
sur tout le reste de sa composition, est antique. Le minaret et l’enceinte de la
mosquée ( qu’on n’a même élevés peut-être que sur le plan et les fondations de
l’ancien bâtiment ) ne forment en quelque sorte que l’encadrement de toutes ces
antiquités et sont seuls modernes. On a donc eu raison de ranger ce monument
dans la première partie de l’ouvrage [ 149 ]•
La plus noble simplicité et la plus parfaite symétrie ont été observées ici par
les Arabes, d’après les beaux modèles qu’ils avoient sous les yeux dans Alexandrie;
et ils ont pratiqué les mêmes règles de composition dans leur beau siècle et à
l’époque où le goût de leur architecture étoit le plus pur ( i ) : par conséquent, la
mosquée est très-ancienne. C e plan est bien celui de l’intérieur de la plupart de
leurs bâtimens religieux; mais ceux qui sont modernes sont plus tourmentés dans
leurs parties accessoires, et leurs portiques intérieurs même ne sont pas aussi
rigoureusement symétriques que celui ci [ i 50].
Ce qu’il y a de très-remarquable dans cet édifice, c’est cette quantité prodigieuse
de colonnes en granit, porphyre ou marbre précieux, qui lui a fait donner
son nom vulgaire. Elles sont évidemment de style Grec, et proviennent des débris
de l’ancienne Alexandrie, rassemblés de toutes parts. Quelle nouvelle et grande
idée cela nous donne encore de la richesse des anciens monumens de cette ville,
de la destruction immense qui a eu lieu, et des diverses métamorphoses que l’emploi
de leurs matériaux à d’autres constructions leur a fait subir ! Toutes ces colonnes
sont de proportions très-inégales, de couleurs variées comme leur matière, et
amalgamées suivant l’usage des Sarrasins (2). Elles étoient encore debout à notre
arrivée à Alexandrie ; les événemens de la guerre et les dispositions faites pour
notre établissement dans le pays en ont fait détruire une grande partie ( 3 ). Les
roches, la plupart primitives , dont elles sont formées , portent, malgré leur
extrême dureté, des signes frappans de la corrosion dont j’ai tâché d’expliquer
les lois à l’occasion de la colonne Dioclétienne.
Quelques personnes prétendent que c’est dans cette basilique que. se fit la
célèbre traduction Grecque de la Bible : mais nous verrons que cette tradition,
tirée de l’histoire romanesque d’un Juif helléniste qui porte le faux nom d’Aristée,
dit premièrement que l’interprétation fut faite dans l’île Pharos, où l’on avoit logé
les soixante-douze docteurs, et non dans l ’intérieur de la ville ou le quartier Rliacotis,
où nous sommes. Mais, n’y eût-il que ce simple fait, que la tradition dont il s’agit,
et qui, conservée depuis long-temps, s’est appliquée, sans qu’on sache comment, à
ce monument, cela prouveroit au moins l’antiquité de la mosquée; on verroit qu’il
y avoit là quelque édifice Grec (peut-être l’un de ces antiqua fana [.151] dont
nous parlerons tout-à-l’heure ) , employé par les patriarches du temps de Théophile,
et auquel la mosquée aura succédé. Aussi l’opinion la plus générale et la
mieux arrêtée se réduit-elle à ces termes, que cette mosquée est une ancienne
église rebâtie par les Arabes.
(1) Voye^ toutefois la note 172
(2) Même note 172.
(3) On y avoit établi les ateliers de l'artillerie :
reste de la mosquée n’existe plus aujourd’hui.
CITERNES ANTIQUES.
On trouve, en quittant la mosquée des mille Colonnes, et immédiatement après
avoir traversé le quatrième canal souterrain, un groupe nombreux d’ouvertures
de citernes que cet aqueduc alimente. On en voit de semblables en plusieurs
endroits de la ville antique, dans sa partie renfermée par l’enceinte Arabe, dans
celle qui se trouve hors de cette enceinte, comme on l’observera ci-après, sur le
bord du khalyg dans la campagne, près de la synagogue des Juifs, de la mosquée
dite de Saint-Athanase, du fort Crétin, &c. Ôn en rencontre d’isolées et d’éparses
sur plusieurs points, et enfin presque par-tout ( i ). Avant de foire connoître leur
ensemble, jen décrirai une (2) très-remarquable par sa beauté, son antiquité, et
plusieurs singularités qu’elle présente ; et elle nous donnera une idée assez exacte
de toutes les autres.
Elle est située dans l’enceinte Arabe, à droite du canal, en venant du lac Ma-
reotis, dans le voisinage du lieu où nous sommes parvenus. Son architecture est
fort belle. Quarante-sept colonnes de marbre, bien conservées et placées en quinconce
régulier, sur un sol également en marbre blanc, soutiennent une première
suite d arceaux coupés par un plan horizontal, au-dessus duquel, dans le prolongement
de l’axe des colonnes, s’élèvent, sans pied-droit, les voûtes d’arête en
plein cintre qui recouvrent toute la citerne : elles sont percées par quatre ouvertures,
dont trois circulaires, et celle du milieu carrée, au niveau du sol supérieur.
Dans le plan vertical dune de ses parois, sont pratiquées huit niches correspondantes
aux entre-colonnemens, et dont on ne devine pas aisément l’objet. Une
sorte de puits ménage dans les angles des murs, et garni d’entailles de part et
d autre, servoit à y descendre. Des espèces de pilastres sont en avant-corps sur
tous les paremens, pour correspondre aux colonnes et supporter la retombée
des arcs.
Les chapiteaux sont variés dans leurs détails, mais symétriques dans leur masse
et par leurs proportions générales, comme dans les péristyles et portiques de la
haute Egypte, avec lesquels ils o n t, dans leur ensemble, une certaine analogie.
Plusieurs de ces chapiteaux ont des ornemens analogues à ceux des chapiteaux
Égyptiens antiques; d’autres, chose assez singulière, portent, dans leurs ornemens
sculptés, une croix Grecque inscrite dans un cercle, et assez semblable à celle de
Malte ou des croisés; Cette circonstance, en rappelant l’époque du culte chrétien
sous le Bas-Empire Grec, achève de prouver que les citernes, et même leur restauration,
si ceci en est une, sont bien antérieures aux Arabes. Celles de la rive
droite du khalyg, vis-à-vis de la partie abandonnée de la ville d’Alexandrie, sont
nombreuses, et quelques-unes ont le caractère des ouvrages Grecs ou Romains;
mais la plupart ont été défigurées par les réparations modernes. La cage de celle-ci
est bien antique, et ses arceaux n’ont pas non plus été altérés. Mais les colonnes,
(1) Celles qui se trouvent dans l’enceinte Arabe, sont
presque les seules qui soient bien conservées.
(2) Planche j6 . On en a représenté huit autres dans la appartiennent au quartier que nous décrivons.