
de traiter les maladies par des moyens externes, ou par le travail de la main;
c’eft la ravaler au rang d’une profeffion purement mécanique, c’eft accréditer
l’opinion du vulgaire, toujours difpofé à regarder comme un Chirurgien habile
& confommé, celui qui fait panfer un ulcère, appliquer un bandage, réduire'
une fraéture, faire une amputation ou telle autre opération fur l‘e corps vivant ;
& ce qui eft bien plus fâcheux encore, c’eft inculquer la même erreur dans l’efprit
des jeunes-gens qui fe deftinent à'cet état, en les accoutumant à regarder ces objets'
comme les feuls dont ils doivent s’occuper. Nous l’avons déjà dit, les principes^
de l’Art de guérir font les mêmes dans toutes fes branches ; les organes internes
du corps font, dans l’état de fanté, gouvernés par les mêmes loix générales que
les parties externes, & l’on ne comprendra jamais bien la nature d’une maladie
locale, fi l’on ne connoît les déviations de l’état naturel dont tout le fyftême
animal eft fufceptible. Si le Médecin appelle à traiter une pleuréfie ne peut le
faire avec fuccès, qu’autant qu’il aura une idée fuffifamment nette de la nature
de l’inflammation , ou du moins des principaux fymptômés qui là caraéterifent,
de fes conféquences, de la gradation à fuivre dans l’ufage des moyens propres
à la diffiper, cette connoiffance n’eft pas moins néceflaire au Chirurgien appelle
à traiter une plaie, dont la guérifon dépendra principalement des précautions quil
faura prendre pour diffiper l’état inflammatoire des parties affedées, fans trop
affoiblir cependant les pouvoirs vitaux. Le favoir du Médecin ne mérite pas mieux
le nom de Science, que celui du Chirurgien bien inftruît des fondions de
l’économie animale , ainfi que de l’ordre & de la marche que fuit la nature dans la
production des maladies dont le traitement lui eft dévolu, de la maniéré dont
fe font leur progrès, de leurs diverfes terminaifons, de leurs rapports & de
■ leurs modifications réciproques. _ i .
Mais plus les principes d un Art font difficiles & abftraits, plus on croit,
en général, pouvoir fè difpenfer de les approfondir. Combien de perfonnes
qui s’ingèrent à pratiquer la Médecine, fans avoir aucune teinture des études
quelle fuppofe 1 Combien de Jeunes-gens qui, pour avoir fuivi quelque tems
la pratique routinière d’un Hôpital, fe croient parfaitement qualifiés pour exer-
cer la Chirurgie. Chacun fait que pour réuffir dans d’autres Arts, dont l’objet
eft plus limité, & la théorie plus fimple, tels que le Deffin, l’Architecture,
l’Horlogerie, il faut y confacrer beaucoup de tems & d’application, ori
diroit cependant, à voir le peu de foin que tant de gens y apportent, que
l’art de guérir peut s’acquérir par une fimple intuition, & fans qu’on fe
donne la peine d’y penfer.
L a théorie, dit-on, tous les jours, ne fett qu’à égarer lefprit par de vaines
fubtilités, le bon fens & l’expérience fuffifent pour la pratique. C e langage
fpécieux, Sc bien propre à frappet l’efprit du vulgaire, eft d’autant plus dangereux,
qu’il favorife la pareffe, en faifant regarder comme inutiles de longues
& pénibles études ; rien n’eft plus aifé, néanmoins, pour quiconque veut examiner
la çhôfe avec impartialité, que de fe convaincre oç la fauffeté d’une
pareille maxime. Dans quel fiècle de l’antiquité, dans quel pays ont fleuri
davantage la Médecine & la Chirurgie? C ’eft dans la Grèce, c’eft chez le
peuple du monde où les fciences, les lettres & la raifon avoient été le plus
perfeétionnées, où lefprit philofophique avoir étendu fes précieufes influences
fur toutes les prôfeffions, c’eft dans le fiècle qui a fourni les plus grands
hommes en tout genre. Et qu’on nous dife ce qu’ont fait, pendant quinze
fiècles qui ont fuivi les beaux tems de la Grèce & de Rome, le fimple
bon fens & l’expérience, pour les progrès de l’art de guérir, qui cependant
n’a pas pu tomber en défuétude, & dont le befoin a toujours continué à
fe faire fentir; combien, pendant cette malheureufe époque, n’a-t-il pas perdu
de fon utilité &C de fon luftre, & que de travaux n’en a-t-il pas coûté aux
Modernes, pour le ramener au point où il étoit parvenu du tems d’Hippocrate.
Quoique l’obfervacion & l’expérience foient des fources de connoiffances
qui femfilent être à la portée de tout le monde, il y a bien peu de gens
qui fâchent en tirer parti par eux-mêmes, & diftinguer, dans ce qui n’eft
pas uniquement l’objet des fens, les faits, proprement dits, tels que la nature
les préfente, de ceux qui font en tout, ou en partie, le produit de leur
imagination. I l n’y a pas d’opinion fi abfurde, quelle n’ait été étayée de
l’expérience de quelqu’un. Qui n’a pas ouï parler des merveilles du magné-
tifme animal, & des nombteufes cures qu’il a opérées dans toutes fortes de
maladies; fans parler des autres effets bien plus extraordinaires encore qu’il
a produits, & qui font atteftés par une multitude de gens, mais qui dif-
paroiffent aux yeux] de l’Obfervateur philofophe. L ’homme inftruit, & bien
exercé dans l’art de l’obfervation, verra toutes les circonftances d’un fait ,
dont les trois quarts échapperont à l’homme vulgaire ; peut-être même les
préjugés de celui-ci l’empêcheront - ils d’en voir aucune, telle quelle exifte
réellement; l’un & l’autre par conféquent entretiendront des idées bien différentes
fur le même objet ; tous, deux cependant attelleront leur expérience
en faveur de leur opinion.- Quel degré de confiance donnera-t-on à des
gens qui affirment, fans jamais, fe démentir, ce qu’ils croient avoir v u , fans
s’être jamais demandé à eux-mêmes s’ils étoient en état, .ou à portée de bien
voir. L ’ivrogne qui protefte que tout tourne autour de lu i, le fuperftitieux
qui croit à la magie, l’efprit foible qui voit des fantôme?, tous parlent
d’après leur expérience. L e Médecin qui, à force de travail, a reconnu lçs
Voies de la nature, & qui la fuit pas a pas , Sc la garde-malade qui reçoit
fes ordres, en appellent auffi chacun à l’expérience ; mais peut-on citer fa
propre expérience, fi l’on n’a pas l’art &C le talent d’obferver. Qu’un cabinet
de tableaux foit ouvert à l’examen des curieux, tous les yeux en recevront
les mêmes impreffions phylîques:; mais quoiqu’il n’y ait- qu’une règle pour
en. diftinguer, le mérite; favoir leur reflemblancq plus ou-moins grande avec
la nature, & quoique, cette règle foie en apparence bien facile à faifir, il