
I. On a fuppofé que les tumeurs difpofées à
devenir Cancéreufes , dévoient leur origine à
quelque obftruéKon qui gênoit ou empêchoit
tout-à-fait le pafTage des fluides dans les glandes,
ou dans les parties, dont la ftruélure les rapproche
de la nature des glandes, dans les vaifleaux
lymphatiques & capillaires, dans les canaux lac-
tifères des feins, &c., que ces fluides ainfi retenus,
pouvoient s’épaiflir , le coaguler & même fe def-
lécher; que cet accident, qui pouvoit avoir lieu
dans toute efpèce de glande , étoit bien plusfujet à
fe manifefter dans celles qui font deftinées à fé-
parer une liqueur plus vifqueufe , ou qui, par leur
ftruclure, font plus propres à retenir long-tems le
fluide quelles préparent ; & l’on a mis en fait
que ces organes valculeux devenus imperméables,
fe tuméfioient & le durciffoient par l accumulation
des fluides épaiflîs, & formoient ainli la
bafe du Cancer,
II. On a fou vent regardé le Cancer, comme
tenant à quelque acrimonie particulière dans le
fang ou dans les humeurs des perfonnes chez qui
cette maladie s’étoit manifeflée , parce que ces
perfonnes étoient fujettes à des affrétions rhuma-
îifmales, à des dartres & à d’autres vices de la
peau ; mais on voit fréquemment le Cancer fe
former chez des individus en qui l ’on n’avoit
jamais rien obfervé de femblable, & ces affections
qu’on a tontume de prendre pour des marques
d’âcreté , peuvent être regardées plutôt
comme des fymptômes , ou des circonftances
concomitantes du Cancer, que comme des indices
de fa caufe. Il efl vrai que là où il exifle
un Cancer occulte , toutes les caufes d’irritation
, les alimens échauffans, les liqueurs fpiri- L
lueufes, tout ce qui difpofe aux maladies inflammatoires
, peut accélérer les progrès du mal}
mais on ne peut pas dire que ces caufes puiffcnc
jamais par elles-mêmes produire un Cancer. I.
III. On a cru que cette maladie dépendoit quelquefois
des affrétions triftes de l’ame, On l i t ,
dans Tulpius, qu’une femme qui portoit depuis
cinquante ans, une tumeur carcinomateufe indolente
, ayant eu dans fa viçillefle un violent chagrin
, commença à reffentir des douleurs dans le fein
affrété > qui bientôt s’ulcéra & qu’il s’y forma un
Cancer de la plus mauvaife efpèce. Mais ce fait,
ainfl que tous les autres de la même nature,
qu’on pourrojt citer, ne prouve pas que le chagrin
puiffe &re regardé comme la caufe du Cancer,
mais que les progrès de cette maladie peuvent
être fort accélérés par tout ce qui affeéle le bon
état du fyfiême animal. Et même, lorfque la
nai (Tance du mal auroit paru fuivre de près ces
affrétions de Tame, auxquelles on feroit porté à
l ’attribuer , il demeureroit toujours douteux fl
pes affrétions, ou les changemens qu’elles peuvent !
exciter dans le corps, ne dépendent pas plutôt i
d'une certaine délicate (Te, ou d’une irritabilité particulière
de la conflitution , & fi elles fte font pa$
elles-mêmes, ainfi que leCançer qu’on leurattri-
bue , les effets d’une autre caufe.
IV. La ceffation des règles efl une caufe â
laquelle on a fréquemment attribué la formation
du Cancer, & les faits paroiffent jufqu’à un
certain point juflifier cette opinion. L ’économia
animale, chez les femmes, fubit de grands changemens
à l’époque, où fe fait la première éruption
des règles, & à celle où elles ceflent d’être
fujettes a cette évacuation périodique. On a de
de tout tems obfervé qu’à cette dernière époque
ilTe_formoit fouventdes duretés fquirrheufes dans
la matrice, dans les ovaires & dans les mam*»
melles. Il y a un rapport ii intime entre ces
derniers organes & la matrice, que, dans tous
les tems, on les voit fe gonfler lorfque le flux
menflruel efl arrêté, comme on l'obferve après
la conception, & même quelquefois, lorfqu’il y
a une fuppreffion dépendante de quelqu autre
caufe. Chez les femmes en couches, le gonflement
des feins fuit de près la ceffation, ou plutôt
la diminution des lochies ; & il n’eft pas étonnant
que lorfque les règles ceflent tout-à-fait, les
glandes des feins s’ en reffentent , & que le con-
fenfus qui a jufqu alors exifté entr’elles & la matrice
, les difpofe à ces engorgemens fi ordinaires
à cette époque. Hippocrate a obfervé que la
matrice fermée renvoie le fang aux mammelles.
