s’agit de savoir si les anciens Égyptiens ont fait des colonnes en granit, attendu
qu’on n’en trouve aucune dans les édifices de la haute Égypte. On se sent porté
à ¡supposer que les Grecs ou les Romains nont point imite ces colonnes, parce
qu’elles ont des formes qui dévoient répugner beaucoup a leur gout et à leurs
habitudes; mais, quand ils élevoient des temples a des divinités Égyptiennes,
l’imitation du style local, tout bizarre qu il pouvoit paroitre, devenoit pour eux
une obligation. N’en avons-nous pas un exemple dans ces statues et autres monu-
mens antiques faits à Rome avec le granit d’Égypte! On pencheroit encore a
croire que les hiéroglyphes gravés sur ces fragmens de colonne décident la
question suivant le premier sens; mais, par les memes raisons, les Grecs et les
Romains ont dû, pour rendre limitation plus parfaite, copier ou se faite dicter
des hiéroglyphes par les prêtres Égyptiens, dont le collège subsistoit encore de
leur temps. N’a-t-on pas employé de ces caractères sous Ptolémee Épiphane, dans
la triple inscription de la fameuse pierre de Rosette! Ainsi il est au moins douteux
qu’il subsiste encore des colonnes en granit qui soient 1 ouvrage des Égyptiens
de la Thébaïde ( i ) [59]-
Les modernes, et particulièrement les Turcs, qui ont bâti les maisons du port
neuf, ont imité l’emploi que les Arabes avoient fait, avec plus de régularité, de
ces colonnes horizontales dans les murs de leur grande enceinte, cai i c i , et
dans la digue du phare, elles ont principalement pour objet de faire masse dans
les enrochemens et les fondations, tandis que nous verrons que, dans les murailles
Arabes, c’étoit plutôt par un système recherché de construction. Mais
quelle quantité prodigieuse de colonnes ce double usage a dû absorber, puisque
les modernes constructeurs s’en servent encore tous les jours, meme en détruisant
ce que les Arabes avoient édifié après avoir détruit eux-mêmes les monumens
antiques! Quelle idée cela ne donne-t-il pas encore de la splendeur de 1 ancienne
ville! Il faut joindre à tous ces restes, outre la digue du phare et l’embarcadère
du port vieux, les débris de la mosquée aux mille colonnes antiques et toutes
celles que nous rencontrerons ailleurs. Ces remarques expliquent en même temps
la nudité absolue des ruines d’Alexandrie, et comment les nombreuses colonnes
que le P. Sicard ou quelques autres voyageurs ont vues encore debout, ne s’aperçoivent
plus [60].
G R A N D P O R T .
En visitant l’île Pharos, la tour, le rocher.du phare, leur digue actuelle et
l’Heptastadium, nous avons suivi une partie des bords du port neuf : nous allons
maintenant examiner son ensemble, c’est-à-dire, son intérieur, scs mouillages, sa
passe ; et nous parcourrons ensuite le reste de son pourtour, qui n est pas moins
intéressant et qui achèvera de nous le faire bien connoître.
Ce port a généralement beaucoup perdu de sa profondeur. On y voit plusieurs
bas-fonds, et il n’y a que très-peu d’eau sur les parties de rochers qui
sont dans son intérieur. Il n’offre point d antiquités remarquables; mais, en se
(1) I l ,faut excepter les antiquités du Delta.
promenant en chaloupe sur ces bas-fonds, dans un temps calme, on y aperçoit
encore des ruines d édifices, des fragmens de statues et des colonnes renversées.
Le plus remarquable de ces rochers est presque à fleur d’eau, vis-à-vis le milieu
et à deux cent cinquante toises environ de la ville moderne. On a cru que ce
pouvoit être l’île d’Antirrhode; mais nous verrons le contraire. Il est bien vraisemblable
que les Grecs, qui avoient couvert ce port de tant d’ouvrages, tirèrent
quelque parti de cet îlot, qui de voit être encore plus apparent autrefois; mais je
n’en ai trouvé d’autres traces que les débris dont je viens de parler.
Ce port avoit jadis à peu près la même forme que nous lui voyons aujourd’hui,
sauf les modifications que nous avons déjà observées, et que nous continuerons
d’indiquer dans cet article, comme dans ceux où nous parcourrons ensuite le reste
de son vaste contour. Son entrée étoit extrêmement difficile, comme aujourd’hui;
et tous les auteurs anciens, de même que les voyageurs modernes, s’attachent à
le dire. Ils exposent aussi, en termes très-forts, les dangers de sa plage et de toute
la côte d’Alexandrie, et ils font sentir en même temps combien cet abri étoit
précieux pour le commerce de l’antiquité [6 1 ]. Diodore nomme simplement ce
port le Phare. On voit que c’est bien le port principal d’Alexandrie, ou le port
par excellence, qui se trouvoit nnmédiateipent sous la tour du phare elle-même,
qu’il a en vue. Il ne distingue pas autre chose sur la côte qui l’avoisme. Tout le
reste, ajoute-t-il, est une rade dangereuse. Strabon dit aussi.« que le rivage étoit,
» de part et d’autre de la ville, bas et sans abri, rempli d’écueils et de bas-fonds, et
» qu’on avoit besoin d’un signe élevé et lumineux au moyen duquel les vaisseaux
» venant de la haute mer pussent atteindre l’entrée du port. » Remarquons que
c’est du port neuf qu’il parle dans ce passage, et que fe phare sembloit particulièrement
fait pour ce bassin, ainsi que l’indique leur position respective; comme aussi
toute la suite nous prouvera que c’étoit bien là le port principal d’Alexandrie.
« Des deux promontoires de l’île Pharos, continue-t-il, celui du levant (le
» rocher du phare ) s’approche plus du continent et du cap qui lui est opposé
» (l’Acrolochias) que celui du couchant ( la pointe des Figuiers ) ne s’approche
» de la Chersonèse (le Marabou). Cette proximité du phare et du promontoire
» de Lochias forme le port et rend son entrée fort étroite. A cette difficulté de
» la passe se joint celle qu’occasionnent les rochers qui se trouvent dans l’eau
» entre ces deux caps, les uns couverts par la mer, les autres s’élevant au-dessus
» d’elle et refoulant les flots qui arrivent sans cesse du large. » Les choses sont
encore à peu près dans le même état aujourd’hui, quant à la difficulté de l’entrée.
Nous verrons seulement que l’Acrolochias a été rongé et très-raccourci par les
eaux, comme nous avons vu que le promontoire de l’île Pharos l’a été lui-même,
mais moins considérablement. La passe est à l’est du Diamant, et fort près de ce
rocher, qu’il faut serrer beaucoup pour éviter les bas-fonds de l’autre côté [62].
Pline d it, ainsi que Solin, qui l’a copié, qu’il n’y a que trois canaux de mer
(ou passes) qui conduisent à Alexandrie; ils les nomment Tegamus, Posideus ou
P o sid on iu set Taurus. Il est probable que ce sont deux enti'ées dans le port
dEunoste, l’une du côté de Chersonesus, l’autre du côté du cap des Figuiers, et