagnoient, et
vouloient bien nous associer à leurs travaux : pouvions-
nous hésiter un instant! Arrivés en Egypte, peines,
dangers, plaisirs, notre amitié mit tout en commun, et
nous eûmes le bonheur de revoir ensemble notre patrie
après quatre années d’absence.