E t , après avoir mentionné plufieurs fymptômes ,
qui, en pareille circonftance, trompent les femmes
en leur faifant croire quelles font girofles, ii
ajoute. Il furvient alors dans les feins des tubercules
durs, qui ne fuppurent point, mais qui
durciflent toujours davantage , & donnent naiffance
à des Cancers occultes. Dionis conclut d’après fes
propres obfervations, que fur vingt femmes attaquées
de Cancer, il y en a quinze qui le font
de quarante à cinquante ans •, & il dit qu’en parcourant
les Provinces, il a trouvé, dans prefque
toutes les Ville s, des femmes qui en étoient
atteintes à cette époque , particulièrement dans
les Couvens. Tous les Praticiens ont plus ou moins
obfervé la même chofe ; & il efl probable que la
conflitution éprouve à cette époque un changement
favorable à la formation du Cancer , ou qui
difpofe puiffamment à fa production les organes
qui en font füfceptibles. Les Anatomiftes ont cru
pouvoir rendre raifon de tous ces faits par les
Anaftomofes des vaifleaux des mammelles avec
ceux de la matrice y mais fi L’on veut les examiner
avec attention & impartialité , on re-
connoîtra aiféjnçnt que ces communications de vaif-
feaux n’en donnent pas une explication fatisfaifante,
V. Cette maladie, ainfi que la goutte , les
écrouelles, la phthifie, l’épilepfie, & bien d’autres
, a été regardée comme tenant à une difpo-
fition héréditaire ; & l’on a cru que fi elle étoie
fi difficile à guérir, c’eft que la caufe tenoic
cfîemiellemsnt à la çonfiituiion, Il efl poffihlQ
fttfune difpofirion conflituticmnelle & héréditaire,
rende certaines perfonnes plus füfceptibles d'être
affrétées par les caufes productrices du Cancer ;
mais il y a tout lieu de préfumer que l ’on a
orté cette idée trop loin , comme nous aurons
ientôt occafion de le faire voir.
VI. On a dit que le Cancer étoit fréquemment
occafionné par des caufes extérieures, & particulièrement
par des coups fur les parties qui
font principalement fujettes à cette maladie ,
comme les feins chez les femmes & les tefticules
chez les hommes ; & il n’efl pas douteux qu’elle
n’ait fouvent dû fon origine à une caufe de cette
nature. Mais on voit aufli très-fouvent des cas où
ces mêmes parties ont été froiffées & contufes
par des coups violens, fans qu’il en foit réfulté
de Cancer, & c’eft encore une queftion à décider,
fi cette maladie peut être l’effet de pareils
accidens, à moins qu’il n’ exifte antérieurement
dans le fujet chez qui elle fe manifefte, une dif-
pofition naturelle qui concourt avec cette caufe
à en déterminer la formation.
1 VII. Boerhaave & foh Commentateur, & la
plupart des Auteurs qui ont écrit fur le Cancer, ont
regardé l’inflammation comme pouvant être fou-
vent l’origine de cette maladie*, & de toutes les
caufes que nous venons de mentionner, il n'y en a
point, comme nous le verrons enfuite, qui paroiffe
plus intimement liée que celle-ci avec fa caufe
prochaine, p eft fâcheux qu’on n’ait pas fu tirer
plus de parti qu’on ne l’a fait jufqu’à préfent de
cet apperçu ; mais il y a lieu d’efpérer que nous
ferons à cet égard plus heureux à l’avenir. Un fage
& efiimable Praticien, M. Féaron, Chirurgien de
Londres, amis depuis quelque tems fes Confrères
fur la voie d’une pratique nouvelle, déduite du
principe dont nous parlons ; & il paroît que les
fuccès qu’il a obtenus font bien propres à encourager
ceux qui pencheront à la mettre en ufage.
et L ’inflammation , dit-il, ( i) dans un ouvrage
» qu’il a publié fur cè fuje t, a été mife au i
99 nombre des caufes du Cancer v & j’avoue que,
99 depuis quelques années, j’ai fait plus d’attention
>î dans ma pratique à cette caufe qu’à toutes les
9) autres enfemble. Je n’entrerai, ajoute-t-il,
99 dans aucune recherche phyliologique fur la
99 nature ou l’origine de cette efpèce d’inflamma-
99 tion; mais la méthode que j’ai fuiviedans le traite- i
>5 ment de cette maladie ,& par laquelle j’ai eu de
99 grands fuccès, efl entièrement fondée fur le prin-
99 cipe, ou la ïbppofition, que l’inflammation efl in-
99 variablement & univerfellement liée avec fa caufe
prochaine >3. Kous verrons ci-après jufqu’à quel
point M. Fearon a réufli dans fa pratique à cet égard.
(\) A T re a rîfeo n Cancers, By Henry Fearon Surgeon
to th ç Surrey Dilpenfaiy,
De la qteflion f i le Cancer efl une maladie confiitu-
tiormclle.
A l’examen des caufes s’allie naturellement celui
de laqueftion, fi le cancer eft une maladie locale,
ou conftitutionnelle ; queflion dont la folution eft
d’une grande importance en pratique, que l’on
peut même regarder comme la principale, & peut-
être comme la feule qui mérite d’être difeutée , &
décidée, fi la chofe eft poflible, afin d’ariiver à un
traitement méthodique. Car s’il eft bien prouvé
que les maladies cancéreufes ne font dans l’origine
que des affeétions purement locales, toutes les
objeélions qu’on a faites, & que l’on fait encore
au traitement du Cancer par l’extirpation, tombent
néceflairement. Or des Praticiens du premier rang
ont avancé que cette maladie procédoit toujours
de quelque vice général de ia conflitution, que par
conféquent il ne pouvoit y avoir aucun avantage à
"attaquer par l’inftrument tranchant, que l ’on ne
faifoit par ce moyen que la déplacer en la rejetant
fur quelque autre organe , où fes progrès pourraient
même être plus rapides. Et il faut avouer que
leur opinion à cet égard étoit fondée fur des faits,
c’eft-à-dire, fur le peu de fuccès qu’ils avoient
prefque toujours vu accompagner l’opération du
Cancer, & fur ce qu’ils avoient prefque toujours
vu renaître la maladie après quelle avoit été
attaquée par cette méthode ; mais quoique l’on ne
puifle pas douter delà vérité des faits d’après lef-
quels ils argumentent, il eft bien démontré aujourd’hui
qu’une grande proportion des malades qu’on
opère, fe rétabliffent & parviennent même fou-
vent à la vieilleffe fans éprouver de rechutes.
Une autorité d’un grand poids, qui a fervi plus
que route autre à établir l’opinion que le Cancer
eft une maladie du fyfiême, & qu’on ne la guérit
point par l’opération, c’eft celle du célèbre
ALEXANOteE MûNfto. Ce Pratkienà qui l ’art de
guérir eft redevable de tant de découvertes utiles
dit (i ) que de près de foixante cas de Cancers opérés
en fa ptéfence, ii n’en a vu que quatre où la
guérifon parut fe foutenir au bout de deux ans;
encore de ces quatre individus yenavoit-il trois
qui avoient des Cancers Occultes dans les feins, &
le quatrième en avoitun ulcéréà la lèvre. Ii obferve
que chez les perfonnes qui avoient des rechûtes,
lamaladie étoit toujours plus violente, & faifoit des
progrès bien plus rapides que chez celles qui
n’avoient pas été opérées. Aufli s’élève-t-il avec
force contre l’opération, excepté pour les cas
où le Cancer eft occulte, où le mal a été occafionné
par quelque coup, où par une autre caufe extérieure,
& où les malades font jeunes & jouiflent
d’ailleurs 'd’une bonne famé. Dans tout autre cas
il n’y a , fuivant lui, que les prières inftantes &
f 1 ) EflWs ds Msdesine d'Edimbourg , tom. V, art;